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Quelques aspects arithmétiques et géométriques des cycles algébriques et des motifs
Habilitation à diriger les recherches
Soutenue le 17 Novembre 2022 devant le jury composé de :
Yves André, examinateur
Joseph Ayoub, rapporteur
Jean-Benoît Bost, examinateur
Anna Cadoret, rapporteur
François Charles, rapporteur
Carlo Gasbarri, examinateur
Rutger Noot, garant
Remerciements
On m’avait souvent décrit l’Habilitation comme une formalité par laquelle il fallait passer. Je me rends compte qu’en fait d’une part j’ai pris plaisir à rédiger ce mémoire et d’autre part c’est avec un peu d’émotion que je m’approche à cette soutenance. Je serai entouré par des collègues et des amis qui me sont chers et j’aimerais par ces quelques lignes les remercier.
Merci aux trois rapporteurs d’avoir accepté de consacrer leur temps à la lecture de mon mémoire. Joseph Ayoub a été mon encadrant de postdoc et c’est une figure centrale de la théorie des motifs. J’ai bénéficié de nombreuses discussions avec lui et c’est un grand honneur pour moi l’attention qu’il a porté à mes travaux.
J’ai rencontré Anna Cadoret pendant ma thèse à l’occasion d’un groupe de travail organisé par son ANR. J’ai le souvenir d’une atmosphère détendue et ouverte vers les jeunes, comme il arrive rarement dans notre métier (atmosphère que l’on a essayé de reproduire avec la RéGA, puis le JAVA). J’ai toujours aimé l’originalité des questions qu’elle sait se poser et je me réjouis de ses appréciations à ce mémoire.
François Charles était 2 ans avant moi à l’ENS, il a représenté pour plusieurs d’entre nous une référence. J’ai toujours été impressionné par ses fortes intuitions et je le remercie pour les échanges que l’on a eu et pour son intérêt pour mes résultats.
Rutger Noot a été rapporteur de ma thèse et m’a beaucoup encouragé après : je lui en suis reconnaissant. Depuis que je suis à Strasbourg, j’ai pu profiter de sa culture mathématique à plusieurs reprises. C’était pour moi le choix naturel de garant et je le remercie d’avoir accepté.
Il n’y a probablement aucune section de ce mémoire où le nom d’Yves André n’apparaisse pas. Bien que j’essaie constamment d’élargir mes intérêts et m’ouvrir à de nouveaux domaines, je finis toujours par y découvrir un théorème fondamental qui lui est dû. Sa présence dans mon jury est un honneur pour moi.
J’ai suivi un cours de Jean-Benoît Bost en M2 : sa clarté et sa vision sont devenues une référence pour moi. Je le remercie pour son soutien depuis cette époque ; c’est un plaisir pour moi de l’avoir dans mon jury d’Habilitation.
Les déjeuners à la cantine sont souvent enrichis par les digressions mathématiques (toujours passionnées) de Carlo Gasbarri. Je le remercie pour celles que l’on a eu, celles que l’on aura et d’avoir accepté de faire partie du jury.
Je remercie Emiliano Ambrosi, Pierre Baumann, Mattia Cavicchi, Frédéric Chapoton, Dragos Fratila, Florence Lecomte et Rutger Noot pour leurs relectures aux premières versions de ce texte.
Certains des résultats présentés ici sont issus de collaborations avec des mathématiciens qui m’ont beaucoup appris. Je les remercie tous ici, à partir de ma première collaboratrice, Annette Huber, avec laquelle nous continuons à beaucoup échanger, jusqu’au plus jeune, Mattia Cavicchi, mathématicien doué à qui je souhaite tout le meilleur pour ses débuts de carrière.
Mes recherches mathématiques n’auraient pas pu avoir lieu sans les échanges, les conseils et les remarques de mes chers amis mathématiciens Olivier Benoist, Yohan Brunebarbe, Javier Fresán et Marco Maculan.
Quand je repense à mon passé mathématique je dois remercier mon directeur de thèse Jörg Wildeshaus, ainsi que Frédéric Déglise qui était chercheur à Paris 13 à l’époque de ma thèse et qui m’a beaucoup appris.
Pendant ces années à l’IRMA j’ai eu le plaisir de discuter de mathématiques avec de nombreux collègues, tant dans mon équipe que dans les autres. Je pense en particulier à Emilano Ambrosi, Dragos Fratila, Robert Laterveer, Yohann Le Floch, Adriano Marmora, Pierre Py et Ana Rechtman.
L’ambiance au laboratoire est bonne, j’ai échangé avec à peu près tout le monde à l’occasion d’enseignements, conseils ou autre et j’ai souvent trouvé de l’empathie et de la bienveillance. Chers collègues qui lisez ces lignes, je vous en remercie !
Le travail d’enseignant-chercheur a besoin d’un soutien administratif et technique considérable. Nous sommes gâté de ce point de vue-là à Strasbourg : je remercie en particulier Alexandra Carminati, Sandrine Cerdan, Pascale Igot, Delphine Karleskind, Jessica Maurer-Spoerk, Alexis Palaticky et Alain Sartout.
Je suis ému par la présence de plusieurs amis et collègues qui n’habitent pas à Strasbourg et qui ont fait de la route pour venir voir ma soutenance : Javier, Mattia, Olivier, Quentin et Yohan, merci ! Je suis également touché par la présence d’amis qui ont décidé de passer une heure de leur vie à me voir délirer devant des tableaux bleus : Joanne, Cédric, François… cela me touche beaucoup.
Enfin, merci à tout ce qui est non-mathématique dans ma vie et qui la rend si heureuse. Je pense aux amis du tango de la belle association Hermosa : merci pour la bonne ambiance des milongas. Je pense aux amis du foot du terrain 5 : merci pour les matchs intenses et pour les après-matchs encore plus intenses. Je pense aux jogging avec Gianluca (accompagnés toujours de questionnements et conseils réciproques). Je pense aux jeunes parents avec lesquels on partage les apéros où l’on ne peut jamais terminer nos phrases ainsi que les fêtes regrettées le lendemain. Et évidemment je pense à ma famille pétillante. Merci à toutes les générations de la Nonna Michelina qui me chantait l’opéra pendant qu’elle préparait ses pâtes jusqu’à mes filles qui sautent toujours à mon cou. Merci à Anna qui a toujours envie de me voir donner un exposé et toujours la joie de le célébrer. Merci à ma mère qui nous a préparé un super pot (vous verrez…), à mon père qui me parlait de sciences en voiture pendant qu’il m’accompagnait au judo, à mes frères et à notre chambre à trois où on pratiquait tout sport possible, à la famille de Maglie qui nous a toujours accompagné avec amour et à ma belle famille avec qui on partage voyages, bonnes bouffes et discussions sur le monde.
A Anna, compagna di viaggio.
A Camilla e Gaia, il nostro viaggio.
0. Introduction
Le protagoniste de ce mémoire est un morphisme d’anneaux gradués111La graduation dans est induite par la codimension des sous-variétés et la multiplication est appelée produit d’intersection. appelé application classe de cycle
Ici est une variété projective et lisse définie sur un corps , est une cohomologie de Weil222Par exemple si on pourra choisir la cohomologie singulière ou pour de caractéristique et un nombre premier tel que on pourra choisir la cohomologie -adique. et est l’anneau de Chow à coefficients rationnels. Il faut penser à comme un invariant de de nature algébrique et à comme un invariant de nature topologique : l’application compare ces différentes natures.
Les questions autour de peuvent se diviser grossièrement en trois classes :
-
(1)
Décrire l’image de ,
-
(2)
Décrire le noyau de ,
-
(3)
Décrire la structure multiplicative de .
Par exemple, des conjectures qui entrent dans la première classe sont Hodge, Tate, la conjecture des périodes de Grothendieck, ou encore les conjectures standard de type Künneth et de type Lefschetz. Dans la deuxième classe on trouve la conjecture de Bloch–Beilinson ou la conjecture de nilpotence. Certaines conjectures sont à cheval entre la première et la deuxième classe, par exemple la conjecture de conservativité ou la conjecture sur la dimension finie de Kimura. Rentrent dans la troisième classe les conjectures standard de type Hodge et de type « ».
Pour décomposer l’étude dans ces trois classes on peut d’abord factoriser (comme morphisme d’anneaux) et obtenir le diagramme suivant :
L’anneau quotient est également noté et appelé anneaux des cycles modulo l’équivalence homologique.
Les questions appartenant à la classe (1) ci-dessus reviennent alors à l’étude de l’injection et celles de la classe (2) à la projection . Pour exprimer la classe (3) on considère l’équivalence numérique333Cette équivalence rend tous les points de la variété équivalents et les cycles de codimension complémentaire sont mis en dualité par le produit d’intersection. et on complète le diagramme ainsi :
(0.7) |
La compréhension de l’algèbre et de la projection encode une bonne partie des questions de la classe (3) ci-dessus.
Les conjectures principales sur les cycles algébriques s’expriment mieux si on passe aux motifs. Cela revient, grosso-modo, à considérer le diagramme (0.7) pour toutes les variétés à la fois :
(0.14) |
Ici indique la réalisation des motifs de Chow vers les espaces vectoriels gradués : c’est une collection d’applications classe de cycle. On a de plus des foncteurs pleins de projection vers les motifs homologiques et les motifs numériques et un foncteur fidèle des motifs homologiques vers les espaces vectoriels gradués, également appelé réalisation.
Le théorie des motifs est utile non seulement à la formulation de questions sur les cycles algébriques mais aussi à la démonstration de résultats sur ces derniers, voir la Section 1 pour une discussion de ce point. En guise d’exemple, voici une petite liste de résultats - certains issus de mes travaux - où l’on remarquera que les motifs n’apparaissent pas dans les énoncés et pourtant sont cruciaux dans leurs preuves.
Théorème 0.1.
-
(1)
(Kahn [Kah03]) L’application classe de cycle est injective pour les produits de courbes elliptiques sur un corps fini.
-
(2)
(Kimura [Kim05]) Soit un surface complexe projective et lisse dominée par un produit de courbes. Si l’application classe de cycle est surjective alors elle est injective.
-
(3)
[Anc21] Soit une variété abélienne de dimension quatre, alors le produit d’intersection
est de signature , où
-
(4)
[AHPL16] Soient un schéma de base régulier et un -schéma en groupes commutatifs. Alors l’action du morphisme
de multiplication par décompose l’espace en une somme finie de sous-espaces propres (de plus les valeurs propres sont des puissances explicites de et la décomposition ne dépend pas de l’entier choisi).
Par sa nature même, la théorie des motifs se mélange aux différentes cohomologies de Weil que l’on peut considérer. Ainsi, en fonction du corps de base , on se retrouve à utiliser la théorie de Hodge (), les représentations galoisiennes ( corps de nombres), l’arithmétique des nombres de Weil ( fini) ou encore de la théorie de Hodge -adique (en caractéristique mixte). Cela dégage les aspects arithmétiques et géométriques de la théorie.
Ces différentes théories cohomologiques ont des analogies, que l’on retrouve dans les motifs par des théorèmes ou des conjectures, ainsi que des différences, que la théorie des motifs vise à réparer, voir la Section 2.
On peut distinguer les différents résultats dans le domaine des motifs d’une part par la partie du diagramme 0.14 que l’on étudie et d’autre part par la nature géométrique ou arithmétique du corps de base qui est concerné. Pour aider la lecture du texte qui suivra, voici une répartition des travaux présentés.
Organisation du texte
Les premières sections du texte fournissent une introduction partielle à la théorie. Nous avons déjà mentionné que les motifs sont utiles à l’étude des cycles algébrique et donné le Théorème 0.1 comme exemple, mais nous n’avons pas dit pourquoi ils sont utiles : c’est le but de la Section 1. La Section 2 présente la théorie de Hodge et ses pendants arithmétiques ; on insiste sur les analogies mais surtout sur les différences. La Section 3 donne des conjectures sur les cycles algébriques et la Section 4 des exemples de motifs. Ces questions et ces exemples sont repris dans les sections successives où l’on présente différents résultats organisés selon le diagramme ci-dessus. Dans la Section 5 on démontre la conjecture de conservativité pour les motifs provenant de variétés abéliennes définies sur un corps fini. La Section §6 concerne la conjecture standard de type Hodge et montre le Théorème 0.1(3). Dans la Section §7 on introduit une nouvelle classe de périodes -adiques qui surgit dans l’étude des classes algébriques en caractéristique mixte. Dans la Section §8 on montre le Théorème 0.1(4) qui nécessite l’utilisation de techniques motiviques modernes. La Section §9 étudie les classes algébriques de certaines variétés hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne.
1. A quoi servent les motifs ?
Dans un article du même titre [Del94a], Deligne expliquait que les motifs n’ont qu’une utilité essentiellement philosophique permettant de transférer des idées d’une cohomologie à l’autre, grosso-modo en appliquant le diagramme 0.14 à différentes cohomologies. Aujourd’hui on comprend que les motifs sont aussi un vrai outil technique, comme l’avait envisagé Grothendieck. Deligne même revoit sa position dans son Bourbaki sur les multizétas et explique que les travaux de Brown sont « un des cas où la philosophie des motifs est non seulement un guide précieux, mais permet des démonstrations » [Del13].
J’aimerais expliquer ici l’utilité des motifs notamment dans la théorie des cycles algébriques : une liste d’énoncés où leur utilisation est cruciale a déjà été donnée dans le Théorème 0.1. Plusieurs avertissements sont tout de même nécessaires. Premièrement, je ne prétends pas que cet outil soit l’unique possible, beaucoup de résultats intéressants sur les anneaux de Chow ont été obtenus par d’autres méthodes. Deuxièmement, à l’heure actuelle les applications les plus impressionnantes des motifs apparaissent plutôt dans la théorie des périodes [Bro12, Ayo15] - on peut espérer que les applications majeures de la théorie aux anneaux de Chow sont encore à venir.
Dans sa construction de la théorie des motifs purs (i.e. pour les variétés propres et lisses) Grothendieck avait imaginé un pont entre les cycles algébriques et, par exemple, la cohomologie -adique. Son idée était que la compréhension des premiers aurait impliqué ainsi des résultats sur la deuxième, par exemple les conjectures standard auraient impliqué les conjectures de Weil. En un sens cela semblait la direction raisonnable : les cycles étaient là depuis plus longtemps (on pourrait dire depuis le théorème de Bézout) et leur définition pouvait les faire paraître comme plus accessibles.
On comprend aujourd’hui qu’ils sont plus mystérieux que ce que l’on aurait pu imaginer. Ceci est devenu flagrant probablement avec le théorème de Mumford [Mum68] qui montre que le groupe des -cycles ne peut pas, en général, être paramétré par une variété de type fini. En revanche beaucoup de progrès ont été faits sur la cohomologie. Ce pont maintient donc toute son utilité mais il faut plutôt le parcourir dans l’autre direction : on essaiera d’exploiter des informations cohomologiques et de les transposer sur les cycles via les motifs.
La question naturelle qui se pose est alors pourquoi l’application classe de cycle ne serait pas elle-même suffisante pour un tel pont entre anneaux de Chow et cohomologie ? Une réponse courte est que la cohomologie a des propriétés agréables (Künneth, Poincaré,) que les anneaux de Chow n’ont pas. Les motifs sont une façon de réorganiser les applications classe de cycle de sorte à ce que l’on ait encore ces propriétés agréables.
1.1. Motifs purs
Pour expliquer l’idée derrière la construction, prenons la situation suivante (inspirée par le formalisme tannakien). Soit un morphisme de groupes et étudions le foncteur induit
(1.1) |
sur les représentations -linéaires pour un corps fixé. Supposons avoir à notre disposition pour cette étude uniquement la collection d’applications
(1.2) |
pour chaque . La donnée de cette collection est certainement moins agréable que la donnée de . On peut tout de même retrouver en remarquant que son action sur les morphismes est donnée par
(1.3) |
Cette idée de passer de l’invariant à l’équivariant est l’étape essentielle dans la construction de Grothendieck des motifs. Dans ce cas pour chaque variété , sera son motif (objet abstrait de la catégorie en construction), sera l’anneau de Chow , sera la cohomologie singulière (ou -adique,) , seront les classes de Hodge (ou les classes Galois invariantes, ) et sera l’application classe de cycle . En résumant :
(1.9) |
Pour que la construction dans (1.3) soit applicable il faut donner un sens au dual d’un motif et au produit tensoriel de deux motifs. C’est ici qu’il est nécessaire de considérer des variétés propres et lisses. En effet la formule de Künneth et la dualité de Poincaré suggèrent et (à un twist de Tate près). L’espace sera alors contrôlé444Pour les variétés générales qui ne sont pas projectives et lisses l’argument ci-dessus suggère qu’il n’est pas raisonnable d’espérer un lien entre et des anneaux de Chow. Effectivement dans les motifs de Voevodsky ces n’ont pas d’interprétation en terme d’invariants classiques, voir aussi la Remarque 8.7(4). par .
Une fois que la construction de cette catégorie est faite on pourra imaginer - et essayer de démontrer - des analogies entre et qui ne seraient pas raisonnables avec pour ensuite déduire des informations sur les anneaux de Chow en passant aux dans la catégorie. Par exemple on pourra imaginer que et ont « la même dimension », ce qui ne peut pas avoir lieu avec - voir l’analogie (1.1). Cette idée est à la base de la notion de dimension dans les motifs due à Kimura et O’Sullivan qui est l’ingrédient essentiel dans la preuve du Théorème 0.1(1) et joue également un rôle dans les parties (2) et (4) du même théorème.
1.2. Motifs mixtes
La théorie a beaucoup évoluée depuis ses fondations. Comme la théorie de Hodge, qui a évolué d’abord avec les structures de Hodge mixtes associées à des variétés qui ne sont pas forcément projectives ou lisses, pour arriver jusqu’aux modules de Hodge mixtes qui visent à étudier des familles de variétés sur des bases générales, également la théorie des motifs a eu une accélération significative avec la catégorie triangulée des motifs mixtes de Voevodsky jusqu’aux motifs relatifs sur une base générale [Ayo07, CD19]. Ces catégories sont liées par le formalisme des six foncteurs, tout comme les modules de Hodge mixtes. De plus, certains dans ces catégories permettent de retrouver les anneaux de Chow. On dispose également de foncteurs de réalisation, par exemple vers les faisceaux constructibles, qui permettent de retrouver les applications classes de cycles.
Tout comme dans le cas des variétés projectives et lisses expliqué plus haut, ces catégories ont l’avantage d’avoir des analogies avec les catégories cohomologiques. Par exemple on dispose d’une filtration de poids sur les motifs tout comme en théorie de Hodge mixte [Bon10]. (Une telle structure n’a pas de bons analogues dans les anneaux de Chow : par exemple un ouvert d’un espace affine a un anneau de Chow trivial alors que la filtration de poids en cohomologie peut être non triviale.) Un autre exemple est le résultat suivant d’Ayoub [Ayo14, Proposition 3.24] : une application entre motifs au-dessus d’une base est un isomorphisme si et seulement si la restriction de en tout point de l’est. Cet énoncé est bien entendu inspiré de son pendant pour les faisceaux constructibles ou étales.
Ces nouvelles catégories présentent un deuxième avantage : on dispose maintenant de beaucoup plus de flexibilité, analogue à celle permise par les modules de Hodge mixtes. Par exemple, si on veut étudier l’anneau de Chow d’une variété projective et lisse , on pourrait avoir envie de stratifier et d’étudier chaque strate, ou de fibrer au-dessus d’une base et d’étudier comment les fibres varient. Ce genre de construction mène très souvent à des variétés qui ne sont pas lisses et pour lesquelles les anneaux de Chow et leur fonctorialité ne sont pas définis : ces catégories de motifs permettent, entre autre, de contourner ce problème.
Ces techniques ont permis la construction de certains cycles « concrets », par exemple certains cycles prédits par la conjecture de Hodge joint au théorème de décomposition, qui étaient inaccessible par des méthodes directes. Notamment cela a été appliqué aux variétés de Shimura [Wil17], aux fibrés en quadriques [CDN22] et aux variétés hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne [ACLS22].
1.3. Complexes motiviques
Une troisième raison pour laquelle les motifs sont utiles à l’étude des cycles algébriques vient de leur définition moderne (depuis Voevodsky). Dans la théorie de Grothendieck les motifs sont des symboles formels et leur lien avec les cycles algébriques a lieu par construction. Dans les catégories modernes les motifs sont des complexes de faisceaux et il est possible d’en construire un certain nombre explicitement. Leur lien avec les cycles algébriques est loin d’être une tautologie et c’est en fait un des résultats plus profond de la théorie. On peut alors espérer que certaines questions délicates sur les cycles algébriques puissent devenir concrètes dans leur pendant faisceautique. C’est ce qui se passe notamment dans la construction de la réalisation de Betti [Ayo10] ou dans la preuve du Théorème 0.1(4), voir Section 8.
2. Cohomologies de Weil
Dans cette section on rappelle la définition classique de structure de Hodge (Définition 2.1) ainsi qu’une formulation équivalente qui se prête à mieux décrire les propriétés de positivité (Définition 2.2). Le but principal de la section est de rappeler ces propriétés de positivité ainsi que des propriétés d’autodualité des structures de Hodge puis de montrer que leurs analogues en cohomologie -adique sont faux en général (Remarque 2.16 et Exemple 2.17). La définition de polarisation est cruciale, on essaie de la justifier dans la Remarque 2.12.
D’autres différences entre la théorie de Hodge et ses analogues arithmétiques sont éparpillées un peu partout dans le texte, voir par exemple la Conjecture 3.18 ou la Remarque 6.9.
Définition 2.1.
(Structure de Hodge, définition classique.) Une structure de Hodge pure de poids est la donnée d’un -espace vectoriel de dimension finie muni d’une décomposition
(2.1) |
vérifiant .
Si on considère les espaces on trouve la définition équivalente suivante.
Définition 2.2.
(Structure de Hodge, définition équivalente.) Une structure de Hodge pure de poids est un triplet formé d’un -espace vectoriel de dimension finie , d’une décomposition
(2.2) |
en sous-espace réels et d’une structure complexe sur les espaces pour .
Les paires qui apparaissent dans la décomposition sont appelées les types de .
Remarque 2.3.
(Lien entre les définitions.) Les deux présentations ci-dessus sont bien équivalentes. On remarque que, pour , l’ espace est muni de deux structures complexes, par conséquent on a une décomposition
où est l’espace où les structures coïncident et est l’espace où elles sont conjuguées555On pourrait inverser le rôle de ces deux espaces, dans ce cas il faudrait changer les signes dans la Définition 2.9 pour avoir les mêmes conventions de signe classiques..
La Définition 2.2 est plus pratique pour exprimer des propriétés de positivité666En revanche la structure tensorielle s’exprime mieux avec la Définition 2.1, par la règle Dans le cas réel on remarque que a deux structures complexes quand et . Ceci induit une décomposition en deux espaces comme précédemment, celui où les structures coïncident contribue à et l’autre à où et sont le minimum et le maximum de la paire ., voir par exemple Définition 2.6.
Exemple 2.4.
-
(1)
(Cohomologie singulière.) Si est une variété projective et lisse sur les nombres complexes sa cohomologie singulière est munie d’une structure de Hodge fonctorielle en , plus précisément est pure de poids . Tous les théorèmes que l’on peut imaginer (Poincaré, Künneth, Lefschetz,) respectent cette structure supplémentaire.
-
(2)
(Variétés abéliennes.) Dans le cas particulier d’une variété abélienne complexe dont la variété analytique sous-jacente est on a , ce qui fait apparaître explicitement la structure complexe dans la Définition 2.2 de l’espace .
-
(3)
(Twist de Tate.) En poids il existe une seule structure de Hodge de dimension à isomorphisme non unique près. On fixe une telle structure de Hodge et on la note . Pour une structure de Hodge on note et on l’appelle twist de Tate; on choisit les de sorte à avoir l’identification
Remarque 2.5.
(Autodualité.) Une structure de Hodge n’est pas, en général, autoduale dans le sens où et ne sont pas en général isomorphes, même à un twist près (le seul twist pour lequel cette autodualité est raisonnable étant le poids).
Par exemple prenons une structure de Hodge de poids et supposons que la décomposition (2.2) ait deux facteurs non nuls Supposons de plus que soit compatible avec la structure rationnelle et ne le soit pas, c’est-à-dire que l’on ait l’égalité mais .
Si était autodual on aurait en particulier une forme bilinéaire sur pour laquelle et seraient l’orthogonal l’un de l’autre. Or comme une telle forme bilinéaire serait définie sur , l’espace serait forcé à être également compatible avec la structure rationnelle.
Il se trouve que toutes les structures de Hodge provenant de la géométrie algébrique sont autoduales. En fait même plus, elles sont munies d’une forme bilinéaire « aussi définie que possible », c’est l’objet de la définition de polarisation, rappelée ci-dessous.
Définition 2.6.
(Polarisation - poids pair.) Une polarisation sur une structure de Hodge pure de poids est une forme bilinéaire symétrique sur le -espace vectoriel telle que :
-
(1)
Les espaces sont orthogonaux deux à deux par rapport à ,
-
(2)
L’adjointe par rapport à de la structure complexe sur est sa conjuguée,
-
(3)
La restriction de aux facteurs est définie -positive777C’est-à-dire définie positive si est pair et définie négative si est impair..
Remarque 2.7.
-
(1)
Les deux premières propriétés de la définition sont équivalentes à l’existence d’un morphisme de structures de Hodge
- (2)
-
(3)
Une polarisation est automatiquement non dégénérée donc les structures de Hodge qui la possèdent sont autoduales. D’autre part il y a des structures de Hodge autoduales, même simples, qui n’admettent pas de polarisation, voir l’Exemple 2.8. Autrement dit la polarisabilité est une notion plus forte que l’autodualité.
Exemple 2.8.
(Autodualité vs polarisation.) Construisons une structure de Hodge simple et autoduale qui n’admet pas de polarisation. Soit une variété abélienne complexe de dimension et très générale. Alors la partie primitive est une structure de Hodge simple, de type et et polarisable (par le Corollaire 2.14). Définissons une nouvelle structure de Hodge où le -espace vectoriel est le même que , ainsi que la décomposition, mais on inverse le rôle de la partie avec la partie , c’est-à-dire
On prétend que satisfait aux propriétés requises. Premièrement remarquons qu’une polarisation sur induit un accouplement sur qui rend autoduale. D’autre part ce ne peut pas être une polarisation car les signes de la Définition 2.6 ne sont pas respectés. Il reste à montrer que n’admet pas de polarisation et pour cela il suffit de voir que est l’unique accouplement sur à scalaire près et donc que Or, par construction, on a . Pour comprendre les endomorphismes de , on prend le point de vue tannakien. Le groupe tannakien associé à est et la représentation sous-jacente à est géométriquement irréductible, donc
Nous rappelons ci-dessous la définition de polarisation dans le cas de poids impair, elle est un peu moins agréable. Même si on s’intéresse seulement aux classes algébriques les groupes de cohomologie de degré impair peuvent être utiles (par exemple la cohomologie d’une variété abélienne est contrôlée par son ) mais il est souvent suffisant de se rappeler uniquement que la définition de polarisation est stable par produit tensoriel (et donc une polarisation sur en induira une sur via ).
Définition 2.9.
(Polarisation - poids impair.) Une polarisation sur une structure de Hodge pure de poids est une forme bilinéaire alternée sur le -espace vectoriel telle que :
-
(1)
Les espaces soient orthogonaux entre eux par rapport à ,
-
(2)
L’adjointe par rapport à de la structure complexe sur est sa conjuguée,
-
(3)
La forme bilinéaire symétrique est définie -positive sur les facteurs .
Remarque 2.10.
-
(1)
La Remarque 2.7 s’applique également dans ce cas.
-
(2)
On pourrait vouloir travailler avec à la place de , dans ce cas les signes s’inverserait. On trouve plus agréable d’avoir de la positivité sur la « partie centrale » , c’est analogue à ce qui se passe dans la Définition 2.6 avec la partie centrale .
Exemple 2.11.
(Polarisations issues de la géométrie.) Soit une variété algébrique complexe de dimension . D’une part la dualité de Poincaré fournit une identification . D’autre part, le théorème de Lefschetz difficile donne un isomorphisme au moyen du choix d’une section hyperplane . En combinant les deux on obtient une forme bilinéaire non-dégénérée
Celle-ci est bien un morphisme de structure de Hodge, mais elle n’a pas les signes demandés par une polarisation. Pour les obtenir, il faut modifier les signes de certains facteurs de la décomposition de Lefschetz.
Par exemple écrivons la décomposition de Lefschetz en degré six
elle est orthogonale par rapport à l’accouplement ci-dessus. La décomposition de Hodge de chacune de ces quatre structures de Hodge est encore orthogonale ; la signature de est la suivante (où les cases vides sont pour les sous-espaces qui sont toujours réduits à zéro).
signes | ||||
---|---|---|---|---|
- | + | - | + | |
+ | - | + | ||
- | + | |||
+ |
Pour obtenir une polarisation il faudra donc changer le signe sur les facteurs et
Remarque 2.12.
(Pourquoi la définition de polarisation ?) Considérons le changement de signe expliqué dans l’exemple ci-dessus. Il serait tentant, à première vue, de changer encore de signe, cette fois-ci par rapport à la décomposition en , de sorte à avoir une forme quadratique définie positive dans la Définition 2.6. Le problème est que cette deuxième décomposition n’est pas en général définie sur et donc ce changement de signes donnerait une forme bilinéaire qui n’est pas définie sur .
De manière générale, pour les structures de Hodge provenant de la géométrie, on ne peut pas espérer avoir une forme quadratique qui soit à la fois définie sur , compatible avec la décomposition de Hodge et définie positive, voir l’Exemple 2.15. Il faut alors imaginer la Définition 2.6 comme la meilleure approximation d’un produit scalaire qui puisse exister pour les structures de Hodge issues des variétés algébriques. D’ailleurs la proposition ci-dessous montre que la polarisation a toutes les conséquences que l’on aimerait déduire d’un produit scalaire.
Proposition 2.13.
Soient une structure de Hodge, une polarisation sur et une sous-structure de Hodge. Alors la restriction de à est une polarisation. De plus l’orthogonal de par rapport à est une sous-structure de Hodge et on a l’égalité de structures de Hodge .
Corollaire 2.14.
Soit une variété complexe projective et lisse. Alors tout sous-structure de Hodge de la cohomologie singulière de est polarisable.
Exemple 2.15.
(Polarisations vs produits scalaires.) Construisons une structure de Hodge de poids zéro et d’origine géométrique telle que ne contient pas une forme quadratique définie positive.
Soit une courbe elliptique non et considérons . On a une décomposition de structures de Hodge , où a dimension et types et .
On prétend que est un -espace vectoriel de dimension . Pour le montrer on prend le point de vue tannakien. On peut voir que le groupe tannakien associé à est et que est la représentation standard. Le groupe agit sur et on a l’identification . D’autre part, la théorie classique des représentations nous dit que est géométriquement irréductible et donc que est un -espace vectoriel de dimension (au plus) .
D’autre part l’espace contient une polarisation, par le Corollaire 2.14, et donc cet espace est formé uniquement de multiples d’une polarisation. En particulier ne peut pas contenir une forme quadratique définie positive.
On peut aussi en déduire que n’admet pas une forme quadratique définie positive qui respecte la structure de Hodge car en est un facteur direct.
Le reste de la section insiste sur les différences entre théorie de Hodge et cohomologie -adique, au regard notamment de la notion de polarisation et des propriétés d’autodualité.
Remarque 2.16.
(Polarisations en cohomologie -adique ?) La proposition ci-dessus dit en particulier que les structures de Hodge issues de la géométrie algébrique forment une catégorie semi-simple et que chaque objet est autodual à un twist près. C’est une grande différence avec la cohomologie -adique : la semi-simplicité est seulement conjecturale et l’autodualité est fausse en général, voir l’Exemple 2.17.
La notion même de polarisation n’a pas d’analogue : on ne peut même pas formuler des propriétés de positivité analogues à celles de la Définition 2.6 pour la simple raison que la notion de positif n’a pas de sens dans .
On peut construire des accouplements sur la cohomologie -adique de la même façon qu’en théorie de Hodge, comme dans l’Exemple 2.11. On ne connait pas de formulation, même conjecturale, qui décrirait cette -forme quadratique. Par ailleurs les invariants d’une telle forme quadratique, comme son symbole de Hilbert, ne contrôlent pas ceux des sous-formes quadratiques (contrairement à ce qui se passe avec la signature). Ceci suggère que même si on trouvait une propriété analogue à la Définition 2.6 pour les groupes de cohomologies elle pourrait ne pas être valable pour les facteurs directs de .
Exemple 2.17.
(Non autodualité en cohomologie -adique.) Soient un corps de type fini et une courbe elliptique définie sur telle que soit un corps quadratique imaginaire. Prenons un nombre premier différent de la caractéristique de et tel que Alors l’action de donne une décomposition de représentations galoisiennes Le cup-produit induit une autodualité sur le , elle réalise comme dual de par la positivité de Rosati.
D’autre part on prétend que et ne sont pas isomorphes comme représentation de Galois, ce qui impliquera en particulier que n’est pas autodual. En effet s’ils étaient isomorphes on aurait , or on a comme prédit par la conjecture de Tate, montrée dans ce context par Tate, Faltings et Zarhin.
Remarque 2.18.
L’exemple ci-dessus dépend du nombre premier choisi. On s’attend à ce que l’on ne puisse pas trouver une représentation d’origine géométrique, « indépendante de » et non autoduale. Cette idée est rendue précise par les motifs, voir la Conjecture 3.5 et la remarque qui la suit.
3. Conjectures standard et moins standard
Soient un corps de base et une cohomologie de Weil. Considérons le diagramme (0.14) qui représente des catégories de motifs :
on les considère toujours à coefficients rationnels. Pour chaque variété projective et lisse , de dimension , on considère son motif , on utilisera ce même symbole dans les différentes catégories, on précisera la catégorie concernée si cela est important.
Le but de cette section est de donner une collection de conjectures qui permettent d’avoir une intuition sur les motifs. Ces conjectures sont essentiellement classiques, hormis la Conjecture 3.5 d’autodualité et la Conjecture 3.7 de positivité qui sont nouvelles à notre connaissance.
La section est organisée en trois sous-sections. La première présente les conjectures principales de la théorie (qui essentiellement entrainent les autres conjectures). La deuxième sous-section présente les conjectures dite standard de Grothendieck. La dernière porte sur la notion de dimension finie de Kimura.
Avec les techniques actuelles ces conjectures sont hors de portée en toute généralité, mais il est possible en démontrer des cas particuliers, comme on le verra dans les sections successives.
Conjectures principales
Conjecture 3.1.
(Chow–Künneth.) Il existe une décomposition (non unique)
dans la catégorie telle que .
Remarque 3.2.
-
(1)
(Non unicité.) Le facteur existe toujours. Pour le construire il suffit de considérer une application constante de vers : elle sera bien l’identité sur le et nulle sur les autres groupes. Le facteur ainsi défini dépend de l’image de cette application constante, ou plus précisément de sa classe modulo équivalence rationnelle. En particulier une telle décomposition ne peut pas être unique en général.
-
(2)
(Autodualité.) On peut conjecturer l’existence d’une décomposition de Chow–Künneth qui ait la propriété supplémentaire d’être autoduale, c’est-à-dire que si on considère la dualité de Poincaré alors le facteur correspond à . D’un point de vue de cycles algébriques cela veut dire que les projecteurs sont donnés par une collection de cycles dans telle que , où est l’inversion des deux facteurs. Ce n’est pas automatique de construire une décomposition autoduale à partir d’une décomposition de Chow–Künneth : même si l’on pose on pourrait avoir que les projecteurs et ne sont pas orthogonaux.
Conjecture 3.3.
(Conservativité.) Tous les foncteurs du diagramme (0.14) sont conservatifs, c’est–à-dire un morphisme entre motifs est en fait un isomorphisme si son image via un de ces foncteurs du diagramme l’est.
Définition 3.4.
On dit qu’un motif est de poids s’il est facteur direct d’un motif de la forme .
Conjecture 3.5.
(Autodualité.) Si est un motif de poids (toujours à coefficients rationnels) alors il existe un isomorphisme (non unique)
Remarque 3.6.
-
(1)
(Autodualité des motifs vs autodualité en cohomologie.) Les groupes de cohomologies jouissent de ce type d’autodualité via la dualité de Poincaré et l’isomorphisme de Lefschetz difficile (qui dépend du choix d’une section hyperplane), mais en général les facteurs directs de n’ont pas cette propriété d’autodualité, voir l’Exemple 2.17. Ceci n’est pas en contradiction avec la conjecture ci-dessus : les exemples construits ne sont pas la réalisation d’un motif à coefficients rationnels.
-
(2)
(Lien avec les conjectures classiques.) Cette conjecture est nouvelle à notre connaissance. Nous trouvons sa formulation naturelle et elle nous a guidé dans l’étude de la conjecture de conservativité, voir la Section 5. Elle suit par ailleurs de conjectures classiques de positivité (notamment la Conjecture 3.15 que l’on verra plus loin), de la même manière que l’autodualité pour les structures de Hodge suit des propriétés de positivité des polarisations, voir la Proposition 2.13 et la remarque qui la suit.
Conjecture 3.7.
(Positivité.) Supposons que le corps de base soit de caractéristique . Soient un motif homologique sur et
un morphisme dans . Supposons que soit la réduction modulo d’une application définie en caractéristique zéro. Définissons comme la restriction de à toutes les classes algébriques de et comme la réalisation singulière de .
Supposons que soit une polarisation. Alors est définie positive.
Remarque 3.8.
-
(1)
(Sur la relevabilité.) L’hypothèse de relevabilité à la caractéristique zéro est vérifiée dans des cas intéressants, par exemple les variétés abéliennes. Dans ce cas, les classes algébriques qui se relèvent à la caractéristique zéro vérifient automatiquement la conjecture, voir la Remarque 2.7. Soulignons tout de même qu’il y a en général des classes algébriques qui ne sont pas relevables, même dans le cas des variétés abéliennes.
-
(2)
(Lien avec les conjecture classique.) Cette conjecture est nouvelle et nous ne savons pas si elle peut se déduire de conjectures classiques. Nous trouvons sa formulation naturelle et elle nous a guidé dans l’étude de la conjecture standard de type Hodge, voir la Section 6.
Conjectures standard
Conjecture 3.9.
(Künneth.) Dans la catégorie des motifs homologiques, il existe une décomposition
telle que la réalisation de soit .
Remarque 3.10.
(Lien avec Chow–Künneth.) Cette conjecture est bien sûr une conséquence de la Conjecture 3.1.
Remarquons qu’une décomposition de Künneth est automatiquement unique et autoduale par définition d’équivalence homologique : il s’agit de la graduation de et de la dualité de Poincaré en cohomologie. C’est une différence avec la décomposition de Chow–Künneth, voir la Remarque 3.2.
Conjecture 3.11.
(Lefschetz.) Soient la dimension de et une section hyperplane de . Alors pour tout il existe une correspondance dans dont la réalisation en degré induit un isomorphisme
qui est l’inverse du cup produit par .
Remarque 3.12.
(Lien avec l’autodualité.) La Conjecture standard de type Leschetz 3.11 implique la Conjecture standard de type Künneth 3.9, c’est un argument classique de Kleiman [Kle68].
Inversement, si vérifie Künneth alors la conjecture de type Lefschetz est équivalente à l’autodualité du motif homologique . Cette équivalence se déduit de la Proposition 4.5. Elle montre en particulier que la conjecture de type Lefschetz ne dépend pas de la section hyperplane choisie et elle suit de la Conjecture d’autodualité 3.5.
Conjecture 3.13.
(.) Le foncteur est une équivalence.
La quatrième et dernière des conjectures standard est celle de type Hodge. Pour la formuler il est nécessaire d’introduire la proposition suivante.
Proposition 3.14.
(cf. [Anc21, §3]) Supposons que vérifie la conjecture standard de type Lefschetz (Conjecture 3.11). Choisissons une section hyperplane .
Alors le motif homologique admet une décomposition en parties primitives et il est possible de construire un accouplement
de façon analogue à la construction d’une polarisation sur la cohomologie singulière d’une variété algébrique complexe888En particulier, si et est la cohomologie singulière, est la polarisation classique induite par ., voir l’Exemple 2.11.
De plus, si on restreint l’accouplement
aux classes algébriques on obtient une -forme quadratique
dont le noyau est formé exactement par les cycles numériquement triviaux999Autrement dit, la conjecture pour est équivalente à dire que est non dégénérée.. En particulier induit une forme quadratique sur les cycles modulo équivalence numérique
qui est non dégénérée.
Conjecture 3.15.
(Conjecture standard de type Hodge.) La forme quadratique
introduite ci-dessus est définie positive.
Remarque 3.16.
(Lien avec la conjecture de positivité.) La conjecture standard de type Hodge (Conjecture 3.15) ne demande pas la relevabilité de à la caractéristique zéro et en ce sens elle est plus générale que la Conjecture de positivité 3.7. D’autre part pour les variétés relevables la Conjecture 3.7 est plus générale que la conjecture standard de type Hodge, car elle s’applique à des polarisations abstraites qui ne seraient pas forcément celles provenant d’une section hyperplane.
Remarque 3.17.
(Positivité en caractéristique zéro.) En caractéristique zéro, la forme quadratique introduite ci-dessus est définie positive : c’est une conséquence des propriétés de positivité d’une polarisation (dites relations de Hodge–Riemann), voir Remarque 2.7. En particulier, en caractéristique zéro, la conjecture standard de type Lefschetz implique les autres conjectures standard.
Une autre différence entre la caractéristique zéro et la caractéristique positive se trouve dans la conjecture suivante.
Conjecture 3.18.
Considérons l’application classe de cycle -adique Alors le -espace vectoriel est de dimension finie. Plus précisément l’application canonique est injective.
Remarque 3.19.
Cette conjecture est une conséquence de la conjecture car l’équivalence numérique commute à l’extension des scalaires. En caractéristique zéro elle est connue : on utilise les théorèmes de comparaison pour se reporter à la cohomologie singulière.
Motifs de dimension finie
Conjecture 3.20.
(Dimension finie.) Tout motif de Chow admet une décomposition (non unique)
vérifiant et pour un naturel assez grand.
Remarque 3.21.
-
(1)
(Lien avec les autres conjectures.) Supposons que admet une décomposition de Chow–Künneth (Conjecture 3.1). Alors
devraient vérifier la conjecture ci-dessus. En effet la conservativité (Conjecture 3.3) prédit qu’il suffit de vérifier ces relations en cohomologie, or la réalisation de est un espace vectoriel gradué de dimension finie concentré en degrés pairs, par conséquence toute puissance -ème extérieure l’annule dès que est plus grand que la dimension totale.
Le raisonnement est analogue pour . On remarque que la réalisation est concentrée en degré impair et que, par la règle des signes de Koszul, une puissance symétrique sur un motif ou une variété devient une puissance extérieure sur les groupes de cohomologie.
-
(2)
(Applications.) Au delà d’être une conjecture naturelle, la notion de dimension finie s’est avéré être utile : elle est stable par plusieurs opérations, dont le produit tensoriel et le passage à un facteur direct, elle est vérifiée au moins par les courbes, et elle permet de déduire la conservativité pour tous les foncteurs tensoriels quotient (notamment et de (0.14)). Cela a permis à Kimura de déduire la conjecture de Bloch pour les surfaces dominées par un produit de courbes [Kim05], voir le Théorème 0.1(1). En appliquant ces propriétés de conservativité au Frobenius, Kahn a déduit que l’application classe de cycle est injective pour les produits de courbes elliptiques sur un corps fini [Kah03], voir le Théorème 0.1(2).
4. Exemples
Dans cette section on discute des exemples de motifs. Ces exemples sont organisés dans trois sous-sections. Dans la première on présente des cas classiques où les conjectures de la section précédente sont vérifiées. La deuxième sous-section montre des subtilités (assez amusantes !) entre les différentes réalisations. La dernière partie étudie les motifs de variétés abéliennes CM. Tous les exemples de cette section sont repris à plusieurs endroits dans le texte.
On continue à travailler avec le diagramme (0.14) :
et indiquera le motif d’une variété dans les différentes catégories, on précisera la catégorie concernée si cela est important.
Quelques évidences des conjectures de la Section 3
Proposition 4.1.
Soient un motif homologique, un endomorphisme de et le polynôme caractéristique de agissant sur . Supposons que et soient premiers entre eux pour tous les . Alors admet la décomposition de Künneth
voir la Conjecture 3.9. De plus les projecteurs de cette décomposition appartiennent à l’algèbre .
Remarque 4.2.
-
(1)
La preuve est élémentaire : on applique l’identité de Bezout entre et voir [KM74].
-
(2)
On peut appliquer cette proposition à toute variété projective et lisse définie sur un corps fini et à leur Frobenius : les polynômes vont bien entre premiers être eux par les conjectures de Weil.
La proposition s’applique aussi aux variétés abéliennes sur un corps quelconque. Dans ce cas est la multiplication par un entier .
-
(3)
Ces résultats ne s’étendent pas automatiquement à une décomposition de Chow–Künneth (Conjecture 3.1), notamment pour les variétés sur un corps fini c’est une question ouverte. On dispose d’une décomposition de Chow–Kunneth pour les variétés abéliennes [DM91], mais pour cela il faut utiliser la transformée de Fourier, voir Section 8.
Proposition 4.3.
Soient un motif homologique et un endomorphisme de . Alors est inversible si et seulement si son action en cohomologie l’est.
Remarque 4.4.
-
(1)
La preuve est élémentaire : on applique Cayley–Hamilton.
-
(2)
Cette question donne une réponse affirmative à la Conjecture 3.3 de conservativité pour le foncteur
pour les endomorphismes. On peut partiellement étendre le résultat aux morphismes quelconques de la façon suivante.
Proposition 4.5.
Soient et deux motifs homologiques et considérons deux applications et . Supposons que et soient des isomorphismes en cohomologie, alors et sont des isomorphismes.
Remarque 4.6.
-
(1)
C’est une conséquence de la Proposition 4.3 appliquée aux endomorphismes et .
-
(2)
On remarquera que ce n’est pas une solution complète de la conservativité pour : étant donné un morphisme il faut être capable d’en construire un dans l’autre sens. Cette proposition est tout de même utile comme on peut le voir dans la proposition ci-dessous, ainsi que dans la Section 5.
Proposition 4.7.
(Kleiman [Kle68]) Soit une variété abélienne de dimension . Alors son motif homologique admet une décomposition de Künneth
et un isomorphisme de motifs en algèbres de Hopf graduées
qui donne en cohomologie l’isomorphisme classique101010Le changement de puissance symétrique en alternée est le même que celui dans la Remarque 3.21(1). . De plus vérifie la conjecture standard de type Lefschetz (Conjecture 3.5 et Conjecture 3.11)
Démonstration.
On considère l’inclusion diagonale . Elle induit une application qui donne une application De façon analogue on construit une application dans l’autre sens en partant du morphisme de somme .
On peut maintenant appliquer la Proposition 4.5 et déduire . Les applications construites ci-dessus respectent les structures d’algèbre de Hopf par définition de ces dernières, ce sont d’ailleurs les structures d’algèbre de Hopf qui forcent ces applications à être des isomorphismes en cohomologie.
L’égalité est donnée par la dualité de Poincaré, voir la Remarque 3.10. Pour l’autodualité on se réduit au cas , grâce à l’égalité .
Pour on applique encore la Proposition 4.5. Une application est donnée par l’opérateur de Lefschetz . Pour l’autre sens, fixons une isogénie entre et sa duale , ce qui donne un isomorphisme . Il s’agit alors de construire une application de vers . C’est la donné d’un diviseur sur , le diviseur de Poincaré convient. ∎
Remarque 4.8.
Les résultats de la proposition ci-dessus sont valables même dans mais leur preuve est plus délicate et repose sur la transformée de Fourier pour les anneaux de Chow de variétés abéliennes, voir aussi la Section 8.
Motifs et théorèmes de comparaison
Exemple 4.9.
(Réduction supersingulière et -structures.) Soit une surface K3 complexe de rang de Picard maximal et choisissons un premier de bonne réduction tel que la réduction soit supersingulière. La surface quartique de Fermat avec est un tel exemple [SK79]. Dans ce cas le motif homologique vérifie
Le motif est appelé motif transcendant. Sa réalisation singulière est une structure de Hodge de dimension et de type . Sa réduction modulo est isomorphe à .
Notons le motif , sa réalisation singulière, sa réduction modulo , et les classes algébriques en caractéristique , c’est-à-dire . Remarquons que et sont des -espaces vectoriels de dimension .
Considérons les identifications
(4.1) |
où la première est donnée par le théorème de comparaison d’Artin entre cohomologie singulière et -adique, la deuxième suit du théorème de changement de base propre et lisse et la dernière vient de la propriété de supersingularité. On peut imaginer l’identification comme un isomorphisme de périodes. C’est ce point de vue qui a inspiré le travail présenté dans la Section 7.
Il est naturel de se demander si les deux -structures et sont respectées sous cette identification. Expliquons pourquoi la réponse est non. Si on considère le cup-produit sur et on déduit deux -formes quadratiques et . Si les espaces étaient égaux on aurait, en particulier, que ces deux formes quadratiques seraient isomorphes. Or est définie positive par les relations de Hodge–Riemann et est définie négative par le théorème de l’indice de Hodge111111Voir respectivement la Définition 2.6 et la Conjecture 3.15, qui est connue pour les diviseurs. Les formes quadratiques qu’y apparaissent sont obtenues à partir du cup-produit par un changement de signe..
Remarque 4.10.
Gardons les notations de l’exemple ci-dessus. C’est intéressant de regarder les -formes quadratiques et non seulement à la place à l’infini mais aussi aux autres completions de . L’identification (4.1) montre l’égalité pour tout . La seule place qui reste à déterminer est en . Or elle est déterminée par les autres places121212Cela suit de la formule du produit sur les symboles de Hilbert, l’argument sera détaillé dans la Section 6. et en particulier puisque .
Une remarque amusante : observons que la forme quadratique reconnait le nombre premier , c’est en effet le seul nombre premier pour lequel . En particulier si on fait varier parmi tous les premiers à réduction supersingulière on trouvera des -formes quadratiques toujours différentes.
Plus sérieusement, remarquons que les -espaces et ont une interprétation cohomologique : est isomorphe à la réalisation -adique de , encore par le théorème de comparaison d’Artin, et est la partie Frobenius invariante de la réalisation crystalline de . Il est naturel alors de se demander si la relation peut s’obtenir par des méthodes purement -adiques, par exemple via la théorie de Hodge -adique. La réponse est oui, elle sera esquissé dans la Section 6. Ces techniques permettront par ailleurs de montrer des cas de la Conjecture de positivité 3.7, voir encore la Section 6.
Exemple 4.11.
(Périodes.) Considérons la catégorie des motifs définis sur le corps . Elle est munie de deux foncteurs vers les -espaces vectoriels gradués
la réalisation singulière, ou de Betti, et la réalisation de de Rham algébrique. Les théorèmes de comparaison fournissent une identification
essentiellement induite par l’integration des formes différentielles algébriques sur des simplexes topologiques. Les coefficients complexes qui apparaissent dans cette identification sont appelés périodes et sont attendus être aussi transcendants que possible.
Le formalisme tannakien montre l’existence d’isomorphismes
de foncteurs monoïdaux (mais on ne sait pas en construire un explicitement). Montrons qu’en revanche il ne peut pas y avoir d’isomorphisme monoïdal entre et et même que l’on a
Pour le montrer il suffit de trouver un motif muni d’une application
telle que les réalisations et sont deux formes quadratiques avec signature différente.
Par exemple on peut prendre tel que soit une structure de Hodge de poids et types et et tel que soit une polarisation de , voir Définition 2.6. Alors la signature de la forme quadratique est .
D’autre part la réalisation respecte la filtration de de Rham et donc l’espace est isotrope ce qui force la signature de à vérifier . Or , il suffit donc de trouver un exemple où l’on a pour conclure.
De tels exemples se trouvent dans la catégorie engendrée par les courbes d’équation , voir [Sch15]. Plus précisément sera131313Remarquons que le premier candidat que l’on pourrait imaginer, à savoir avec une surface, ne peut pas fonctionner. En effet pour les surface on a l’inégalité opposée : , voir [Sch15, Proposition 22]. la partie -invariante du motif pour certains entiers et pour un groupe fini convenable agissant sur et défini sur .
Notons par ailleurs que, par le théorème de comparaison de de Rham, est isomorphe à la cohomologie de de Rham classique du lieu complexe sous-jacent, calculée à l’aide des formes différentielles à coefficients réels. En particulier on vient de montrer que, pour les variétés algébriques définies sur , il ne peut pas y avoir d’isomorphisme naturel entre la cohomologie de de Rham algébrique de la variété et la cohomologie de de Rham classique du lieu complexe.
Motifs de variétés abéliennes CM
La Proposition 4.7 montre que le motif d’une variété abélienne est contrôlé par son . Si est une variété abélienne CM on peut utiliser l’action CM pour décomposer et donc le motif de tout entier. Cette décomposition est bien utile : Clozel l’avait déjà utilisée pour un résultat sur la conjecture (voir le Théorème 5.4) et on l’utilisera également pour les Conjectures de conservativité et de positivité, voir les Section 5 et 6.
D’autre part, bien qu’élémentaire, cette décomposition n’est pas digeste à la première lecture, on encourage à y revenir au fur et à mesure de ses applications.
Exemple 4.12.
Soit une variété abélienne simple de dimension définie sur un corps fini. Fixons une polarisation et considérons l’involution de Rosati induite sur Par Honda–Tate il existe un corps CM de degré et une inclusion tels que l’involution laisse stable et agit comme la conjugaison complexe sur .
Considérons l’action de sur le motif dans la catégorie des motifs de Chow à coefficients dans une clôture galoisienne de . Elle décompose le motif
(4.2) |
en une somme de facteurs échangés par l’action du groupe de Galois et la réalisation de chaque facteur est une droite propre pour l’action de . De plus le choix d’une polarisation induit un morphisme dans
Par rapport à cet accouplement, une droite propre est orthogonale à toutes les autres hormis sa conjuguée complexe.
À l’aide de la formule on déduit une décomposition de dans en somme de facteurs dont la réalisation a dimension un : chaque facteur correspond au produit tensoriel de différents . De plus l’accouplement rend la réalisation d’une telle droite orthogonale à toutes les autres hormis sa conjuguée complexe.
Remarque 4.13.
Gardons les notations de l’exemple ci-dessus.
-
(1)
Soient les valeurs propres de l’action du Frobenius sur comptées avec multiplicité. Quitte à les renuméroter on a , où est le cardinal du corps de base. Cette symétrie des valeurs propres provient de l’accouplement parfait .
Les valeurs propres de l’action du Frobenius sur sont données par tous les produits possibles de distincts . La dimension de l’espace des classes Galois-invariantes dans est alors donnée par le nombre de collections vérifiant
(4.3) La conjecture de Tate prédit que chaque droite propre de correspondant à une telle collection contient une classe algébrique.
Cette conjecture est connue pour les diviseurs. Une droite propre contient donc une intersection de diviseurs si et seulement si la collection vérifie
(4.4) quitte à renuméroter.
-
(2)
Soit le plus grand sous-corps totalement réel de . Le groupe de Galois est d’ordre deux, engendré par la conjugaison complexe. Son action recolle la décomposition de l’exemple ci-dessus en une décomposition de dans la catégorie des motifs de Chow à coefficients dans . Cette décomposition est orthogonale par rapport à l’accouplement . Les facteurs obtenus sont de rang un ou deux.
-
(3)
L’action du groupe de Galois recolle la décomposition de l’exemple ci-dessus en une décomposition de dans la catégorie des motifs de Chow à coefficients rationnels. Cette décomposition est orthogonale par rapport à l’accouplement . Le rang des facteurs obtenus varie et vaut au plus .
Par la description du point (1) on remarque que chaque facteur de rentre dans une des trois catégories suivantes :
-
(a)
La réalisation du facteur est engendrée par des classes qui sont toutes intersections de diviseurs,
-
(b)
La réalisation du facteur est Frobenius invariante mais ne contient aucune intersection de diviseurs,
-
(c)
Le Frobenius agissant sur la réalisation du facteur n’a aucun vecteur fixe.
Pour les questions de cycles algébriques c’est surtout la classe (b) qui est intéressante. Si est de dimension quatre les facteurs de ce type ont toujours rang deux. Pour le montrer il s’agit d’étudier les quadruplets vérifiant (4.3) mais qui ne vérifient pas (4.4). C’est une étude élémentaire mais dont la combinatoire est délicate, voir [Anc21, §7] pour les détails.
-
(a)
5. Autodualité et conservativité
Cette section concerne les Conjectures 3.3 et 3.5 de conservativité et d’autodualité et les résultats que l’on peut obtenir pour les variétés abéliennes. On notera
les catégories de motifs engendrées par les motifs de variétés abéliennes.
On commence par rappeler les théorèmes fondamentaux de semisimplicité de Jannsen et de nilpotence de Kimura, puis on en déduit les Conjectures 3.3, et 3.5 pour , avec .
Dans une deuxième partie on explique le contenu de [Anc22] qui étudie ces conjectures pour . Il faudra combiner les théorèmes de Jannsen et Kimura avec les décompositions de l’Exemple 4.12 induites par la multiplication complexe. Cette méthode est inspirée par un travail de Clozel [Clo99] que nous rappellons également.
Théorème 5.1.
(Jannsen [Jan07]) La catégorie des motifs numériques est semisimple.
Théorème 5.2.
Proposition 5.3.
Démonstration.
La conjecture standard de type Lefschetz est vraie pour les variétés abéliennes (Proposition 4.7). En caractéristique zéro, on peut en déduire (Remarque 3.17).
De plus, on peut munir d’un accouplement
dont la réalisation singulière est une polarisation (Proposition 3.14). On en déduit que pour tout facteur direct du motif homologique la restriction de l’accouplement à induit un isomorphisme . (Ce fait est impliqué par la Proposition 2.13 et c’est le point crucial où on l’utilise que les motifs sont définis sur . ) L’autodualité pour les motifs homologiques se relève aussi dans par le Théorème 5.2.
Passons maintenant à la conservativité et considérons le diagramme (0.14). Encore par le Théorème 5.2, il suffira de démontrer la conservativité de la réalisation des motifs homologiques . D’autre part, la conjecture déduite au début de la preuve dit que les catégories et coincident. En particulier, par le Théorème 5.1, est un foncteur entre catégories semisimples, il est donc conservatif. ∎
Dans la suite de la section on travaille sur un corps fini . Ce qui remplacera l’utilisation de la polarisation dans la preuve ci-dessus est la multiplication complexe, via les décompositions de l’Exemple 4.12.
Théorème 5.4.
(Clozel [Clo99]) Soit une variété abélienne sur un corps fini. Alors il existe une infinité de nombres premiers tels que l’équivalence numérique coïncide avec l’équivalence homologique pour la cohomologie -adique.
Démonstration.
On se ramène au cas où est simple. Soient les corps de nombres introduits dans l’Exemple 4.12 et la Remarque 4.13(2). (Ces corps dépendent de et plus précisément du choix d’un corps CM dans ses endomorphismes.)
Fixons un nombre premier tel qu’il existe une place de au-dessus de telle que la complétion ne contienne pas . On va montrer qu’un tel convient. Remarquons qu’il y a une infinité de tels et que l’on peut estimer leur densité avec Chebotareff.
Considérons les classes algébriques de codimension que l’on voit comme classes dans et soit l’accouplement construit dans l’Exemple 4.12. Puisqu’il est non dégénéré il suffit de voir que pour chaque classe algébrique non nulle il existe une classe algébrique telle que . On vérifie que la question est stable par changement de coefficients et on travaille avec les cycles à coefficients dans et la réalisation -adique à valeurs dans les -espaces vectoriels. Dans ce cas on utilise la décomposition de la Remarque 4.13(2) en plans et droites. Il suffit alors de travailler avec un seul de ces facteurs et supposer que vit dans . Dans ce cas, si la forme quadratique est sans vecteur isotrope sur le choix convient.
Si a dimension un cela suit du fait que est non dégénérée sur chaque facteur de la décomposition et donc sur . Si a dimension deux alors il admet au plus deux droites isotropes. Ces deux droites existent au moins sur : il s’agit de la décomposition en droites de l’Exemple 4.12. Montrons que ces droites ne sont pas contenues dans le -espace vectoriel . Pour cela il suffira de construire un endomorphisme dans la catégorie dont ces droites sont des droites propres et de valeurs propres appartenant à . Cela donnera la conclusion voulue puisqu’on a que ne contient pas .
La construction de ce procède ainsi. Considérons la décomposition (4.2). Quitte à changer la numérotation, le motif est de la forme
où est la conjugaison complexe. Fixons un ordre sur les , ceci permet de réaliser comme facteur direct de dans la catégorie . On peut alors définir par l’action induite par un générateur de sur le premier terme du produit tensoriel et l’identité sur les autres . ∎
Proposition 5.5.
La conjecture d’autodualité 3.5 est vraie pour les motifs de de poids pair et dont la réalisation a dimension un.
Démonstration.
Soient un tel motif et son poids (pair). On a une variété abélienne , telle que est facteur direct de .
On veut montrer que . Par le Théorème 5.2 il suffit de montrer . Par la semisimplicité de Jannsen, il suffit alors de montrer que . Cet énoncé peut se démontrer après extension des scalaires. On étend les scalaires au corps de la Remarque 4.13(2).
On utilise la décomposition de cette même remarque. Par semisimplicité on peut supposer que soit un facteur direct d’un des facteurs de cette décomposition. Rappelons que l’on dispose d’un accouplement non-dégénéré sur et que a dimension un ou deux.
Si a dimension un alors et on a terminé. Si a dimension deux, remontons aux motifs homologiques, via le Théorème 5.2. On pourra alors utiliser la réalisation et il suffira de montrer que l’accouplement restreint à la droite qui est la réalisation de reste non-dégénéré, autrement dit que la droite n’est pas isotrope. (C’est ici que l’on utilisera que le poids est pair. Remarquons notamment que si le poids est impair l’accouplement sur est alterné et donc toute droite est isotrope.)
La subtilité est que la catégorie des motifs homologiques dépend a priori de la cohomologie choisie mais la bonne nouvelle est qu’il suffit d’étudier une seule cohomologie bien choisie. On utilise alors la cohomologie -adique comme dans la preuve du Théorème 5.4 avec le même choix de : on y avait montré que la réalisation de est sans vecteurs isotropes. ∎
Théorème 5.6.
Les foncteurs de réalisation -adique
sont conservatifs.
Démonstration.
Soit une application dans telle que soit un isomorphisme. On veut montrer que est un isomorphisme également.
Par le Théorème 5.2 il suffira de travailler avec l’équivalence homologique. En utilisant la décomposition de Künneth, il suffira de supposer que et sont concentrés en un même degré cohomologique.
Supposons d’abord que et aient dimension un. On dispose d’applications
où la première et la dernière application sont obtenues par adjonction à partir de et l’isomorphisme central vient de la Proposition 5.5.
Dans ce cas les réalisations des applications ci-dessus sont des isomorphismes et par la Proposition 4.5 on a donc .
Travaillons maintenant dans le cas général : soit la dimension de et . Supposons que leur degré cohomologique soit pair (sinon il faudra remplacer des produits extérieurs par des produits symétriques dans la suite). L’application
retombe dans le cas particulier de la dimension un traité au-dessus. C’est donc un isomorphisme et on dispose de l’application .
On peut maintenant construire une application via
où le premier et le dernier isomorphisme viennent du lemme ci-dessous et l’application centrale est Par construction, est un isomorphisme, on conclut alors par la Proposition 4.5. ∎
Lemme 5.7.
([O’S05, Lemma 3.2]) Soit un motif homologique dont la réalisation est concentrée en un degré pair et de dimension , alors
Démonstration.
Le motif est un facteur direct de . Ceci fournit deux applications entre et dans les deux directions. Leur réalisation est un isomorphisme, on conclut par la Proposition 4.5. ∎
6. Positivité en caracteristique positive
Dans cette section nous étudions la Conjecture de positivité 3.7. Le résultat principal dit que la conjecture est vérifiée pour les motifs de dimension et à réduction supersingulière (Théorème 6.1). Nous expliquons ensuite comment appliquer ce résultat pour déduire la Conjecture standard de type Hodge 3.15 pour certaines variétés, par exemples les variétés abéliennes de dimension quatre. Puis nous discutons le rôle de l’hypothèse de dimension .
Théorème 6.1.
Soient un motif homologique sur un corps de caractéristique et un morphisme dans . Supposons que soit la réduction modulo d’une application définie en caractéristique zéro.
Définissons comme la restriction de à toutes les classes algébriques de et comme la réalisation singulière de .
Supposons que soit une polarisation et supposons avoir . Alors est définie positive.
Remarque 6.2.
(Sur les hypothèses : relevabilité et rang .) Il n’est pas rare d’avoir des motifs qui se relèvent à la caractéristique zéro. Par exemple il est attendu que tout motif sur un corps fini se relève, car la conjecture de Tate prédit qu’un tel motif serait de type abélien. En général, même si un motif se relève, ses classes algébriques ne se relèveront pas à la caractéristique zéro, ce qui rend les résultats de positivité difficiles, puisqu’ils ne peuvent pas se déduire des propriétés de positivité des polarisation, voir Définition 2.6.
L’hypothèse restrictive dans le théorème ci-dessus est la dimension deux. La façon d’utiliser ce résultat pour déduire la conjecture standard de type Hodge pour certaines variétés est la suivante. On décompose le motif d’une variété donnée autant que possible. Certains facteurs ne posséderont pas de classes algébriques, d’autres en posséderont uniquement certaines pour lesquels la conjecture standard de type Hodge peut se déduire des cas connus : par exemple ce sont des classes qui se relèvent à la caractéristique zéro ou qui sont construites à partir de diviseurs. Enfin, ils resteront parfois des facteurs qui possèdent des classes algébriques qui ne se ramènent pas à des cas connus. Le point est alors de trouver des variétés pour lesquels ces derniers facteurs sont de dimension deux. Un exemple est donné dans le corollaire ci-dessous.
Corollaire 6.3.
Soit une variété abélienne de dimension quatre définie sur un corps de caractéristique . Alors
-
(1)
La Conjecture standard de type Hodge 3.15 est vraie pour ,
-
(2)
Le produit d’intersection
est de signature , où
-
(3)
Il y a une infinité de nombres premiers pour lesquels l’équivalence numérique sur coïncide avec l’équivalence homologique pour la cohomologie -adique.
Démonstration.
Par un argument de spécialisation on peut supposer que le corps de définition est fini. On peut alors utiliser la décomposition de la Remarque 4.13(3). Les facteurs qui sont a priori mystérieux pour la Conjecture standard de type Hodge 3.15 sont ceux de type (b), dans la notation de la même remarque. Il se trouve que tous ces facteurs de toutes les variétés abéliennes de dimension quatre sont bien de dimension deux. Ce fait est un petit miracle combinatoire, voir [Anc21, §7] pour les détails ou la Remarque 4.13(3) pour un aperçu.
Les points (1) et (2) sont en fait équivalents. Cette équivalence n’utilise pas le fait que est une variété abélienne mais uniquement la dimension quatre. Elle se déduit de la décomposition en parties primitives.
Remarque 6.4.
-
(1)
(Dimension supérieure.) Pour les variétés abéliennes de dimension quelconque on pourra encore utiliser la décomposition de la Remarque 4.13(3). En général les facteurs (b) de la remarque auront dimension plus grande que deux. On peut tout de même trouver des exemples sporadiques pour lesquels ces facteurs de type (b) ont rang et déduire la conjecture standard de type Hodge à l’aide du Théorème 6.1. Ceci a été récemment étudié par Koshikawa [Kos22].
-
(2)
(Supersingularité vs Frobenius invariant.) On remarquera un petit décalage entre l’hypothèse de supersingularité du Théorème 6.1 et la caractérisation des facteurs (b). Tout d’abord remarquons que ces deux descriptions sont équivalentes sous la conjecture de Tate.
Inconditionnellement, a priori, parmi les facteurs de type (b) certains pourraient ne pas posséder de classe algébrique : ces facteurs pourront être négligés à l’étude de la conjecture standard de type Hodge. Pour les autres on a besoin de montrer que dès qu’un facteur a une classe algébrique il est engendré par des classes algébriques. Ceci se montre en utilisant l’action CM mais l’argument nécessite de travailler avec l’équivalence numérique. Si on travaillait avec l’équivalence homologique on se trouverait devant des problèmes similaires à ceux qui empêchent l’argument de Clozel du Théorème 5.4 de fonctionner pour tout nombre premier .
Définition 6.5.
(Symbole de Hilbert.) Soit une -forme quadratique de dimension deux et une place de . On définit le symbole de Hilbert de en comme étant si a une solution non-nulle dans la complétion et sinon.
Proposition 6.6.
Gardons les notations du Théorème 6.1 et soit l’unique entier tel que la réalisation singulière de soit une structure de Hodge de type . Alors est définie positive si et seulement si
(6.1) |
ce qui est encore équivalent au fait que est isomorphe à si et seulement si est pair.
Remarque 6.7.
L’idée de la preuve de cette proposition a déjà été introduite dans l’Exemple 4.9 et la remarque qui le suit. Cette proposition est par ailleurs le point crucial où l’hypothèse de la dimension deux est nécessaire.
Démonstration.
Tout d’abord on remarque que, pour tout nombre premier , on a c’est la combinaison du théorème de comparaison d’Artin et du changement de base propre et lisse en cohomologie -adique. Cela implique en particulier que , mais aussi que le discriminant de et coïncident dans , car un nombre rationnel est un carré s’il l’est dans presque toute complétion.
D’autre part, en suivant la Définition 2.6, on a que est -définie positive. Cela implique en particulier que , et que le discriminant de est positif. On en déduit que a discriminant positif et donc, puisqu’on est en rang deux, que est définie positive ou définie négative. La positivité de est équivalente alors à .
A l’aide de la formule du produit sur les symboles de Hilbert on a
(6.2) |
En simplifiant les facteurs -adiques on obtient et donc . On conclut que si et seulement si la formule (6.1) est satisfaite.
La dernière équivalence de la proposition suit du fait que deux -formes quadratiques non-dégénérées de même rang sont isomorphes si et seulement si elles ont le même discriminant et le même symbol de Hilbert. ∎
Démonstration du Théorème 6.1.
Par la proposition précédente on est ramené à un problème purement -adique. Ce dernier a en plus une interprétation cohomologique qui permet de le traduire en une question de théorie de Hodge -adique. Pour expliquer cette traduction définissons comme la réalisation étale -adique de et comme la partie Frobenius invariante de la réalisation cristalline de . Chacun de ces deux -espaces vectoriels de dimension deux est muni d’une forme quadratique induite respectivement par et . Ces deux formes quadratiques ne sont rien d’autre que et . La première identification suit du théorème de comparaison d’Artin. La deuxième vient du fait que la partie Frobenius invariante contient toujours l’espace engendré par les classes algébriques et dans ce cas cette inclusion est une égalité par dimension.
Le théorème de comparaison -adique montré par Faltings fournit un isomorphisme
(6.3) |
fonctoriel, compatible à toutes les structures que l’on pourrait imaginer et en particulier avec les formes quadratiques et . On conclut à l’aide des deux phénomènes suivants.
(a) La matrice de changement de base est calculable dans . Elle ne dépend que de l’entier de la filtration de Hodge et de l’algèbre des endomorphismes de comme représentation galoisienne.
(b) La description de cette matrice est suffisante pour déduire que et sont isomorphes si et seulement si est pair. ∎
On passe maintenant à la description des deux phénomènes (a) et (b) de la fin de la preuve ci-dessus. Si le deuxième est élémentaire le premier est une propriété remarquable de la théorie de Hodge -adique qui la différencie de la théorie de Hodge classique.
Exemple 6.8.
Supposons avoir deux -formes quadratiques définies et de dimension deux et et une identification . Supposons savoir que la matrice de changement de base de l’identification est
On pourra alors en déduire que et ne sont pas isomorphes (une est définie négative et l’autre est définie positive). Les arguments au point (b) dans la preuve du Théorème 6.1 sont tout aussi élémentaires et ressemblent à cet exemple, avec et qui sont remplacés par et .
Remarque 6.9.
(Théorème de comparaison -adique vs classique.) Le théorème de comparaison -adique
(6.4) |
dont (6.3) en est une instance, est souvent considéré comme l’analogue -adique du théorème de comparaison entre cohomologie singulière et cohomologie de de Rham algébrique
(6.5) |
que l’on a discuté dans l’Exemple 4.11. En fait le théorème de comparaison -adique a des avantages par rapport à sa version classique, que l’on liste ci-dessous. (C’est grâce à ces propriétés que l’on peut notamment calculer certaines matrices de changement de base et déterminer des relations entre leurs entrées, cf. le point (a) de la preuve du Théorème 6.1.)
Rappelons que les réalisations classiques d’un motif possèdent des structures supplémentaires. En particulier, est munie d’une filtration, est munie d’une structure de Hodge, est munie de l’action du groupe de Galois d’un corps -adique et est un -module filtré, i.e. elle est munie d’une filtration et d’une action du Frobenius absolu .
Rappelons aussi que les coefficients des matrices qui apparaissent dans les comparaisons (6.4) ou (6.5) sont appelés périodes.
-
(1)
L’anneau est muni des actions du Frobenius absolu et du groupe de Galois absolu de ainsi que d’une filtration141414Certaines structures sont définies dans un plus gros anneau noté . On ignore ici ce point pour simplifier l’exposition.. La comparaison (6.4) respecte ces trois structures. Quand on dispose d’objets cohomologiques suffisamment concrets, comme ceux de (6.3), on peut explicitement décrire ces structures sur les périodes.
Le corps en revanche n’est pas muni de structures qui imiterait la filtration ou la structure de Hodge. Connaître la structure de Hodge sous-jacente à n’aide pas à avoir des informations sur les périodes complexes du motif .
-
(2)
Dans [Fal89], Faltings montre une équivalence de catégories entre certains -modules filtrés, dits admissibles, et certaines représentations de groupes de Galois de corps -adiques, dites cristallines. La condition d’admissibilité est toujours vérifiée par les modules d’origine géométrique, i.e. par les réalisations de motifs.
Cette équivalence est en plus compatible au théorème de comparaison (6.4). En particulier, des périodes dans qui ont un certain comportement par rapport à et à la filtration doivent correspondre à un unique -module filtré et donc aussi à une unique représentation de Galois. Autrement dit, les périodes -adique associées à un motif donné sont caractérisées par leur comportement par rapport à deux structures : Frobenius et filtration.
Une structure de Hodge est beaucoup plus riche qu’une filtration. Par exemple, pour deux variétés d’une même famille, les espaces vectoriels filtrés correspondant seront isomorphes alors que les structures de Hodge ne le seront pas, en général151515Si on considère la courbe elliptique pour et le motif alors est la donnée d’un -espace vectoriel de dimension muni d’une droite à l’intérieur. En revanche la structure de Hodge détermine à isogénie près, notamment il y aura des structures de Hodge CM et d’autres qui ne le sont pas.. On ne peut pas avoir une équivalence de catégories entre ces deux structures cohomologiques.
(De façon informelle, le passage du cas complexe (6.5) au cas -adique (6.4) correspond à enrichir la structure de de Rham et à réduire celle de Hodge suffisamment pour avoir deux structures équivalentes. En effet, la réalisation cristalline hérite la filtration de de Rham mais elle possède en plus l’action du Frobenius absolu . D’autre part, d’après la conjecture de Mumford-Tate, une structure de Hodge est grosso-modo équivalente à une représentation de Galois d’un corps de nombres, or sur on ne regarde que l’action d’un certain de ses sous-groupes de décomposition.)
-
(3)
La condition d’admissibilité, discutée au point précédent, se trouve être relativement élémentaire à vérifier, grâce à [CF00]. Ceci permet de construire facilement des -modules filtrés admissibles et donc des matrices de périodes avec action de Frobenius et filtration prescrites.
On ne dispose pas de méthode élémentaire de construction de périodes complexes. Il s’agit d’intégrales de formes différentielles algébriques qui sont souvent difficiles à calculer. Leurs relations sont prédites par la conjectures des périodes de Grothendieck et restent mystérieuses.
En résumant, le point (a) de la preuve du Théorème 6.1 est le calcul de la matrice de périodes associée à (6.3). Ce calcul procède comme suit : on décrit l’action de et la filtration sur ces pédiodes (point (1) ci-dessus), puis on montre que cette description caractérise les périodes en question (point (2)), enfin on construit de telles périodes (point (3)).
Exemple 6.10.
(Un calcul de périodes.) Soit un motif comme dans le Théorème 6.1 pour lequel on veut montrer la relation (6.1). Cela passe par le calcul de la matrice de périodes de (6.3). Ce calcul dépend de l’entier (défini dans la Proposition 6.6) et de l’algèbre des endomorphismes de comme représentation galoisienne.
Supposons : on doit alors montrer que et ne sont pas isomorphes, voir la Proposition 6.6. Supposons également que soit le corps , l’unique extension non ramifiée de degré de . Comme contient toutes les extensions non ramifiées, on peut alors écrire (6.3) comme
(6.6) |
L’action de sur décompose en deux droites échangées par le groupe de Galois En particulier on peut choisir deux vecteurs et échangés par le groupe de Galois et appartenant à ces droites.
L’algèbre agit également sur , grâce à l’équivalence de catégories de Faltings, voir aussi le point (2) de la Remarque 6.9. On peut alors construire et de façon analogue. De plus, comme (6.3) est compatible à cette action, il existe deux périodes telles que
Je prétends qu’elles satisfont aux relations
(6.7) |
ainsi que
(6.8) |
En effet est engendré par le Frobenius et d’autre part l’action du Frobenius sur et est triviale par définition. Quant à la relation sur la filtration, on la déduit du fait que les droites propres que l’on a construites doivent être isotropes, or la droite définie par la filtration sur la réalisation cristalline de doit aussi l’être, en particulier elle doit coïncider avec une de ces droites propres (après extension des scalaires).
Considérons maintenant le espace vectoriel
Je prétends qu’il a dimension , autrement dit que n’importe quel élément de est en fait une période de construite ci-dessus. Ceci est un exemple du principe (2) expliqué dans la Remarque 6.9.
Pour le montrer remarquons d’abord qu’une période de est inversible dans . On peut alors considérer l’espace , il correspondra à
Or cet espace est par [Fon94, Théorème 5.3.7].
Pour conclure construisons une période avec les propriétés
De ces propriétés on déduit que , autrement dit est une période du motif , et . Cette dernière relation implique que et ne sont pas isomorphes par un calcul élémentaire qui est analogue à celui de l’Exemple 6.8.
La construction de suit le principe (3) expliqué dans la Remarque 6.9. Considérons le -module filtré muni du Frobenius
et de la filtration
On vérifie que c’est un -module admissible, donc il existe une représentation de Galois qui lui correspond par l’équivalence de catégorie de Faltings et qui donne une comparaison Puisque cette identification est compatible à toutes les structures, on voit que les vecteurs de sont exactement de la forme où satisfait aux propriétés voulues.
Remarque 6.11.
(Généralisations possibles.) La partie -adique de l’argument présenté se généralise aux motifs de dimension plus grande : les principes généraux expliqués dans la Remarque 6.9 restent valables, les calculs de l’Exemple 6.10 deviennent plus compliqués mais peuvent être traités. Dans un travail avec Adriano Marmora [AM22] nous avons pu en déduire une généralisation de la formule (6.1). En suivant l’argument de la Proposition 6.6 cela donne la positivité du symbole de Hilbert à l’infini Malheureusement cette information ne suffit pas à déduire que est défini positive, c’est le point crucial où l’on utilisait l’hypothèse de dimension .
Pour passer à la dimension supérieure il faudrait trouver un invariant défini en toute place, tel que la place à l’infini soit contrôlée par toutes les places finies et d’autre part tel que l’invariant à l’infini détermine toute la signature. Une tentative pourrait passer par la cohomologie galoisienne : les -formes quadratiques non dégénérées et de rang donné sont en bijection avec où est un -groupe orthogonal de rang convenable. L’application
est injective, c’est le théorème d’Hasse–Minkowski. Son défaut de surjectivité est justement contrôlé par la formule du produit des symboles de Hilbert. Le problème déjà soulevé se reformule alors ainsi : l’application
n’est plus injective.
On peut alors essayer d’exploiter plus d’informations géométriques de notre situation et faire surgir des groupes plus petits. Par exemple les motifs qui apparaissent dans le problème sont munis non seulement d’une forme quadratique mais aussi de l’action d’un corps CM. Ajouter cette donnée au problème correspond à étudier la cohomologie galoisienne d’un tore maximal du groupe orthogonal . On dispose encore d’un principe local-global : l’application
est injective. Le point crucial serait alors d’avoir l’injectivité aussi de l’application
Malheureusement elle n’est pas injective : on peut calculer son noyau à l’aide de la suite exacte de Poitou–Tate.
7. Périodes -adiques à la André
Dans cette section nous présentons un travail en collaboration avec Dragos Fratila. Les motivations sont d’origine géométrique - l’étude des classes algébriques en caractéristique - mais le résultat final est plutôt arithmétique : on construit une algèbre de périodes -adiques ainsi qu’un cadre tannakien pour l’étudier.
Des telles périodes devraient avoir des analogies avec les périodes complexes que l’on a rencontré dans l’Exemple 4.11. Les périodes -adiques de Fontaine possèdent des propriétés cohomologiques analogues à celles des périodes complexes et même plus fortes (Remarque 6.9). Par contre les propriétés arithmétiques des périodes complexes, comme leur transcendence ou leur lien avec les fonctions spéciales, n’ont pas de bon analogue dans les périodes -adiques de Fontaine [And90].
Pendant que notre travail avançait nous avons découvert qu’André avait tissé des liens similaires [And95, And03]. Son travail nous a été utile pour raffiner notre étude et notamment pour formuler la condition de ramification (Définition 7.10).
Motivation
Le point de départ vient d’une remarque de Tate : la conjecture de Tate prédit l’existence de classes algébriques mais elle ne prédit pas quelle classe cohomologique est algébrique [Mil07, Aside 6.5]. Une façon d’interpréter cette remarque est que l’on a une description du -espace vectoriel engendré par les classes algébrique mais on n’a pas de description du -espace vectoriel engendré par ces dernières. C’est un point délicat qui est présent dès le travail de Tate sur la conjecture de Tate pour les diviseurs sur les variétés abéliennes sur un corps fini [Tat66], et plus récemment dans le travail de Charles sur la conjecture de Tate pour les diviseurs sur les surfaces K3 [Cha13].
Un exemple élémentaire qui illustre cette subtilité est le suivant : il existe des -droites dans la cohomologie -adique d’une variété , disons définie sur un corps fini, qui sont Galois invariantes et pourtant elles ne contiennent pas d’élément du -espace vectoriel . Pour construire de tels exemples prenons une surface abélienne, ou une K3, et fixons deux classes de diviseurs et linéairement indépendantes. Prenons maintenant une constante . Alors la droite engendrée par convient. Pour le montrer on peut utiliser le produit d’intersection et le fait qu’il est défini à coefficients rationnels.
Un échec : cas -adique
Faute de savoir décrire le -espace vectoriel des classes algébriques, un premier pas est de le comparer à un autre -espace vectoriel. C’est notamment ce que l’on a fait dans l’Exemple 4.9 et la remarque qui le suit.
Prenons une variété définie sur et supposons qu’elle se relève à une variété définie sur . Au moyen d’un plongement on dispose d’une identification
(7.1) |
induite par le théorème de comparaison d’Artin et le changement de base propre et lisse. Sous cette identification on peut étudier la position du -espace vectoriel des classes algébriques sur par rapport à . Le premier fait que l’on remarque est que l’intersection contient le -espace vectoriel des classes algébriques sur . Inspiré par les différentes versions de la conjectures des périodes de Grothendieck on peut se demander si cette inclusion est en fait une égalité.
Après avoir montré que cette question a réponse affirmative dans certains cas, nous avons compris que la réponse est négative en général. Les cas affirmatifs sont les surfaces à rang de Picard maximal - par une méthode similaire celle présentée dans l’Exemple 4.9 - et les variétés abéliennes CM [AF22, §10]. Il est possible de construire des contre-exemples avec le carré d’une courbe elliptique non CM. L’argument suit en fait la technique qui a permis à André de montrer que l’analogue de la conjecture des périodes de Grothendieck est fausse pour le théorème de comparaison -adique. En effet (7.1) dépend du choix de . On peut faire varier en utilisant le groupe de Galois absolu du corps de nombre sur lequel est défini. Dans certains cas on sait que l’action de ce groupe de Galois sur est hautement non triviale [Ser72], ce qui permet faire varier le -espace vectoriel et notamment de le faire rencontrer de façon inattendue.
Cas -adique
Fixons une fois pour toutes un plongement . Prenons comme auparavant une variété définie sur à bonne réduction et notons sa réduction. On dispose de la comparaison entre cohomologie de de Rham et cohomologie cristalline
due à Berthelot.
Notons par le -espace vectoriel des classes algébriques sur et par le -espace vectoriel des classes algébriques sur On a comme dans le cas -adique l’inclusion
et on peut encore une fois se demander si cette inclusion est en fait une égalité.
Conjecture 7.1.
(GPCw : Analogue -adique de la version faible de la conjecture des périodes de Grothendieck.)
Est-ce que l’inclusion est une égalité ?
Pour rendre cette question raisonnable il est nécessaire d’imposer une condition de ramification que l’on discutera plus tard et que l’on ignore pour l’instant (Définition 7.10). Cette question apparaît comme l’analogue -adique de la version faible de la conjecture des périodes de Grothendieck (appelée parfois conjecture de de Rham–Betti [And04, §7]). La remarque ci dessous fait le lien entre cette conjecture et différentes conjectures classiques sur les cycles algébriques.
Tout comme son pendant classique, cette conjecture prédit de la transcendence. En effet elle prédit qu’une classe algébrique en caractéristique qui n’est pas relevable à la caractéristique zéro ne peut pas être dans , autrement dit, au moins une de ses coordonnées par rapport à une base de doit être transcendante. La version forte de la conjecture de Grothendieck -adique prédira de façon précise le degré de transcendance de toutes ces coordonnées (Conjecture 7.13).
Remarque 7.2.
(GPCw vs conjectures classiques.) Comparons maintenant la question qui a été soulevée au paragraphe précédent, notée (GPCw), avec trois conjectures classiques que nous rappelons de façon informelle (voir [And04, §7] pour plus de détails). Ces trois conjectures sont la conjecture de Hodge (HC), la version faible de la conjecture des périodes de Grothendieck (GPCw) et la conjecture de Hodge variationnelle -adique de Fontaine et Messing (HC).
-
(HC)
Une classe rationnelle en cohomologie singulière est algébrique si et seulement si elle appartient au bon degré de la filtration de de Rham.
-
(GPCw)
Une classe rationnelle en cohomologie de de Rham est algébrique si et seulement si elle est rationnelle pour la cohomologie singulière
-
(HC)
Une classe algébrique en cohomologie cristalline se relève à la caractéristique zéro si et seulement si elle appartient au bon degré de la filtration de de Rham.
De façon informelle, on peut voir (GPCw) comme « le produit fibré de (HC) et (GPCw) au-dessus de (HC) ».
La partie droite du diagramme concerne la caractéristique zéro, celle de gauche la caractéristique mixte. La conjectures du bas comparent une structure rationnelle et une filtration, celles du haut comparent deux structures rationnelles.
Définition 7.3.
(Périodes -adiques à la André.) Soit un motif homologique161616Tout comme dans le cas classique on travaillera qu’avec des motifs vérifiant , par exemple les motifs issues de produits de courbes elliptiques : ceci est nécessaire pour avoir des catégories tannakiennes. à bonne réduction et soit sa réduction. Notons leurs classes algébriques par
Considérons le théorème de comparaison de Berthelot
(7.2) |
Pour tout choix de base de et de définissons comme la matrice ayant comme vecteurs colonnes les coordonnées de par rapport à . Nous appelons les coefficients de cette matrice les périodes -adique d’André de et définissons comme la -algèbre engendrée par ces périodes.
Remarque 7.4.
(Périodes classiques vs périodes -adiques à la André.)
-
(1)
Si un élément de est une classe algébrique qui n’est pas relevable à la caractéristique zéro au moins une de ses périodes devrait être transcendante par la Conjecture 7.1.
-
(2)
La matrice dépend bien du choix des bases et , par contre l’algèbre n’en dépend pas.
-
(3)
Pour que l’espace ne soit pas réduit à zéro il faut que contienne des facteurs directs de poids zéro. Il faut typiquement imaginer pour une variété à bonne réduction. De plus, pour avoir des périodes intéressantes, il faut que admette des classes algébriques modulo qui ne sont pas relevables, sinon toutes les périodes -adiques seraient algébriques.
-
(4)
Contrairement au cas classique, la matrice de périodes -adique n’est pas carrée, en effet l’inégalité171717Point technique : cette inégalité a encore besoin de l’hypothèse . On utilise le fait que l’équivalence numérique commute à l’extension des scalaires, voir la Conjecture 3.18 et la remarque qui la suit. est stricte en général.
-
(5)
Il est possible de définir les périodes -adiques pour les motifs mixtes. Il faut dans ce cas considérer uniquement les motifs mixtes vérifiant (7.2) - cette relation n’est automatique pour les variétés ouverte.
Exemple 7.5.
-
(1)
(Courbes elliptiques CM et valeurs Gamma.) Considérons une courbe elliptique CM. Les périodes complexes de son sont un produit de certaines valeurs spéciales de la fonction gamma en certains rationnels explicites dépendant uniquement du corps CM. Il n’y a pas de période -adique associée à , puisqu’il n’y a pas de classe algébrique dans le , par contre on peut considérer le motif . Ses classes algébriques correspondent aux endomorphismes de . Pour avoir des périodes -adiques intéressantes considérons un premier à réduction supersingulière, autrement tous les endomorphismes se relèveraient et toutes les périodes seraient algébriques. Il s’agit de décrire l’action de ces endomorphismes par rapport à une base de . Ce genre de calculs a été traités par Coleman et Ogus [Col90, Ogu90]. On y voit apparaître des produits de valeurs spéciales de la fonction gamma -adique en des rationnels.
-
(2)
(Motifs de Kummer et logarithme.) Considérons le motif de Tate mixte de type Kummer , avec . Ce motif s’insère dans une suite exacte
qui est non scindée pour . En particulier ce motif n’a pas de classe algébrique non nulle, qui est la raison d’avoir considéré et non pas son dual . Sa matrice de périodes complexes est
Fixons un nombre premier . Pour , le motif a bonne réduction. De plus les motifs de Tate sur un corps fini forment une catégorie semisimple, en particulier la suite exacte ci-dessus se scinde modulo . On en déduit que le motif possède une classe algébrique non nulle modulo qui est donc non relevable. Sa matrice de périodes -adiques est
dont l’analogie avec son pendant complexe est encore une fois frappante. Cette matrice s’obtient à partir du calcul de la matrice du Frobenius agissant sur qui est dû à Deligne [Del89, §2.9]. On y voit apparaître le et on trouve curieux que le passage de la matrice de Frobenius à la matrice de périodes corrige cet exposant. (La correction de à aurait pu s’obtenir en changeant de base, or pour ces motifs on dispose de bases canoniques et toutes les matrices décrites ci-dessus utilisent uniquement ces bases).
-
(3)
(Fonctions hypergéométriques.) Soient et deux motifs non isomorphes mais dont les réductions modulo le sont. Alors le motif a une classe algébrique modulo non relevable qui est justement associée à cet isomorphisme. Ses périodes -adiques sont les coordonées de par rapport à .
Par exemple on peut considérer et où et sont deux relèvements non isogènes d’une courbe elliptique ordinaire sur un corps fini. On peut notamment choisir comme le relèvement canonique de Serre–Tate et comme une courbe elliptique non CM. Les périodes -adiques qui apparaissent dans ce cas là sont décrites par Katz [Kat80]. On y voit notamment apparaître des valeurs spéciales de fonctions hypergéométriques.
-
(4)
(Matrice du Frobenius.) Soit un endomorphisme modulo . On peut considérer la matrice de son action par rapport à une base de . Ses coefficients pourront s’interpréter comme périodes -adiques à la André en regardant comme une classe algébrique modulo du motif . D’intérêt particulier est le cas où est le Frobenius : certains auteurs [Fur07, Bro17] ont définis les périodes -adique associés à comme ses coefficients.
Le point de vue des périodes -adiques à la André est meilleure pour plusieurs raisons. Entre autres, il donne des bornes plus fine à la transcendance ainsi qu’une interprétation motivique de certaines relations naturelles, comme celles provenant du polynôme caractéristique du Frobenius, voir [AF22, Remark 9.7].
Transcendance
Comme expliqué dans la Remarque 7.4, la Conjecture 7.1 prédit la transcendance de certaines périodes -adiques. Le prochain but est de donner une borne au degré de transcendance de ces périodes (Théorème 7.6) ainsi qu’une conjecture qui prédira ce degré (Conjecture 7.13). On montrera que cette dernière conjecture implique en fait la Conjecture 7.1, voir la Proposition 7.12.
Gardons les notations de la Définition 7.3. Considérons les catégories tannakiennes et engendrées par et ainsi que les groupes tannakiens et associés aux foncteurs fibres et .
Dans le cadre des périodes classiques, Grothendieck démontre que leur degré de transcendence est borné par la dimension de . Notre résultat principal en est l’analogue -adique.
Théorème 7.6.
Le degré de transcendance des périodes -adiques vérifie l’inégalité
Remarque 7.7.
(Transcendance classique vs transcendance -adique.)
-
(1)
Cette inégalité pourrait sembler plus forte que celle du cas complexe mais la matrice rectangulaire des périodes -adiques est en général plus petite que celle des périodes complexes. Elles ont la même taille uniquement dans le cas de réduction supersingulière ce qui revient à
-
(2)
Dans le cadre complexe, le point crucial est d’interpréter les périodes comme les coordonnées d’un -point du foncteur . Par la théorie tannakienne ce foncteur est représentable par une variété affine sur . L’action naturelle de sur rend cette variété un torseur.
Dans le cas -adique le foncteur n’est pas un foncteur fibre, pour des questions de dimension, ce qui le fait sortir du cadre tannakien. C’est tout de même un foncteur lax-monoïdal (ce qui revient à dire que le produit de classes algébriques est une classe algébrique).
Le foncteur est vide en général, encore pour des raisons de dimension. On peut en revanche considérer les transformations naturelles tensorielles ou les plongements.
Théorème 7.8.
L’inclusion de foncteurs est une égalité. Ces foncteurs sont représentables par une variété affine sur . L’action naturelle de sur est transitive. De plus on a un isomorphisme
Remarque 7.9.
(Théorème 7.6 implique Théorème 7.8.) En analogie avec le cas classique on peut interpréter
(7.3) |
comme un -point de . L’évaluation en ce point donne un morphisme d’algèbres
(7.4) |
Par construction, l’image de ce morphisme est l’algèbre engendrée par toutes les périodes -adiques de tous les motifs appartenant à la catégorie . Contrairement au cas classique, ces périodes contiennent strictement celles de , en général. Cela vient du fait que l’inclusion est stricte en général : c’est le défaut d’une formule de Künneth pour les classes algébriques.
Définition 7.10.
(Condition de ramification.) On dit qu’un motif est CM si est un corps de nombres tel que .
On dit que le nombre premier ne ramifie pas dans si, pour tout dans qui est CM, le nombre premier ne ramifie pas dans le corps de nombre .
Exemple 7.11.
Soit une variété abélienne. Dans le cas où , imposer que soit un corps de nombres tel que revient à demander que soit simple et CM. Dans ce cas demander que ne ramifie pas dans correspond à demander que ne ramifie pas dans son corps CM.
Proposition 7.12.
Pour un motif fixé, les nombres premiers qui ramifient dans sont en nombre fini.
Conjecture 7.13.
(-GPCs : Analogue -adique de la version forte de la conjecture des périodes de Grothendieck.)
Proposition 7.14.
Remarque 7.15.
-
(1)
Les preuves des résultats de cette section utilisent des techniques tannakiennes. Comme déjà mentionné, notamment dans la Remarque 7.7(2), on ne peut pas utiliser les résultats classiques tel quels mais il faut plutôt adapter leurs preuves.
-
(2)
La condition de ramification (Définition 7.10) est inspirée d’une condition qu’André a imposée dans l’étude de ce genre de questions pour les variétés abéliennes à réduction supersingulière. Il avait remarqué que ces variétés pouvaient avoir des périodes -adiques vérifiant des relations algébriques non motiviques. Comme mentionné dans l’Exemple 7.5(1), les périodes qui apparaissent pour de tels motifs sont liées aux valeurs spéciales de la fonction Gamma -adique. Ces dernières se trouvent être plus souvent algébriques que leurs analogues complexes.
-
(3)
Assez peu est connu sur la conjecture classique des périodes de Grothendieck. La version forte a été démontrée pour les courbes elliptiques CM par Chudnovsky [Chu80]. Le cas particulier de la courbe elliptique de Fermat implique notamment la transcendance de . La version faible (voir (GPCw) de la Remarque 7.2) a été montrée pour les diviseurs sur les variétés abéliennes et sur les surfaces K3 par Bost et Charles [BC16], en utilisant entre autre le théorème du sous-groupe analytique de Wüstholtz [Wüs89]. Ce sont des résultats difficiles et on peut s’attendre à ce que leurs analogues -adiques le soient aussi.
Le seul cas où la Conjecture 7.13 est vérifiée est pour le motif de Kummer de l’Exemple 7.5(2). Cela suit de la transcendence des valeurs spéciales du logarithme -adique [Ber77]. Le premier cas ouvert intéressant serait celui des courbes elliptiques à réduction supersingulière, ce qui donnerait notamment la transcendence de , pour . La version faible semble aussi difficile. Une petit résultat dans cette direction a été donné dans le cas des courbes elliptique non CM à réduction supersingulière [AF22, Proposition 3.5].
8. Motifs des schémas en groupes commutatifs
Cette section résume deux travaux en collaboration avec Stephan Enright-Ward, Annette Huber et Simon Pepin Lehalleur [AEWH15, AHPL16]. Ils portent sur l’anneau de Chow et le motif d’un schéma en groupes commutatifs et généralisent les théorèmes de Beauville [Bea86] et Deninger–Murre [DM91] qui traitent le cas des schémas abéliens. Nous expliquons quelles sont les subtilités qui apparaissent quand on quitte le cadre des schémas en groupes projectifs. Les motifs de Voevodsky deviennent essentiels, non seulement leur existence mais aussi la nature de leur construction : c’est un exemple du principe expliqué au §1.3.
Dans ce qui suit est une variété de type fini et lisse sur un corps qui jouera le rôle d’une base fixée. Tout -schéma en groupe que l’on considérera sera lisse et de type fini à fibres connexes. Certains énoncés sont valables dans des meilleures généralités. Pour un -schéma lisse , indique l’anneau de Chow de l’espace total . On continue à travailler avec les coefficients rationnels.
Théorème 8.1.
Remarque 8.2.
-
(1)
Ce théorème a été démontré par Beauville dans le cas et Deninger–Murre dans le cas général. Les deux résultats utilisent de façon cruciale la transformée de Fourier que l’on rappelle plus loin.
-
(2)
Quand , on a l’inclusion
(8.1) qui vient du fait que agit sur la cohomologie de degré comme
-
(3)
La décomposition du théorème induit une bigraduation sur l’anneau . Quand , la nouvelle graduation scinde la filtration de Bloch–Beilinson qui est conjecturée avoir certaine propriétés par rapport à l’application classe de cycle, notamment l’inclusion (8.1) devrait être une égalité. La filtration de Bloch–Beilinson est conjecturée exister pour tous les anneaux de Chow de toutes les variétés projectives et lisses sur , mais en général cette filtration ne se scinde pas.
Démonstration.
Soient le schéma abélien dual, le diviseur associé au fibré de Poincaré et les projections de sur les deux facteurs. On définit la transformée de Fourier
On vérifie que c’est un isomorphisme, dont l’inverse est essentiellement . On en déduit la décomposition
(8.2) |
Ensuite un calcul direct permet de voir comment agit sur chaque facteur de la décomposition (8.2). On retrouve ainsi la décomposition de l’énoncé et l’identification ∎
Nous montrons la généralisation suivante.
Théorème 8.3.
Soient un -schéma en groupes commutatifs de dimension relative et le morphisme de multiplication par . Alors on a une décomposition
où .
Remarque 8.4.
-
(1)
On ne sait pas définir une transformée de Fourier pour un tel : l’application n’est pas propre, donc n’existe pas, et de plus le dual d’un tel est un -motif en général et non pas une variété.
-
(2)
Le premier cas non trivial pour les groupes non projectifs est donné par et qui admet une suite exacte
où est une variété abélienne. Dans ce cas le Théorème 8.3 est facile pour et connu pour mais on ne peut pas le déduire directement pour . Le problème est que cet énoncé se comporte bien pour les sommes directes mais mal pour les suites exactes. L’énoncé qui suivra sera plus adapté à ce genre de dévissage.
Définition 8.5.
Soient la catégorie des -schémas lisses de type fini et la catégorie des préfaisceaux sur à valeur dans les -espaces vectoriels. Soient le préfaisceau qui associe à chaque le -espace vectoriel ayant comme base l’ensemble et celui qui associe à chaque le -espace vectoriel La loi de groupe de induit une transformation naturelle
Par construction de , la catégorie des motifs relatifs181818On considère ici uniquement la version stable de cette catégorie, c’est-à-dire la catégorie obtenue après -inversion du motif de Lefschetz. Il y a plusieurs descriptions de la catégorie stable . Il se trouve qu’elles sont équivalentes sous des hypothèses assez générales qui sont notamment satisfaites pour les bases que l’on considère. La version qui est adaptée à la Définition 8.5 est celle des motifs étales étudiés par Ayoub. Cette catégorie est obtenue à partir de en localisant pour imposer la descente étale et l’invariance par -homotopie, puis en stabilisant., les préfaisceaux ci-dessus induisent des motifs et la transformation naturelle un morphisme entre eux que l’on notera
Le motif est appelé le motif de et le motif est appelé le -motif de .
Théorème 8.6.
Gardons les notations de la définition ci-dessus. Alors le motif est nul pour assez grand et le morphisme se prolonge en un unique morphisme de motifs en algèbres de Hopf
(8.3) |
qui est de plus un isomorphisme.
Remarque 8.7.
-
(1)
(Motifs vs faisceaux.) Ce théorème n’est pas une conséquence formelle d’un énoncé sur les préfaisceaux. Remarquons par exemple que le faisceau n’est pas nul, puisque est un faisceau en espaces vectoriels.
Un phénomène plus subtile est le suivant : le théorème montre en particulier l’existence d’applications non nulles de vers . En revanche, il n’y a pas d’application non nulle du faisceau vers . Esquissons l’argument. Soient une telle transformation naturelle et l’application identité. La naturalité de implique qu’il suffit de voir que . Posons où sont des nombres rationnels et les sont des endomorphismes de .
Pour montrer considérons la naturalité par rapport aux morphismes de multiplication par :
On prétend que l’égalité force tous les à être nuls. tout d’abord supposons par l’absurde qu’il y avait un , disons , qui n’était pas de torsion. Alors la liste des morphismes serait infinie et on pourrait choisir un tel que n’apparaisse pas dans la liste des . Ceci contredirait l’égalité .
On peut alors supposer que les soient tous de torsion et on peut donc choisir un tel que les soient tous nuls. L’égalité implique alors .
-
(2)
(Décomposition de Chow–Künneth.) On continue à noter par le morphisme de multiplication par . Remarquons que son action sur vaut . En particulier l’isomorphisme (8.3) donne une décomposition de en espaces propres par rapport à l’action de . On en déduit par ailleurs que cette décomposition est une décomposition de Chow–Künneth relative (voir la Conjecture 3.1 pour le cas absolu).
-
(3)
(Décomposition de l’anneau de Chow.) La décomposition du point (2) donne une décomposition de
(8.4) en espaces propres par rapport à l’action de . Comme ces calculent191919Les constructions de Grothendieck et de Voevodsky ont une convention de covariance différente, notamment les motifs de Chow se plongent dans les motifs de Voevodsky par un foncteur contravariant. C’est la raison pour laquelle l’objet apparaît à droite dans la formule (8.4). les groupes de Chow supérieurs [CD19, Corollary 14.2.14] on déduit le Théorème 8.3.
-
(4)
(Décomposition de motifs vs décomposition d’anneaux de Chow.) Pour les schémas abéliens les décompositions des anneaux de Chow au point (3) permettent de retrouver celle du motif au point (2) comme l’ont remarqué Deninger et Murre. Le point est de considérer comme schéma abélien sur et d’appliquer le Théorème 8.1 à ce schéma abélien : la diagonale se décomposera alors en somme de vecteurs propres. D’autre part la diagonale s’interprète comme l’identité du motif et on peut verifier que cette décomposition de est une décomposition en somme de projecteurs orthogonaux.
Pour un général, la formule
ne permet pas de relier ce groupe à l’anneau de Chow de . En effet la dualité de Poincaré identifie, à un twist et shift près, avec qui n’est pas, en général, . Dans ce cas la décomposition des anneaux de Chow du Théorème 8.3 ne permet pas de retrouver celle des motifs au point (2).
(L’argument ci-dessus montre qu’en général les endomorphismes d’un motif sont reliés aux groupes de Chow uniquement dans le cas propre et lisse. Cela a déjà été signalé au §1.1 et c’est le point qui limite la construction classique de Grothendieck au cadre propre et lisse.)
-
(5)
(Voevodsky vs Chow.) Dans le cas d’un schéma abélien, une formule
(8.5) a été montré par Künnemann encore à l’aide de la transformée de Fourier [Kün94]. Une version plus faible, valable pour les motifs homologiques, a été discutée dans la Proposition 4.7.
A l’époque de [Kün94] on ne disposait pas des motifs de Voevodsky et le travail a été fait dans les motifs de Chow. Dans ce cas l’existence du motif présent dans la formule (8.5) n’est pas du tout triviale : il faut construire un projecteur convenable de . Ce motif est en revanche facile à définir dans le cadre de Voevodsky (Définition 8.5). Un des avantage des motifs de Voevodsky sur les motifs de Chow est notamment cette possibilité de disposer facilement de motifs par des constructions faisceautiques : c’est le principe que nous avons mentionné au §1.3.
Démonstration.
La preuve se base sur deux dévissages qui font chacun l’objet d’un article. Un premier dévissage sert à se réduire au cas d’un corps algébriquement clos , [AHPL16]. Le deuxième [AEWH15] est une réduction aux cas des variétés abéliennes, ce qui nous ramène essentiellement au résultat de Künnemann [Kün94].
Réduction à
Pour le premier dévissage on utilise le théorème suivant d’Ayoub [Ayo14, Proposition 3.24]. Si est un morphisme de motifs dans alors pour voir si est un isomorphisme il suffit de voir si son tiré en arrière en tout point géométrique l’est.
Soit un point géométrique. Pour compléter le premier dévissage il suffit alors de montrer que
(8.6) |
La formule (8.6) est en fait le point technique du travail. Pour tout morphisme , le foncteur est caractérisé par la propriété que, pour tout -schéma lisse , on ait le changement de base
(8.7) |
comme pour la cohomologie à support compact. Or parmi les deux motifs qui interviennent dans le morphisme , seulement est de cette forme. Le point est alors de trouver une résolution de par un complexe dont tous les termes sont des sommes d’objets de la forme en tous les degrés et toutes les flèches de connections sont induites par des morphismes de -schémas.
Réduction à
Pour le deuxième dévissage fixons un corps algébriquement clos et considérerons . Dans la suite on allégera la notation en enlevant les .
Le théorème de Chevalley nous dit qu’un groupe algébrique sur un corps s’insère dans une suite exacte
où est une variété abélienne et est un groupe linéaire. On peut alors raisonner par récurrence sur la dimension de et se ramener à
(8.8) |
ou
(8.9) |
où dans les deux cas est un groupe pour lequel l’énoncé est connu. Le cas (8.8) est facile : par homotopie l’énoncé pour est équivalent à l’énoncé pour . Pour le cas (8.9) l’argument est plus délicat.
Premièrement, la suite exacte (8.9) donne une suite exacte au niveau des foncteurs des points. Si on applique a cette dernière on obtient un triangle
où on a utilisé [Voe00, Corollary 2.1.5]. Cette suite exacte permet de déduire par récurrence que s’annule pour assez grand.
Deuxièmement, on complète le -fibré en un -fibré avec une section nulle. Le triangle de localisation par rapport à la section donne
or par homotopie . On utilise maintenant l’hypothèse de récurrence et on en déduit le diagramme
(8.16) |
L’existence de suit de la commutativité du carré de droite. Cette commutativité n’est pas gratuite, elle utilise la définition de l’application .
Par hypothèse de récurrence on déduit que l’application est un isomorphisme. Malheureusement la récurrence n’est pas terminée puisqu’on ne sait pas lier à . L’existence de a tout de même une conséquence importante : est un motif de dimension finie, voir la Remarque 3.21(2).
On montre que la réalisation de est un isomorphisme. On peut alors appliquer la Proposition 4.5 à et pour déduire que est un isomorphisme après passage au quotient par l’équivalence homologique. On peut ensuite utiliser les propriétés des motifs de dimension finie pour conclure que est un isomorphisme même avant passage au quotient (voir la Remarque 3.21(2), cf. le Théorème 5.2 dans le cas pur). ∎
Remarque 8.8.
-
(1)
La notion de dimension finie dans les motifs a toujours été appliquée pour les motifs purs : elle ne se comporte pas bien par suite exacte et on connait des exemples de motifs mixtes qui ne sont pas de dimension finie. À notre connaissance cette preuve est le premier exemple d’application de ces idées aux motifs mixtes.
-
(2)
Le Théorème 8.6 a permis à Huber et Kings de construire le polylogarithme pour tous les schémas en groupes commutatifs.
-
(3)
Le Théorème 8.6 donne une description du motif d’un groupe algébrique commutatif en terme d’un motif assez simple, . On pourrait espérer que cela puisse aider à une meilleure compréhension des anneaux de Chow de .
9. Construction de classes algébriques
Cette section concerne la conjecture standard de type Lefschetz, introduite dans la Conjecture 3.11. Dans un travail en cours en collaboration avec Mattia Cavicchi, Robert Laterveer et Giulia Saccà, nous étudions cette conjecture pour les variétés hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne. Le point de départ est une idée récente de Voisin [Voi22] que l’on regarde dans la perspective du théorème de décomposition.
Nous nous concentrerons dans la suite sur les variétés complexes, la conjecture standard de type Lefschetz est alors une instance particulière de la conjecture de Hodge. De façon assez surprenante elle en est aussi le pilier principal : André démontre que sous la conjecture standard de type Lefschetz le transport parallèle de classes algébriques est encore algébrique [And96]. Il en déduit que cette conjecture impliquerait la conjecture de Hodge pour les variétés abéliennes.
La conjecture standard de type Lefschetz est connue pour les variétés abéliennes, voir la Proposition 4.7, et on sait en déduire le cas des surfaces. Plus récemment Charles et Markmann l’ont montrée pour les variétés hyper-kähler de type , [CM13].
La dimension d’une variété sera notée et la dimension de la fibre générique d’un morphisme sera notée . Même en présence de faisceaux pervers on utilisera la convention classique pour les degrés cohomologiques.
9.1. Une approche naïve
Considérons une variété projective et lisse et supposons qu’elle admette un morphisme vers une base qui est aussi projective et lisse. Nous nous demandons jusqu’à quel point connaître la conjecture standard de type Lefschetz pour et pour les fibres lisses de peut aider pour montrer la conjecture standard de type Lefschetz pour .
Le théorème de décomposition implique en particulier une décomposition202020Une telle décomposition n’est pas unique en général, seulement la filtration perverse associée l’est. Deligne, puis De Cataldo, ont proposé des décompositions qui se comportent mieux que les autres [Del94b, dC13]. de structures de Hodge
(9.1) |
Soient un diviseur sur qui soit relativement ample, un diviseur ample sur et son tiré en arrière sur . Le théorème de décomposition fournit aussi les isomorphismes
(9.2) |
(9.3) |
La combination de (9.1), (9.2) et (9.3) peut suggérer que la conjecture standard de type Lefschetz se ramène à montrer que les inverses de ces isomorphismes sont algébriques et à première vue on pourrait penser que ces derniers se ramènent uniquement à l’étude des fibres de et de la base . Mais il faut en fait faire attention à un certain nombre de subtilités.
-
(1)
Les faisceaux pervers dépendent aussi des fibres singulières du morphisme .
-
(2)
Inverser l’action de sur la cohomologie de ne suffit pas à inverser . En effet ne représente que le facteur de la décomposition .
-
(3)
Même si on était capables de construire des correspondances algébriques et qui agiraient comme les inverses de (9.2) et (9.3) il n’est pas clair de pouvoir les mettre ensemble pour déduire une correspondance algébrique Il faudrait par exemple contrôler comment agit sur les degrés pervers différents de . C’est délicat, notamment parce que les opérateurs et ne sont pas bigradués en général.
Dans le cas des variétés hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne on peut espérer contourner ces problèmes : le théorème du support de Ngô donne une description explicite des faisceaux pervers , un argument de Voisin permet grosso-modo de construire une deuxième fibration lagrangienne qui inverse le rôle de et , enfin Shen et Yin ont montré que les opérateurs et sont en fait bigradués pour les fibrations lagrangiennes.
Proposition 9.1.
Soit une application entre variétés projectives, lisses et connexes et soit l’ouvert de sur lequel l’application est lisse.
-
(1)
Supposons que la fibre générique vérifie la conjecture standard de type Lefschetz et que
(9.4) Alors il existe des correspondances dans dont l’action sur la cohomologie relative induit des isomorphismes .
-
(2)
Supposons qu’il existe des correspondances dans dont l’action sur la cohomologie relative induit des isomorphismes . Alors il existe une décomposition du motif
(9.5) où . De plus chaque facteur de la décomposition est autodual à un twist près.
Remarque 9.2.
(Autour de la preuve.) La preuve de (1) est facile. Soit la fibre générique de . L’hypothèse sur dans (1) fournit des correspondances dans , dont les adhérences donnent des correspondances dans . Leur action sur la cohomologie relative est contrôlée par leur action sur le système local et donc par l’action sur la cohomologie de .
Pour (2) on suit l’argument classique qui montre que Lefschetz implique Künneth [Kle68]. Par rapport au cas absolu on prendra garde au fait que la décomposition (9.5) n’est pas unique. L’action des correspondances relatives ne respecte pas cette graduation mais seulement la filtration associée. Par ailleurs on ne sait pas démontrer que toute décomposition cohomologique (9.1) est la réalisation d’une décomposition motivique (9.5) mais seulement qu’il en existe au moins une qui est d’origine motivique.
Corollaire 9.3.
Soit une fibration de Lefschetz dont la fibre générique vérifie la conjecture standard de type Lefschetz (par exemple est une fibration en surfaces). Alors il existe une décomposition du motif
(9.6) |
où . De plus chaque facteur de la décomposition est autodual à un twist près.
Remarque 9.4.
(Du relatif à l’absolu.) Toute variété de dimension trois admet une fibration de Lefschetz après éclatement le long d’une courbe . D’autre part la formule de l’éclatement
due à Manin [Man68], montre que la conjecture standard de type Lefschetz pour se ramène à celle pour . Si l’on veut étudier la conjecture standard de type Lefschetz pour une variété de dimension trois on peut donc supposer que admet une telle fibration. Ce qui manque au corollaire ci-dessus pour déduire cette conjecture est l’existence d’une décomposition
où , telle que chaque facteur de la décomposition soit autodual à un twist près.
Pour construire cette décomposition on pourrait vouloir utiliser l’isomorphisme (9.3) et essayer de construire une correspondance algébrique qui induise l’inverse. C’est une question qui ressemble au problème original de construction de l’inverse de l’opérateur de Lefschetz. On ne sait pas si c’est un problème plus simple, voir aussi la Remarque 9.8.
Théorème 9.5.
Soit une variété hyper-kähler de dimension et une fibration lagrangienne dont toutes les fibres sont irréductibles. Supposons que le schéma en groupes soit polarisable (au sens de Ngô). Alors
(9.7) |
où . De plus chaque facteur de la décomposition est autodual à un twist près.
Démonstration.
On utilise le théorème du support de Ngô, [Ngô10] : quand les fibres sont toutes irréductibles on a bien l’hypothèse (9.4). D’autre part la fibre générique est une variété abélienne, donc elle vérifie la conjecture standard de type Lefschetz. On peut alors utiliser la Proposition 9.1 pour conclure. ∎
Corollaire 9.6.
Soit une variété hyper-kähler de dimension de rang de Picard qui admet une fibration lagrangienne. Supposons que pour toute fibration lagrangienne de n’importe quel variétés hyper-kähler birationnelle à , les fibres de soient irréductibles et le schéma en groupes soit polarisable. Alors la conjecture standard de type Lefschetz est vraie pour .
Démonstration.
Fixons une fibration lagrangienne et soit et les diviseurs introduits dans §9.1. Un argument de Voisin [Voi22] montre grosso-modo l’existence d’une fibration lagrangienne où le rôle de et est inversé. En fait existe seulement sur une variété hyper-kähler qui est birationnelle à , mais elles ont le même motif [Rie16].
On peut alors appliquer le théorème ci-dessus à et pour déduire deux décompositions du motif dont tous les facteurs sont autoduaux. Il n’est pas clair que ces deux décompositions soient compatibles, voir aussi le point (3) dans §9.1. Mais un théorème de Shen et Yin montre que les opérateurs et sont bigradués pour les fibrations lagrangiennes : on peut voir que ceci force les deux décompositions à être compatibles. La bidécomposition que l’on en déduit est plus fine que (9.1) et a tous les facteurs autoduaux, ce qui implique la conjecture standard de type Lefschetz. ∎
Le corollaire ci-dessus s’applique par exemple aux variétés hyper-kähler construites par Laza–Saccà–Voisin [LSV17].
Remarque 9.7.
(Généralisations.) On souhaite se débarrasser de l’hypothèse d’irréductibilité des fibres dans le théorème ci-dessus, ce qui permettrait de l’enlever aussi dans son corollaire et de pouvoir l’appliquer à beaucoup plus de variétés.
Si les fibres ne sont pas irréductible les faisceaux pervers ne vérifient plus (9.4). Cependant le théorème du support de Ngô décrit aussi la nature des faisceaux pervers supportés sur les sous-variétés strictes de la base. Il montre l’existence de certaines variétés abéliennes contenues dans certaines fibres singulières dont la cohomologie contrôle les faisceaux pervers. On pense qu’une variante stratifiée de la Proposition 9.1 devrait s’appliquer à ce contexte général. On utilisera encore que les variétés abéliennes vérifient la conjecture standard de type Lefschetz.
Remarque 9.8.
(Du relatif à l’absolu, suite.) Reprenons les notations de la Remarque 9.4. On souhaiterait montrer l’existence d’une décomposition
(9.8) |
où , telle que chaque facteur de la décomposition soit autodual à un twist près : ceci montrerait la conjecture standard de type Lefschetz pour les variétés de dimension trois.
Pour construire cette décomposition on pourrait vouloir utiliser l’isomorphisme (9.3) induit par la classe et essayer de construire une correspondance algébrique qui induise l’inverse. Inspirés par l’idée de Voisin esquissé dans la preuve du corollaire ci-dessus on peut essayer de construire une nouvelle fibration telle que soit relativement ample (ces constructions sont toujours possibles après éclatement). Une telle fibration induit une décomposition
(9.9) |
où admet un inverse algébrique. Le problème est qu’en général la décomposition (9.9) n’induit pas la décomposition (9.8). C’est encore lié au fait que les actions de et ne sont pas bigraduées en général.
Références
- [ACLS22] Giuseppe Ancona, Mattia Cavicchi, Robert Laterveer, and Giulia Saccà. Standard conjectures for some lagrangian fibrations. prépublication, 2022.
- [AEWH15] Giuseppe Ancona, Stephen Enright-Ward, and Annette Huber. On the motive of a commutative algebraic group. Documenta Math., 20:807–858, 2015.
- [AF22] Giuseppe Ancona and Dragos Fratila. Algebraic classes in mixed characteristic and André’s -adic periods. prépublication, 2022.
- [AHPL16] Giuseppe Ancona, Annette Huber, and Simon Pepin Lehalleur. On the relative motive of a commutative group scheme. Algebr. Geom., 3(2):150–178, 2016.
- [AM22] Giuseppe Ancona and Adriano Marmora. The Hilbert symbol in the Hodge standard conjecture. prépublication, 2022.
- [Anc21] Giuseppe Ancona. Standard conjectures for abelian fourfolds. Invent. Math., 223(1):149–212, 2021.
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