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Quelques aspects arithmétiques et géométriques des cycles algébriques et des motifs

Giuseppe Ancona IRMA
Université de Strasbourg 7, rue René Descartes
67000 Strasbourg
ancona@math.unistra.fr http://irma.math.unistra.fr/ ancona/

Habilitation à diriger les recherches

Soutenue le 17 Novembre 2022 devant le jury composé de :

Yves André, examinateur

Joseph Ayoub, rapporteur

Jean-Benoît Bost, examinateur

Anna Cadoret, rapporteur

François Charles, rapporteur

Carlo Gasbarri, examinateur

Rutger Noot, garant

Remerciements

On m’avait souvent décrit l’Habilitation comme une formalité par laquelle il fallait passer. Je me rends compte qu’en fait d’une part j’ai pris plaisir à rédiger ce mémoire et d’autre part c’est avec un peu d’émotion que je m’approche à cette soutenance. Je serai entouré par des collègues et des amis qui me sont chers et j’aimerais par ces quelques lignes les remercier.

Merci aux trois rapporteurs d’avoir accepté de consacrer leur temps à la lecture de mon mémoire. Joseph Ayoub a été mon encadrant de postdoc et c’est une figure centrale de la théorie des motifs. J’ai bénéficié de nombreuses discussions avec lui et c’est un grand honneur pour moi l’attention qu’il a porté à mes travaux.

J’ai rencontré Anna Cadoret pendant ma thèse à l’occasion d’un groupe de travail organisé par son ANR. J’ai le souvenir d’une atmosphère détendue et ouverte vers les jeunes, comme il arrive rarement dans notre métier (atmosphère que l’on a essayé de reproduire avec la RéGA, puis le JAVA). J’ai toujours aimé l’originalité des questions qu’elle sait se poser et je me réjouis de ses appréciations à ce mémoire.

François Charles était 2 ans avant moi à l’ENS, il a représenté pour plusieurs d’entre nous une référence. J’ai toujours été impressionné par ses fortes intuitions et je le remercie pour les échanges que l’on a eu et pour son intérêt pour mes résultats.

Rutger Noot a été rapporteur de ma thèse et m’a beaucoup encouragé après : je lui en suis reconnaissant. Depuis que je suis à Strasbourg, j’ai pu profiter de sa culture mathématique à plusieurs reprises. C’était pour moi le choix naturel de garant et je le remercie d’avoir accepté.

Il n’y a probablement aucune section de ce mémoire où le nom d’Yves André n’apparaisse pas. Bien que j’essaie constamment d’élargir mes intérêts et m’ouvrir à de nouveaux domaines, je finis toujours par y découvrir un théorème fondamental qui lui est dû. Sa présence dans mon jury est un honneur pour moi.

J’ai suivi un cours de Jean-Benoît Bost en M2 : sa clarté et sa vision sont devenues une référence pour moi. Je le remercie pour son soutien depuis cette époque ; c’est un plaisir pour moi de l’avoir dans mon jury d’Habilitation.

Les déjeuners à la cantine sont souvent enrichis par les digressions mathématiques (toujours passionnées) de Carlo Gasbarri. Je le remercie pour celles que l’on a eu, celles que l’on aura et d’avoir accepté de faire partie du jury.

Je remercie Emiliano Ambrosi, Pierre Baumann, Mattia Cavicchi, Frédéric Chapoton, Dragos Fratila, Florence Lecomte et Rutger Noot pour leurs relectures aux premières versions de ce texte.

Certains des résultats présentés ici sont issus de collaborations avec des mathématiciens qui m’ont beaucoup appris. Je les remercie tous ici, à partir de ma première collaboratrice, Annette Huber, avec laquelle nous continuons à beaucoup échanger, jusqu’au plus jeune, Mattia Cavicchi, mathématicien doué à qui je souhaite tout le meilleur pour ses débuts de carrière.

Mes recherches mathématiques n’auraient pas pu avoir lieu sans les échanges, les conseils et les remarques de mes chers amis mathématiciens Olivier Benoist, Yohan Brunebarbe, Javier Fresán et Marco Maculan.

Quand je repense à mon passé mathématique je dois remercier mon directeur de thèse Jörg Wildeshaus, ainsi que Frédéric Déglise qui était chercheur à Paris 13 à l’époque de ma thèse et qui m’a beaucoup appris.

Pendant ces années à l’IRMA j’ai eu le plaisir de discuter de mathématiques avec de nombreux collègues, tant dans mon équipe que dans les autres. Je pense en particulier à Emilano Ambrosi, Dragos Fratila, Robert Laterveer, Yohann Le Floch, Adriano Marmora, Pierre Py et Ana Rechtman.

L’ambiance au laboratoire est bonne, j’ai échangé avec à peu près tout le monde à l’occasion d’enseignements, conseils ou autre et j’ai souvent trouvé de l’empathie et de la bienveillance. Chers collègues qui lisez ces lignes, je vous en remercie !

Le travail d’enseignant-chercheur a besoin d’un soutien administratif et technique considérable. Nous sommes gâté de ce point de vue-là à Strasbourg : je remercie en particulier Alexandra Carminati, Sandrine Cerdan, Pascale Igot, Delphine Karleskind, Jessica Maurer-Spoerk, Alexis Palaticky et Alain Sartout.

Je suis ému par la présence de plusieurs amis et collègues qui n’habitent pas à Strasbourg et qui ont fait de la route pour venir voir ma soutenance : Javier, Mattia, Olivier, Quentin et Yohan, merci ! Je suis également touché par la présence d’amis qui ont décidé de passer une heure de leur vie à me voir délirer devant des tableaux bleus : Joanne, Cédric, François… cela me touche beaucoup.

Enfin, merci à tout ce qui est non-mathématique dans ma vie et qui la rend si heureuse. Je pense aux amis du tango de la belle association Hermosa : merci pour la bonne ambiance des milongas. Je pense aux amis du foot du terrain 5 : merci pour les matchs intenses et pour les après-matchs encore plus intenses. Je pense aux jogging avec Gianluca (accompagnés toujours de questionnements et conseils réciproques). Je pense aux jeunes parents avec lesquels on partage les apéros où l’on ne peut jamais terminer nos phrases ainsi que les fêtes regrettées le lendemain. Et évidemment je pense à ma famille pétillante. Merci à toutes les générations de la Nonna Michelina qui me chantait l’opéra pendant qu’elle préparait ses pâtes jusqu’à mes filles qui sautent toujours à mon cou. Merci à Anna qui a toujours envie de me voir donner un exposé et toujours la joie de le célébrer. Merci à ma mère qui nous a préparé un super pot (vous verrez…), à mon père qui me parlait de sciences en voiture pendant qu’il m’accompagnait au judo, à mes frères et à notre chambre à trois où on pratiquait tout sport possible, à la famille de Maglie qui nous a toujours accompagné avec amour et à ma belle famille avec qui on partage voyages, bonnes bouffes et discussions sur le monde.

A Anna, compagna di viaggio.

A Camilla e Gaia, il nostro viaggio.

0. Introduction

Le protagoniste de ce mémoire est un morphisme d’anneaux gradués111La graduation dans CH(X)\operatorname{CH}(X) est induite par la codimension des sous-variétés et la multiplication est appelée produit d’intersection. appelé application classe de cycle

clX:CH(X)H(X).\operatorname{cl}_{X}:\operatorname{CH}(X)\longrightarrow\operatorname{H}(X).

Ici XX est une variété projective et lisse définie sur un corps kk, H\operatorname{H} est une cohomologie de Weil222Par exemple si k=k=\mathbb{C} on pourra choisir la cohomologie singulière ou pour kk de caractéristique p0p\geq 0 et \ell un nombre premier tel que p\ell\neq p on pourra choisir la cohomologie \ell-adique. et CH(X)\operatorname{CH}(X) est l’anneau de Chow à coefficients rationnels. Il faut penser à CH(X)\operatorname{CH}(X) comme un invariant de XX de nature algébrique et à H(X)\operatorname{H}(X) comme un invariant de nature topologique : l’application clX\operatorname{cl}_{X} compare ces différentes natures.

Les questions autour de clX\operatorname{cl}_{X} peuvent se diviser grossièrement en trois classes :

  1. (1)

    Décrire l’image de clX\operatorname{cl}_{X},

  2. (2)

    Décrire le noyau de clX\operatorname{cl}_{X},

  3. (3)

    Décrire la structure multiplicative de clX\operatorname{cl}_{X}.

Par exemple, des conjectures qui entrent dans la première classe sont Hodge, Tate, la conjecture des périodes de Grothendieck, ou encore les conjectures standard de type Künneth et de type Lefschetz. Dans la deuxième classe on trouve la conjecture de Bloch–Beilinson ou la conjecture de nilpotence. Certaines conjectures sont à cheval entre la première et la deuxième classe, par exemple la conjecture de conservativité ou la conjecture sur la dimension finie de Kimura. Rentrent dans la troisième classe les conjectures standard de type Hodge et de type «  hom=num\hom=\operatorname{num}  ».

Pour décomposer l’étude dans ces trois classes on peut d’abord factoriser clX\operatorname{cl}_{X} (comme morphisme d’anneaux) et obtenir le diagramme suivant :

CH(X)\textstyle{\operatorname{CH}(X)\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}p\scriptstyle{p}clX\scriptstyle{\operatorname{cl}_{X}}CH(X)/kerclX\textstyle{\operatorname{CH}(X)/\ker\operatorname{cl}_{X}\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}i\scriptstyle{\hskip 14.22636pti}H(X).\textstyle{\operatorname{H}(X).}

L’anneau quotient CH(X)/kerclX\operatorname{CH}(X)/\ker\operatorname{cl}_{X} est également noté CH(X)/hom\operatorname{CH}(X)/\hom et appelé anneaux des cycles modulo l’équivalence homologique.

Les questions appartenant à la classe (1) ci-dessus reviennent alors à l’étude de l’injection ii et celles de la classe (2) à la projection pp. Pour exprimer la classe (3) on considère l’équivalence numérique333Cette équivalence rend tous les points de la variété équivalents et les cycles de codimension complémentaire sont mis en dualité par le produit d’intersection. et on complète le diagramme ainsi :

(0.7)

La compréhension de l’algèbre CH(X)/num\operatorname{CH}(X)/\operatorname{num} et de la projection qq encode une bonne partie des questions de la classe (3) ci-dessus.

Les conjectures principales sur les cycles algébriques s’expriment mieux si on passe aux motifs. Cela revient, grosso-modo, à considérer le diagramme (0.7) pour toutes les variétés XX à la fois :

(0.14)

Ici RR indique la réalisation des motifs de Chow vers les espaces vectoriels gradués : c’est une collection d’applications classe de cycle. On a de plus des foncteurs pleins π,π\pi,\pi^{\prime} de projection vers les motifs homologiques et les motifs numériques et un foncteur fidèle II des motifs homologiques vers les espaces vectoriels gradués, également appelé réalisation.

Le théorie des motifs est utile non seulement à la formulation de questions sur les cycles algébriques mais aussi à la démonstration de résultats sur ces derniers, voir la Section 1 pour une discussion de ce point. En guise d’exemple, voici une petite liste de résultats - certains issus de mes travaux - où l’on remarquera que les motifs n’apparaissent pas dans les énoncés et pourtant sont cruciaux dans leurs preuves.

Théorème 0.1.
  1. (1)

    (Kahn [Kah03]) L’application classe de cycle est injective pour les produits de courbes elliptiques sur un corps fini.

  2. (2)

    (Kimura [Kim05]) Soit SS un surface complexe projective et lisse dominée par un produit de courbes. Si l’application classe de cycle est surjective alors elle est injective.

  3. (3)

    [Anc21] Soit AA une variété abélienne de dimension quatre, alors le produit d’intersection

    CH2(A)/num×CH2(A)/num\operatorname{CH}^{2}(A)/{\operatorname{num}}\times\operatorname{CH}^{2}(A)/{\operatorname{num}}\longrightarrow\mathbb{Q}

    est de signature (ρ2ρ1+1;ρ11)(\rho_{2}-\rho_{1}+1;\rho_{1}-1), où ρn=dim(CHn(A)/num).\rho_{n}=\dim_{\mathbb{Q}}(\operatorname{CH}^{n}(A)/{\operatorname{num}}).

  4. (4)

    [AHPL16] Soient SS un schéma de base régulier et GG un SS-schéma en groupes commutatifs. Alors l’action du morphisme

    nG:GGn_{G}:G\longrightarrow G

    de multiplication par nn décompose l’espace CH(G)\operatorname{CH}(G) en une somme finie de sous-espaces propres (de plus les valeurs propres sont des puissances explicites de nn et la décomposition ne dépend pas de l’entier n2n\geq 2 choisi).

Par sa nature même, la théorie des motifs se mélange aux différentes cohomologies de Weil que l’on peut considérer. Ainsi, en fonction du corps de base kk, on se retrouve à utiliser la théorie de Hodge (k=k=\mathbb{C}), les représentations galoisiennes (kk corps de nombres), l’arithmétique des nombres de Weil (kk fini) ou encore de la théorie de Hodge pp-adique (en caractéristique mixte). Cela dégage les aspects arithmétiques et géométriques de la théorie.

Ces différentes théories cohomologiques ont des analogies, que l’on retrouve dans les motifs par des théorèmes ou des conjectures, ainsi que des différences, que la théorie des motifs vise à réparer, voir la Section 2.

On peut distinguer les différents résultats dans le domaine des motifs d’une part par la partie du diagramme 0.14 que l’on étudie et d’autre part par la nature géométrique ou arithmétique du corps de base kk qui est concerné. Pour aider la lecture du texte qui suivra, voici une répartition des travaux présentés.

Arithmétique Géométrie
CHM(k)\operatorname{CHM}(k) §5 [Anc22] §8 [AEWH15, AHPL16]
ot(k){\mathcal{M}ot}(k) §7 [AF22] §9 [ACLS22]
NUM(k)\operatorname{NUM}(k) §6 [Anc21]

Organisation du texte

Les premières sections du texte fournissent une introduction partielle à la théorie. Nous avons déjà mentionné que les motifs sont utiles à l’étude des cycles algébrique et donné le Théorème 0.1 comme exemple, mais nous n’avons pas dit pourquoi ils sont utiles : c’est le but de la Section 1. La Section 2 présente la théorie de Hodge et ses pendants arithmétiques ; on insiste sur les analogies mais surtout sur les différences. La Section 3 donne des conjectures sur les cycles algébriques et la Section 4 des exemples de motifs. Ces questions et ces exemples sont repris dans les sections successives où l’on présente différents résultats organisés selon le diagramme ci-dessus. Dans la Section 5 on démontre la conjecture de conservativité pour les motifs provenant de variétés abéliennes définies sur un corps fini. La Section §6 concerne la conjecture standard de type Hodge et montre le Théorème 0.1(3). Dans la Section §7 on introduit une nouvelle classe de périodes pp-adiques qui surgit dans l’étude des classes algébriques en caractéristique mixte. Dans la Section §8 on montre le Théorème 0.1(4) qui nécessite l’utilisation de techniques motiviques modernes. La Section §9 étudie les classes algébriques de certaines variétés hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne.

1. A quoi servent les motifs ?

Dans un article du même titre [Del94a], Deligne expliquait que les motifs n’ont qu’une utilité essentiellement philosophique permettant de transférer des idées d’une cohomologie à l’autre, grosso-modo en appliquant le diagramme 0.14 à différentes cohomologies. Aujourd’hui on comprend que les motifs sont aussi un vrai outil technique, comme l’avait envisagé Grothendieck. Deligne même revoit sa position dans son Bourbaki sur les multizétas et explique que les travaux de Brown sont «  un des cas où la philosophie des motifs est non seulement un guide précieux, mais permet des démonstrations  » [Del13].

J’aimerais expliquer ici l’utilité des motifs notamment dans la théorie des cycles algébriques : une liste d’énoncés où leur utilisation est cruciale a déjà été donnée dans le Théorème 0.1. Plusieurs avertissements sont tout de même nécessaires. Premièrement, je ne prétends pas que cet outil soit l’unique possible, beaucoup de résultats intéressants sur les anneaux de Chow ont été obtenus par d’autres méthodes. Deuxièmement, à l’heure actuelle les applications les plus impressionnantes des motifs apparaissent plutôt dans la théorie des périodes [Bro12, Ayo15] - on peut espérer que les applications majeures de la théorie aux anneaux de Chow sont encore à venir.

Dans sa construction de la théorie des motifs purs (i.e. pour les variétés propres et lisses) Grothendieck avait imaginé un pont entre les cycles algébriques et, par exemple, la cohomologie \ell-adique. Son idée était que la compréhension des premiers aurait impliqué ainsi des résultats sur la deuxième, par exemple les conjectures standard auraient impliqué les conjectures de Weil. En un sens cela semblait la direction raisonnable : les cycles étaient là depuis plus longtemps (on pourrait dire depuis le théorème de Bézout) et leur définition pouvait les faire paraître comme plus accessibles.

On comprend aujourd’hui qu’ils sont plus mystérieux que ce que l’on aurait pu imaginer. Ceci est devenu flagrant probablement avec le théorème de Mumford [Mum68] qui montre que le groupe des 0-cycles ne peut pas, en général, être paramétré par une variété de type fini. En revanche beaucoup de progrès ont été faits sur la cohomologie. Ce pont maintient donc toute son utilité mais il faut plutôt le parcourir dans l’autre direction : on essaiera d’exploiter des informations cohomologiques et de les transposer sur les cycles via les motifs.

La question naturelle qui se pose est alors pourquoi l’application classe de cycle ne serait pas elle-même suffisante pour un tel pont entre anneaux de Chow et cohomologie ? Une réponse courte est que la cohomologie a des propriétés agréables (Künneth, Poincaré,\ldots) que les anneaux de Chow n’ont pas. Les motifs sont une façon de réorganiser les applications classe de cycle de sorte à ce que l’on ait encore ces propriétés agréables.

1.1. Motifs purs

Pour expliquer l’idée derrière la construction, prenons la situation suivante (inspirée par le formalisme tannakien). Soit ϕ:HG\phi:H\rightarrow G un morphisme de groupes et étudions le foncteur induit

(1.1) f=ϕ:RepF(G)RepF(H)\displaystyle f=\phi^{*}:\operatorname{Rep}_{F}(G)\longrightarrow\operatorname{Rep}_{F}(H)

sur les représentations FF-linéaires pour FF un corps fixé. Supposons avoir à notre disposition pour cette étude uniquement la collection d’applications

(1.2) cV:VGVHf(V)\displaystyle c_{V}:V^{G}\longrightarrow V^{H}\subset f(V)

pour chaque VRep(G)V\in\operatorname{Rep}(G). La donnée de cette collection est certainement moins agréable que la donnée de ff. On peut tout de même retrouver ff en remarquant que son action sur les morphismes est donnée par

(1.3) cWV:HomG(V,W)=(WV)G(WV)H=HomH(V,W).\displaystyle c_{W\otimes V^{\vee}}:\operatorname{Hom}_{G}(V,W)=(W\otimes V^{\vee})^{G}\longrightarrow(W\otimes V^{\vee})^{H}=\operatorname{Hom}_{H}(V,W).

Cette idée de passer de l’invariant à l’équivariant est l’étape essentielle dans la construction de Grothendieck des motifs. Dans ce cas pour chaque variété XX, VV sera son motif 𝔥(X)\mathfrak{h}(X) (objet abstrait de la catégorie en construction), VGV^{G} sera l’anneau de Chow CH(X)\operatorname{CH}(X), f(V)f(V) sera la cohomologie singulière (ou \ell-adique,\ldots) H(X)\operatorname{H}(X), VHV^{H} seront les classes de Hodge Hdg(X)\textrm{Hdg}(X) (ou les classes Galois invariantes, \ldots) et cVc_{V} sera l’application classe de cycle clX\operatorname{cl}_{X}. En résumant :

(1.9) V𝔥(X),VGCH(X),f(V)H(X),VHHdg(X),cVclX.\displaystyle\begin{array}[]{rcl}V&\rightsquigarrow&\mathfrak{h}(X),\\ V^{G}&\rightsquigarrow&\operatorname{CH}(X),\\ f(V)&\rightsquigarrow&\operatorname{H}(X),\\ V^{H}&\rightsquigarrow&\textrm{Hdg}(X),\\ c_{V}&\rightsquigarrow&\operatorname{cl}_{X}.\end{array}

Pour que la construction dans (1.3) soit applicable il faut donner un sens au dual d’un motif et au produit tensoriel de deux motifs. C’est ici qu’il est nécessaire de considérer des variétés propres et lisses. En effet la formule de Künneth et la dualité de Poincaré suggèrent 𝔥(X)𝔥(Y)=𝔥(X×Y)\mathfrak{h}(X)\otimes\mathfrak{h}(Y)=\mathfrak{h}(X\times Y) et 𝔥(X)=𝔥(X)\mathfrak{h}(X)^{\vee}=\mathfrak{h}(X) (à un twist de Tate près). L’espace Hom(𝔥(X),𝔥(Y))\operatorname{Hom}(\mathfrak{h}(X),\mathfrak{h}(Y)) sera alors contrôlé444Pour les variétés générales qui ne sont pas projectives et lisses l’argument ci-dessus suggère qu’il n’est pas raisonnable d’espérer un lien entre Hom(𝔥(X),𝔥(Y))\operatorname{Hom}(\mathfrak{h}(X),\mathfrak{h}(Y)) et des anneaux de Chow. Effectivement dans les motifs de Voevodsky ces Hom\operatorname{Hom} n’ont pas d’interprétation en terme d’invariants classiques, voir aussi la Remarque 8.7(4). par CH(X×Y)\operatorname{CH}(X\times Y).

Une fois que la construction de cette catégorie est faite on pourra imaginer - et essayer de démontrer - des analogies entre H(X)\operatorname{H}(X) et 𝔥(X)\mathfrak{h}(X) qui ne seraient pas raisonnables avec CH(X)\operatorname{CH}(X) pour ensuite déduire des informations sur les anneaux de Chow en passant aux Hom\operatorname{Hom} dans la catégorie. Par exemple on pourra imaginer que H(X)\operatorname{H}(X) et 𝔥(X)\mathfrak{h}(X) ont «  la même dimension   », ce qui ne peut pas avoir lieu avec CH(X)\operatorname{CH}(X) - voir l’analogie (1.1). Cette idée est à la base de la notion de dimension dans les motifs due à Kimura et O’Sullivan qui est l’ingrédient essentiel dans la preuve du Théorème 0.1(1) et joue également un rôle dans les parties (2) et (4) du même théorème.

1.2. Motifs mixtes

La théorie a beaucoup évoluée depuis ses fondations. Comme la théorie de Hodge, qui a évolué d’abord avec les structures de Hodge mixtes associées à des variétés qui ne sont pas forcément projectives ou lisses, pour arriver jusqu’aux modules de Hodge mixtes qui visent à étudier des familles de variétés sur des bases générales, également la théorie des motifs a eu une accélération significative avec la catégorie triangulée des motifs mixtes de Voevodsky jusqu’aux motifs relatifs sur une base générale [Ayo07, CD19]. Ces catégories sont liées par le formalisme des six foncteurs, tout comme les modules de Hodge mixtes. De plus, certains Hom\operatorname{Hom} dans ces catégories permettent de retrouver les anneaux de Chow. On dispose également de foncteurs de réalisation, par exemple vers les faisceaux constructibles, qui permettent de retrouver les applications classes de cycles.

Tout comme dans le cas des variétés projectives et lisses expliqué plus haut, ces catégories ont l’avantage d’avoir des analogies avec les catégories cohomologiques. Par exemple on dispose d’une filtration de poids sur les motifs tout comme en théorie de Hodge mixte [Bon10]. (Une telle structure n’a pas de bons analogues dans les anneaux de Chow : par exemple un ouvert d’un espace affine a un anneau de Chow trivial alors que la filtration de poids en cohomologie peut être non triviale.) Un autre exemple est le résultat suivant d’Ayoub [Ayo14, Proposition 3.24] : une application ff entre motifs au-dessus d’une base SS est un isomorphisme si et seulement si la restriction de ff en tout point de SS l’est. Cet énoncé est bien entendu inspiré de son pendant pour les faisceaux constructibles ou étales.

Ces nouvelles catégories présentent un deuxième avantage : on dispose maintenant de beaucoup plus de flexibilité, analogue à celle permise par les modules de Hodge mixtes. Par exemple, si on veut étudier l’anneau de Chow d’une variété projective et lisse XX, on pourrait avoir envie de stratifier XX et d’étudier chaque strate, ou de fibrer XX au-dessus d’une base et d’étudier comment les fibres varient. Ce genre de construction mène très souvent à des variétés qui ne sont pas lisses et pour lesquelles les anneaux de Chow et leur fonctorialité ne sont pas définis : ces catégories de motifs permettent, entre autre, de contourner ce problème.

Ces techniques ont permis la construction de certains cycles «  concrets   », par exemple certains cycles prédits par la conjecture de Hodge joint au théorème de décomposition, qui étaient inaccessible par des méthodes directes. Notamment cela a été appliqué aux variétés de Shimura [Wil17], aux fibrés en quadriques [CDN22] et aux variétés hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne [ACLS22].

1.3. Complexes motiviques

Une troisième raison pour laquelle les motifs sont utiles à l’étude des cycles algébriques vient de leur définition moderne (depuis Voevodsky). Dans la théorie de Grothendieck les motifs sont des symboles formels et leur lien avec les cycles algébriques a lieu par construction. Dans les catégories modernes les motifs sont des complexes de faisceaux et il est possible d’en construire un certain nombre explicitement. Leur lien avec les cycles algébriques est loin d’être une tautologie et c’est en fait un des résultats plus profond de la théorie. On peut alors espérer que certaines questions délicates sur les cycles algébriques puissent devenir concrètes dans leur pendant faisceautique. C’est ce qui se passe notamment dans la construction de la réalisation de Betti [Ayo10] ou dans la preuve du Théorème 0.1(4), voir Section 8.

2. Cohomologies de Weil

Dans cette section on rappelle la définition classique de structure de Hodge (Définition 2.1) ainsi qu’une formulation équivalente qui se prête à mieux décrire les propriétés de positivité (Définition 2.2). Le but principal de la section est de rappeler ces propriétés de positivité ainsi que des propriétés d’autodualité des structures de Hodge puis de montrer que leurs analogues en cohomologie \ell-adique sont faux en général (Remarque 2.16 et Exemple 2.17). La définition de polarisation est cruciale, on essaie de la justifier dans la Remarque 2.12.

D’autres différences entre la théorie de Hodge et ses analogues arithmétiques sont éparpillées un peu partout dans le texte, voir par exemple la Conjecture 3.18 ou la Remarque 6.9.

Définition 2.1.

(Structure de Hodge, définition classique.) Une structure de Hodge pure de poids nn\in\mathbb{Z} est la donnée d’un \mathbb{Q}-espace vectoriel de dimension finie VV muni d’une décomposition

(2.1) V=p+q=np,qVp,q\displaystyle V\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{C}=\bigoplus_{\begin{subarray}{c}p+q=n\\ p,q\in\mathbb{Z}\end{subarray}}V^{p,q}

vérifiant Vp,q=Vq,p¯V^{p,q}=\overline{V^{q,p}}.

Si on considère les espaces V{p,q}=V(Vp,q+Vq,p)V^{\{p,q\}}=V\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{R}\cap(V^{p,q}+V^{q,p}) on trouve la définition équivalente suivante.

Définition 2.2.

(Structure de Hodge, définition équivalente.) Une structure de Hodge pure de poids nn\in\mathbb{Z} est un triplet formé d’un \mathbb{Q}-espace vectoriel de dimension finie VV, d’une décomposition

(2.2) V=pqp+q=np,qV{p,q}\displaystyle V\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{R}=\bigoplus_{\begin{subarray}{c}p\leq q\\ p+q=n\\ p,q\in\mathbb{Z}\end{subarray}}V^{\{p,q\}}

en sous-espace réels et d’une structure complexe sur les espaces V{p,q}V^{\{p,q\}} pour pqp\neq q.

Les paires (p,q)(p,q) qui apparaissent dans la décomposition sont appelées les types de VV.

Remarque 2.3.

(Lien entre les définitions.) Les deux présentations ci-dessus sont bien équivalentes. On remarque que, pour p<qp<q, l’ espace V{p,q}V^{\{p,q\}}\otimes\mathbb{C} est muni de deux structures complexes, par conséquent on a une décomposition

V{p,q}=Vp,qVq,p,V^{\{p,q\}}\otimes\mathbb{C}=V^{p,q}\oplus V^{q,p},

Vp,qV^{p,q} est l’espace où les structures coïncident et Vq,pV^{q,p} est l’espace où elles sont conjuguées555On pourrait inverser le rôle de ces deux espaces, dans ce cas il faudrait changer les signes dans la Définition 2.9 pour avoir les mêmes conventions de signe classiques..

La Définition 2.2 est plus pratique pour exprimer des propriétés de positivité666En revanche la structure tensorielle s’exprime mieux avec la Définition 2.1, par la règle (VW)p,q=a+c=pb+d=qVa,bWc,d.(V\otimes W)^{p,q}=\bigoplus_{\begin{subarray}{c}a+c=p\\ b+d=q\end{subarray}}V^{a,b}\otimes W^{c,d}. Dans le cas réel on remarque que V{a,b}W{c,d}V^{\{a,b\}}\otimes W^{\{c,d\}} a deux structures complexes quand a<ba<b et c<dc<d. Ceci induit une décomposition en deux espaces comme précédemment, celui où les structures coïncident contribue à (VW)a+c,b+d(V\otimes W)^{a+c,b+d} et l’autre à (VW)m,M(V\otimes W)^{m,M}mm et MM sont le minimum et le maximum de la paire {a+d,b+c}\{a+d,b+c\}., voir par exemple Définition 2.6.

Exemple 2.4.
  1. (1)

    (Cohomologie singulière.) Si XX est une variété projective et lisse sur les nombres complexes sa cohomologie singulière est munie d’une structure de Hodge fonctorielle en XX, plus précisément Hn(X)H^{n}(X) est pure de poids nn. Tous les théorèmes que l’on peut imaginer (Poincaré, Künneth, Lefschetz,\ldots) respectent cette structure supplémentaire.

  2. (2)

    (Variétés abéliennes.) Dans le cas particulier d’une variété abélienne complexe AA dont la variété analytique sous-jacente est g/Λ\mathbb{C}^{g}/\Lambda on a H1(A)=Λ=gH_{1}(A)\otimes\mathbb{R}=\Lambda\otimes\mathbb{R}=\mathbb{C}^{g}, ce qui fait apparaître explicitement la structure complexe dans la Définition 2.2 de l’espace H1(A)H_{1}(A)\otimes\mathbb{R}.

  3. (3)

    (Twist de Tate.) En poids 2n2n il existe une seule structure de Hodge de dimension 11 à isomorphisme non unique près. On fixe une telle structure de Hodge et on la note (n)\mathbb{Q}(-n). Pour une structure de Hodge VV on note V(n)=V(n)V(-n)=V\otimes\mathbb{Q}(-n) et on l’appelle twist de Tate; on choisit les (n)\mathbb{Q}(-n) de sorte à avoir l’identification (a)(b)=(a+b).\mathbb{Q}(a)\otimes\mathbb{Q}(b)=\mathbb{Q}(a+b).

    Traditionnellement on choisit (n)=(2iπ)n\mathbb{Q}(n)=(2i\pi)^{n}\mathbb{Q}\subset\mathbb{C}, puisque c’est la structure de Hodge qui apparaît naturellement dans la cohomologie singulière de degré maximale. Ce choix particulier ne joue pas de rôle dans les constructions qui suivront, sauf pour la notion de polarisation, voir Remarque 2.7(1).

Remarque 2.5.

(Autodualité.) Une structure de Hodge n’est pas, en général, autoduale dans le sens où VV et VV^{\vee} ne sont pas en général isomorphes, même à un twist près (le seul twist pour lequel cette autodualité est raisonnable étant le poids).

Par exemple prenons une structure de Hodge de poids 0 et supposons que la décomposition (2.2) ait deux facteurs non nuls V=V{0,0}V{1,+1}.V\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{R}=V^{\{0,0\}}\oplus V^{\{-1,+1\}}. Supposons de plus que V{0,0}V^{\{0,0\}} soit compatible avec la structure rationnelle et V{1,+1}V^{\{-1,+1\}} ne le soit pas, c’est-à-dire que l’on ait l’égalité dim(V{0,0}V)=dimV{0,0}\dim_{\mathbb{Q}}(V^{\{0,0\}}\cap V)=\dim_{\mathbb{R}}V^{\{0,0\}} mais dim(V{1,+1}V)<dimV{1,+1}\dim_{\mathbb{Q}}(V^{\{-1,+1\}}\cap V)<\dim_{\mathbb{R}}V^{\{-1,+1\}}.

Si VV était autodual on aurait en particulier une forme bilinéaire sur VV pour laquelle V{0,0}V^{\{0,0\}} et V{1,+1}V^{\{-1,+1\}} seraient l’orthogonal l’un de l’autre. Or comme une telle forme bilinéaire serait définie sur \mathbb{Q}, l’espace V{1,+1}V^{\{-1,+1\}} serait forcé à être également compatible avec la structure rationnelle.

Il se trouve que toutes les structures de Hodge provenant de la géométrie algébrique sont autoduales. En fait même plus, elles sont munies d’une forme bilinéaire «  aussi définie que possible   », c’est l’objet de la définition de polarisation, rappelée ci-dessous.

Définition 2.6.

(Polarisation - poids pair.) Une polarisation sur une structure de Hodge VV pure de poids 2n2n est une forme bilinéaire symétrique bb sur le \mathbb{Q}-espace vectoriel VV telle que :

  1. (1)

    Les espaces V{p,q}V^{\{p,q\}} sont orthogonaux deux à deux par rapport à bb,

  2. (2)

    L’adjointe par rapport à bb de la structure complexe sur V{p,q}V^{\{p,q\}} est sa conjuguée,

  3. (3)

    La restriction de bb aux facteurs V{na,n+a}V^{\{n-a,n+a\}} est définie (1)a(-1)^{a}-positive777C’est-à-dire définie positive si aa est pair et définie négative si aa est impair..

Remarque 2.7.
  1. (1)

    Les deux premières propriétés de la définition sont équivalentes à l’existence d’un morphisme de structures de Hodge

    b:VV(2n).b:V\otimes V\longrightarrow\mathbb{Q}(-2n).

    Inversement, étant donné un tel bb il est nécessaire de choisir une identification (2n)\mathbb{Q}(-2n)\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{R}\cong\mathbb{R} pour pouvoir exprimer la dernière propriété (de positivité). L’Exemple 2.4(3) fixe un tel choix.

  2. (2)

    Dans le cas V=H2n(X)V=H^{2n}(X) on déduit qu’une polarisation est définie positive sur les classes algébriques, car elle l’est sur V{n,n}V^{\{n,n\}}. C’est utile de connaître les signes sur les autres facteurs même pour la compréhension des classes algébriques, voir l’Exemple 4.9 et la Section 6.

  3. (3)

    Une polarisation est automatiquement non dégénérée donc les structures de Hodge qui la possèdent sont autoduales. D’autre part il y a des structures de Hodge autoduales, même simples, qui n’admettent pas de polarisation, voir l’Exemple 2.8. Autrement dit la polarisabilité est une notion plus forte que l’autodualité.

Exemple 2.8.

(Autodualité vs polarisation.) Construisons une structure de Hodge simple et autoduale qui n’admet pas de polarisation. Soit AA une variété abélienne complexe de dimension 44 et très générale. Alors la partie primitive V=H4,prim(A)V=\operatorname{H}^{4,\operatorname{prim}}(A) est une structure de Hodge simple, de type (0,4),(1,3)(0,4),(1,3) et (2,2)(2,2) et polarisable (par le Corollaire 2.14). Définissons une nouvelle structure de Hodge WW où le \mathbb{Q}-espace vectoriel est le même que VV, ainsi que la décomposition, mais on inverse le rôle de la partie (0,4)(0,4) avec la partie (1,3)(1,3), c’est-à-dire

W{0,4}=V{1,3},W{1,3}=V{0,4}etW{2,2}=V{2,2}.W^{\{0,4\}}=V^{\{1,3\}},\hskip 28.45274ptW^{\{1,3\}}=V^{\{0,4\}}\hskip 28.45274pt\textrm{et}\hskip 28.45274ptW^{\{2,2\}}=V^{\{2,2\}}.

On prétend que WW satisfait aux propriétés requises. Premièrement remarquons qu’une polarisation sur VV induit un accouplement bb sur WW qui rend WW autoduale. D’autre part ce bb ne peut pas être une polarisation car les signes de la Définition 2.6 ne sont pas respectés. Il reste à montrer que WW n’admet pas de polarisation et pour cela il suffit de voir que bb est l’unique accouplement sur WW à scalaire près et donc que EndHS(W)=Id.\operatorname{End}_{\operatorname{HS}}(W)=\mathbb{Q}\cdot\operatorname{Id}. Or, par construction, on a EndHS(W)=EndHS(V)\operatorname{End}_{\operatorname{HS}}(W)=\operatorname{End}_{\operatorname{HS}}(V). Pour comprendre les endomorphismes de VV, on prend le point de vue tannakien. Le groupe tannakien associé à H1(A)\operatorname{H}^{1}(A) est GSp8\operatorname{GSp}_{8} et la représentation sous-jacente à H4,prim(A)H1(A)4\operatorname{H}^{4,\operatorname{prim}}(A)\subset\operatorname{H}^{1}(A)^{\otimes 4} est géométriquement irréductible, donc EndHS(V)=Id.\operatorname{End}_{\operatorname{HS}}(V)=\mathbb{Q}\cdot\operatorname{Id}.

Nous rappelons ci-dessous la définition de polarisation dans le cas de poids impair, elle est un peu moins agréable. Même si on s’intéresse seulement aux classes algébriques les groupes de cohomologie de degré impair peuvent être utiles (par exemple la cohomologie d’une variété abélienne AA est contrôlée par son H1H^{1}) mais il est souvent suffisant de se rappeler uniquement que la définition de polarisation est stable par produit tensoriel (et donc une polarisation sur H1(A)H^{1}(A) en induira une sur Hn(A)H^{n}(A) via Hn(A)=ΛnH1(A)H^{n}(A)=\Lambda^{n}H^{1}(A)).

Définition 2.9.

(Polarisation - poids impair.) Une polarisation sur une structure de Hodge VV pure de poids 2n+12n+1 est une forme bilinéaire alternée bb sur le \mathbb{Q}-espace vectoriel VV telle que :

  1. (1)

    Les espaces V{p,q}V^{\{p,q\}} soient orthogonaux entre eux par rapport à bb,

  2. (2)

    L’adjointe par rapport à bb de la structure complexe sur V{p,q}V^{\{p,q\}} est sa conjuguée,

  3. (3)

    La forme bilinéaire symétrique b(,i)b(\cdot,i\cdot) est définie (1)a(-1)^{a}-positive sur les facteurs V{na,n+1+a}V^{\{n-a,n+1+a\}}.

Remarque 2.10.
  1. (1)

    La Remarque 2.7 s’applique également dans ce cas.

  2. (2)

    On pourrait vouloir travailler avec b(i,)b(i\cdot,\cdot) à la place de b(,i)b(\cdot,i\cdot), dans ce cas les signes s’inverserait. On trouve plus agréable d’avoir de la positivité sur la «  partie centrale   » V{n,n+1}V^{\{n,n+1\}}, c’est analogue à ce qui se passe dans la Définition 2.6 avec la partie centrale V{n,n}V^{\{n,n\}}.

Exemple 2.11.

(Polarisations issues de la géométrie.) Soit XX une variété algébrique complexe de dimension dXd_{X}. D’une part la dualité de Poincaré fournit une identification Hn(X)=H2dXn(X)(dX)H^{n}(X)=H^{2d_{X}-n}(X)^{\vee}(-d_{X}). D’autre part, le théorème de Lefschetz difficile donne un isomorphisme Hn(X)H2dXn(X)(dXn),H^{n}(X)\cong H^{2d_{X}-n}(X)(d_{X}-n), au moyen du choix d’une section hyperplane LL. En combinant les deux on obtient une forme bilinéaire non-dégénérée

bL:Hn(X)Hn(X)(2n).b_{L}:H^{n}(X)\otimes H^{n}(X)\longrightarrow\mathbb{Q}(-2n).

Celle-ci est bien un morphisme de structure de Hodge, mais elle n’a pas les signes demandés par une polarisation. Pour les obtenir, il faut modifier les signes de certains facteurs de la décomposition de Lefschetz.

Par exemple écrivons la décomposition de Lefschetz en degré six

H6=H6,primH4,prim(1)H2,prim(2)H0,prim(3),H^{6}=H^{6,\operatorname{prim}}\oplus H^{4,\operatorname{prim}}(-1)\oplus H^{2,\operatorname{prim}}(-2)\oplus H^{0,\operatorname{prim}}(-3),

elle est orthogonale par rapport à l’accouplement bLb_{L} ci-dessus. La décomposition de Hodge de chacune de ces quatre structures de Hodge est encore orthogonale ; la signature de bLb_{L} est la suivante (où les cases vides sont pour les sous-espaces qui sont toujours réduits à zéro).

signes bLb_{L} H6,primH^{6,\operatorname{prim}} H4,prim(1)H^{4,\operatorname{prim}}(-1) H2,prim(2)H^{2,\operatorname{prim}}(-2) H0,prim(3)H^{0,\operatorname{prim}}(-3)
(3,3)(3,3) - + - +
(2,4)(2,4) + - +
(1,5)(1,5) - +
(0,6)(0,6) +

Pour obtenir une polarisation il faudra donc changer le signe sur les facteurs H6,primH^{6,\operatorname{prim}} et H2,prim(2).H^{2,\operatorname{prim}}(-2).

Remarque 2.12.

(Pourquoi la définition de polarisation ?) Considérons le changement de signe expliqué dans l’exemple ci-dessus. Il serait tentant, à première vue, de changer encore de signe, cette fois-ci par rapport à la décomposition en V{p,q}V^{\{p,q\}}, de sorte à avoir une forme quadratique définie positive dans la Définition 2.6. Le problème est que cette deuxième décomposition n’est pas en général définie sur \mathbb{Q} et donc ce changement de signes donnerait une forme bilinéaire qui n’est pas définie sur \mathbb{Q}.

De manière générale, pour les structures de Hodge provenant de la géométrie, on ne peut pas espérer avoir une forme quadratique qui soit à la fois définie sur \mathbb{Q}, compatible avec la décomposition de Hodge et définie positive, voir l’Exemple 2.15. Il faut alors imaginer la Définition 2.6 comme la meilleure approximation d’un produit scalaire qui puisse exister pour les structures de Hodge issues des variétés algébriques. D’ailleurs la proposition ci-dessous montre que la polarisation a toutes les conséquences que l’on aimerait déduire d’un produit scalaire.

Proposition 2.13.

Soient VV une structure de Hodge, bb une polarisation sur VV et WVW\subset V une sous-structure de Hodge. Alors la restriction de bb à WW est une polarisation. De plus l’orthogonal WVW^{\perp}\subset V de WW par rapport à bb est une sous-structure de Hodge et on a l’égalité de structures de Hodge V=WWV=W\oplus W^{\perp}.

Corollaire 2.14.

Soit XX une variété complexe projective et lisse. Alors tout sous-structure de Hodge de la cohomologie singulière de XX est polarisable.

Exemple 2.15.

(Polarisations vs produits scalaires.) Construisons une structure de Hodge VV de poids zéro et d’origine géométrique telle que HomHS(VV,(0))\operatorname{Hom}_{\operatorname{HS}}(V\otimes V,\mathbb{Q}(0)) ne contient pas une forme quadratique définie positive.

Soit EE une courbe elliptique non CMCM et considérons H1(E)H^{1}(E). On a une décomposition de structures de Hodge H1(E)H1(E)=(0)VH^{1}(E)\otimes H^{1}(E)^{\vee}=\mathbb{Q}(0)\oplus V, où VV a dimension 33 et types (0,0)(0,0) et (1,1)(-1,1).

On prétend que HomHS(V,V)=HomHS(VV,(0))\operatorname{Hom}_{\operatorname{HS}}(V,V^{\vee})=\operatorname{Hom}_{\operatorname{HS}}(V\otimes V,\mathbb{Q}(0)) est un \mathbb{Q}-espace vectoriel de dimension 11. Pour le montrer on prend le point de vue tannakien. On peut voir que le groupe tannakien associé à H1(E)H^{1}(E) est GL2\operatorname{GL}_{2} et que H1(E)H^{1}(E) est la représentation standard. Le groupe GL2\operatorname{GL}_{2} agit sur VV et on a l’identification HomHS(V,V)=HomGL2(V,V)\operatorname{Hom}_{\operatorname{HS}}(V,V^{\vee})=\operatorname{Hom}_{\operatorname{GL}_{2}}(V,V^{\vee}). D’autre part, la théorie classique des représentations nous dit que VV est géométriquement irréductible et donc que HomGL2(V,V)\operatorname{Hom}_{\operatorname{GL}_{2}}(V,V^{\vee}) est un \mathbb{Q}-espace vectoriel de dimension (au plus) 11.

D’autre part l’espace HomHS(VV,(0))\operatorname{Hom}_{\operatorname{HS}}(V\otimes V,\mathbb{Q}(0)) contient une polarisation, par le Corollaire 2.14, et donc cet espace est formé uniquement de multiples d’une polarisation. En particulier HomHS(VV,(0))\operatorname{Hom}_{\operatorname{HS}}(V\otimes V,\mathbb{Q}(0)) ne peut pas contenir une forme quadratique définie positive.

On peut aussi en déduire que H2(E×E)H^{2}(E\times E) n’admet pas une forme quadratique définie positive qui respecte la structure de Hodge car V(1)V(-1) en est un facteur direct.

Le reste de la section insiste sur les différences entre théorie de Hodge et cohomologie \ell-adique, au regard notamment de la notion de polarisation et des propriétés d’autodualité.

Remarque 2.16.

(Polarisations en cohomologie \ell-adique ?) La proposition ci-dessus dit en particulier que les structures de Hodge issues de la géométrie algébrique forment une catégorie semi-simple et que chaque objet est autodual à un twist près. C’est une grande différence avec la cohomologie \ell-adique : la semi-simplicité est seulement conjecturale et l’autodualité est fausse en général, voir l’Exemple 2.17.

La notion même de polarisation n’a pas d’analogue : on ne peut même pas formuler des propriétés de positivité analogues à celles de la Définition 2.6 pour la simple raison que la notion de positif n’a pas de sens dans \mathbb{Q}_{\ell}.

On peut construire des accouplements sur la cohomologie \ell-adique de la même façon qu’en théorie de Hodge, comme dans l’Exemple 2.11. On ne connait pas de formulation, même conjecturale, qui décrirait cette \mathbb{Q}_{\ell}-forme quadratique. Par ailleurs les invariants d’une telle forme quadratique, comme son symbole de Hilbert, ne contrôlent pas ceux des sous-formes quadratiques (contrairement à ce qui se passe avec la signature). Ceci suggère que même si on trouvait une propriété analogue à la Définition 2.6 pour les groupes de cohomologies Hn(X)H^{n}_{\ell}(X) elle pourrait ne pas être valable pour les facteurs directs de Hn(X)H^{n}_{\ell}(X).

Exemple 2.17.

(Non autodualité en cohomologie \ell-adique.) Soient kk un corps de type fini et EE une courbe elliptique définie sur kk telle que End(E)\operatorname{End}(E)\otimes\mathbb{Q} soit un corps quadratique imaginaire. Prenons un nombre premier \ell différent de la caractéristique de kk et tel que End(E)=.\operatorname{End}(E)\otimes\mathbb{Q}_{\ell}=\mathbb{Q}_{\ell}\oplus\mathbb{Q}_{\ell}. Alors l’action de End(E)\operatorname{End}(E)\otimes\mathbb{Q}_{\ell} donne une décomposition de représentations galoisiennes H1(E)=VW.H^{1}_{\ell}(E)=V\oplus W. Le cup-produit induit une autodualité sur le H1(E)H^{1}_{\ell}(E), elle réalise WW comme dual de VV par la positivité de Rosati.

D’autre part on prétend que VV et WW ne sont pas isomorphes comme représentation de Galois, ce qui impliquera en particulier que VV n’est pas autodual. En effet s’ils étaient isomorphes on aurait EndGalH1(E)=M2×2()\operatorname{End}_{\operatorname{Gal}}H^{1}_{\ell}(E)=M_{2\times 2}(\mathbb{Q}_{\ell}), or on a EndGalH1(E)End(E)\operatorname{End}_{\operatorname{Gal}}H^{1}_{\ell}(E)\cong\operatorname{End}(E)\otimes\mathbb{Q}_{\ell} comme prédit par la conjecture de Tate, montrée dans ce context par Tate, Faltings et Zarhin.

Remarque 2.18.

L’exemple ci-dessus dépend du nombre premier \ell choisi. On s’attend à ce que l’on ne puisse pas trouver une représentation d’origine géométrique, «  indépendante de \ell   » et non autoduale. Cette idée est rendue précise par les motifs, voir la Conjecture 3.5 et la remarque qui la suit.

3. Conjectures standard et moins standard

Soient kk un corps de base et H\operatorname{H}^{*} une cohomologie de Weil. Considérons le diagramme (0.14) qui représente des catégories de motifs :

CHM(k)\textstyle{\operatorname{CHM}(k)\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}π\scriptstyle{\pi}R\scriptstyle{R}ot(k)\textstyle{{\mathcal{M}ot}(k)\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}I\scriptstyle{I}π\scriptstyle{\pi^{\prime}}GrVect.\textstyle{\mathrm{GrVect}.}NUM(k)\textstyle{\operatorname{NUM}(k)}

on les considère toujours à coefficients rationnels. Pour chaque variété projective et lisse XX, de dimension dXd_{X}, on considère son motif 𝔥(X)\mathfrak{h}(X), on utilisera ce même symbole dans les différentes catégories, on précisera la catégorie concernée si cela est important.

Le but de cette section est de donner une collection de conjectures qui permettent d’avoir une intuition sur les motifs. Ces conjectures sont essentiellement classiques, hormis la Conjecture 3.5 d’autodualité et la Conjecture 3.7 de positivité qui sont nouvelles à notre connaissance.

La section est organisée en trois sous-sections. La première présente les conjectures principales de la théorie (qui essentiellement entrainent les autres conjectures). La deuxième sous-section présente les conjectures dite standard de Grothendieck. La dernière porte sur la notion de dimension finie de Kimura.

Avec les techniques actuelles ces conjectures sont hors de portée en toute généralité, mais il est possible en démontrer des cas particuliers, comme on le verra dans les sections successives.

Conjectures principales

Conjecture 3.1.

(Chow–Künneth.) Il existe une décomposition (non unique)

𝔥(X)=n=02dX𝔥n(X)\mathfrak{h}(X)=\bigoplus_{n=0}^{2d_{X}}\mathfrak{h}^{n}(X)

dans la catégorie CHM(k)\operatorname{CHM}(k) telle que R(𝔥n(X))=Hn(X)R(\mathfrak{h}^{n}(X))=\operatorname{H}^{n}(X).

Remarque 3.2.
  1. (1)

    (Non unicité.) Le facteur 𝔥0(X)\mathfrak{h}^{0}(X) existe toujours. Pour le construire il suffit de considérer une application constante de XX vers XX : elle sera bien l’identité sur le H0(X)\operatorname{H}^{0}(X) et nulle sur les autres groupes. Le facteur ainsi défini dépend de l’image de cette application constante, ou plus précisément de sa classe modulo équivalence rationnelle. En particulier une telle décomposition ne peut pas être unique en général.

  2. (2)

    (Autodualité.) On peut conjecturer l’existence d’une décomposition de Chow–Künneth qui ait la propriété supplémentaire d’être autoduale, c’est-à-dire que si on considère la dualité de Poincaré 𝔥(X)=𝔥(X)(dX)\mathfrak{h}(X)^{\vee}=\mathfrak{h}(X)(d_{X}) alors le facteur 𝔥n(X)\mathfrak{h}^{n}(X)^{\vee} correspond à 𝔥2dXn(X)(dX)\mathfrak{h}^{2d_{X}-n}(X)(d_{X}). D’un point de vue de cycles algébriques cela veut dire que les projecteurs pnp_{n} sont donnés par une collection de cycles dans X×XX\times X telle que σpn=p2dn\sigma^{*}p_{n}=p_{2d-n}, où σ:X×XX×X\sigma:X\times X\rightarrow X\times X est l’inversion des deux facteurs. Ce n’est pas automatique de construire une décomposition autoduale à partir d’une décomposition de Chow–Künneth : même si l’on pose p2dn=σpnp_{2d-n}=\sigma^{*}p_{n} on pourrait avoir que les projecteurs pnp_{n} et σpn\sigma^{*}p_{n} ne sont pas orthogonaux.

Conjecture 3.3.

(Conservativité.) Tous les foncteurs du diagramme (0.14) sont conservatifs, c’est–à-dire un morphisme entre motifs est en fait un isomorphisme si son image via un de ces foncteurs du diagramme l’est.

Définition 3.4.

On dit qu’un motif est de poids nn s’il est facteur direct d’un motif de la forme 𝔥n(X)\mathfrak{h}^{n}(X).

Conjecture 3.5.

(Autodualité.) Si MM est un motif de poids nn (toujours à coefficients rationnels) alors il existe un isomorphisme (non unique)

MM(n).M^{\vee}\cong M(n).
Remarque 3.6.
  1. (1)

    (Autodualité des motifs vs autodualité en cohomologie.) Les groupes de cohomologies Hn(X)\operatorname{H}^{n}(X) jouissent de ce type d’autodualité via la dualité de Poincaré et l’isomorphisme de Lefschetz difficile (qui dépend du choix d’une section hyperplane), mais en général les facteurs directs de Hn(X)\operatorname{H}^{n}(X) n’ont pas cette propriété d’autodualité, voir l’Exemple 2.17. Ceci n’est pas en contradiction avec la conjecture ci-dessus : les exemples construits ne sont pas la réalisation d’un motif à coefficients rationnels.

  2. (2)

    (Lien avec les conjectures classiques.) Cette conjecture est nouvelle à notre connaissance. Nous trouvons sa formulation naturelle et elle nous a guidé dans l’étude de la conjecture de conservativité, voir la Section 5. Elle suit par ailleurs de conjectures classiques de positivité (notamment la Conjecture 3.15 que l’on verra plus loin), de la même manière que l’autodualité pour les structures de Hodge suit des propriétés de positivité des polarisations, voir la Proposition 2.13 et la remarque qui la suit.

Conjecture 3.7.

(Positivité.) Supposons que le corps de base kk soit de caractéristique pp. Soient MM un motif homologique sur kk et

q:Sym2M𝟙q:\operatorname{Sym}^{2}M\rightarrow\mathbbm{1}

un morphisme dans ot(k){\mathcal{M}ot}(k). Supposons que qq soit la réduction modulo pp d’une application q~:Sym2M~𝟙\widetilde{q}:\operatorname{Sym}^{2}\widetilde{M}\rightarrow\mathbbm{1} définie en caractéristique zéro. Définissons qZq_{Z} comme la restriction de qq à toutes les classes algébriques Z(M)=Hom(𝟙,M)Z(M)=\operatorname{Hom}(\mathbbm{1},M) de MM et qBq_{B} comme la réalisation singulière de q~\widetilde{q}.

Supposons que qBq_{B} soit une polarisation. Alors qZq_{Z} est définie positive.

Remarque 3.8.
  1. (1)

    (Sur la relevabilité.) L’hypothèse de relevabilité à la caractéristique zéro est vérifiée dans des cas intéressants, par exemple les variétés abéliennes. Dans ce cas, les classes algébriques qui se relèvent à la caractéristique zéro vérifient automatiquement la conjecture, voir la Remarque 2.7. Soulignons tout de même qu’il y a en général des classes algébriques qui ne sont pas relevables, même dans le cas des variétés abéliennes.

  2. (2)

    (Lien avec les conjecture classique.) Cette conjecture est nouvelle et nous ne savons pas si elle peut se déduire de conjectures classiques. Nous trouvons sa formulation naturelle et elle nous a guidé dans l’étude de la conjecture standard de type Hodge, voir la Section 6.

Conjectures standard

Conjecture 3.9.

(Künneth.) Dans la catégorie ot(k){\mathcal{M}ot}(k) des motifs homologiques, il existe une décomposition

𝔥(X)=n=02dX𝔥n(X)\mathfrak{h}(X)=\bigoplus_{n=0}^{2d_{X}}\mathfrak{h}^{n}(X)

telle que la réalisation de 𝔥n(X)\mathfrak{h}^{n}(X) soit Hn(X)\operatorname{H}^{n}(X).

Remarque 3.10.

(Lien avec Chow–Künneth.) Cette conjecture est bien sûr une conséquence de la Conjecture 3.1.

Remarquons qu’une décomposition de Künneth est automatiquement unique et autoduale par définition d’équivalence homologique : il s’agit de la graduation de GrVect\mathrm{GrVect} et de la dualité de Poincaré en cohomologie. C’est une différence avec la décomposition de Chow–Künneth, voir la Remarque 3.2.

Conjecture 3.11.

(Lefschetz.) Soient dXd_{X} la dimension de XX et LL une section hyperplane de XX. Alors pour tout ndXn\leq d_{X} il existe une correspondance γn\gamma_{n} dans X×XX\times X dont la réalisation en degré dX+nd_{X}+n induit un isomorphisme

R(γn):HdX+n(X)HdXn(X)(n)R(\gamma_{n}):\operatorname{H}^{d_{X}+n}(X)\xrightarrow{\hskip 1.85pt\sim\hskip 1.85pt}\operatorname{H}^{d_{X}-n}(X)(-n)

qui est l’inverse du cup produit par LnL^{n}.

Remarque 3.12.

(Lien avec l’autodualité.) La Conjecture standard de type Leschetz 3.11 implique la Conjecture standard de type Künneth 3.9, c’est un argument classique de Kleiman [Kle68].

Inversement, si XX vérifie Künneth alors la conjecture de type Lefschetz est équivalente à l’autodualité 𝔥n(X)𝔥n(X)(n)\mathfrak{h}^{n}(X)^{\vee}\cong\mathfrak{h}^{n}(X)(n) du motif homologique 𝔥n(X)\mathfrak{h}^{n}(X). Cette équivalence se déduit de la Proposition 4.5. Elle montre en particulier que la conjecture de type Lefschetz ne dépend pas de la section hyperplane LL choisie et elle suit de la Conjecture d’autodualité 3.5.

Conjecture 3.13.

(hom=num\hom=\operatorname{num}.) Le foncteur π\pi^{\prime} est une équivalence.

La quatrième et dernière des conjectures standard est celle de type Hodge. Pour la formuler il est nécessaire d’introduire la proposition suivante.

Proposition 3.14.

(cf. [Anc21, §3]) Supposons que XX vérifie la conjecture standard de type Lefschetz (Conjecture 3.11). Choisissons une section hyperplane LL.

Alors le motif homologique 𝔥n(X)\mathfrak{h}^{n}(X) admet une décomposition en parties primitives et il est possible de construire un accouplement

qX,n,L:𝔥n(X)𝔥n(X)(n)q_{X,n,L}:\mathfrak{h}^{n}(X)\otimes\mathfrak{h}^{n}(X)\rightarrow\mathbb{Q}(-n)

de façon analogue à la construction d’une polarisation sur la cohomologie singulière d’une variété algébrique complexe888En particulier, si k=k=\mathbb{C} et H\operatorname{H}^{*} est la cohomologie singulière, R(qX,n,L)R(q_{X,n,L}) est la polarisation classique induite par LL., voir l’Exemple 2.11.

De plus, si on restreint l’accouplement

qX,2n,L(2n):𝔥2n(X)(n)𝔥2n(X)(n)q_{X,2n,L}(2n):\mathfrak{h}^{2n}(X)(n)\otimes\mathfrak{h}^{2n}(X)(n)\rightarrow\mathbb{Q}

aux classes algébriques 𝒵n(X)/hom=Homot(k)(𝟙,𝔥2n(X)(n))\mathcal{Z}^{n}(X)_{/\hom}=\operatorname{Hom}_{{\mathcal{M}ot}(k)}(\mathbbm{1},\mathfrak{h}^{2n}(X)(n)) on obtient une \mathbb{Q}-forme quadratique

qZ,hom:𝒵n(X)/hom𝒵n(X)/homq_{Z,\hom}:\mathcal{Z}^{n}(X)_{/\hom}\otimes\mathcal{Z}^{n}(X)_{/\hom}\rightarrow\mathbb{Q}

dont le noyau est formé exactement par les cycles numériquement triviaux999Autrement dit, la conjecture hom=num\hom=\operatorname{num} pour XX est équivalente à dire que qZ,homq_{Z,\hom} est non dégénérée.. En particulier qZ,homq_{Z,\hom} induit une forme quadratique sur les cycles modulo équivalence numérique

qZ:𝒵n(X)/num𝒵n(X)/numq_{Z}:\mathcal{Z}^{n}(X)_{/\operatorname{num}}\otimes\mathcal{Z}^{n}(X)_{/\operatorname{num}}\rightarrow\mathbb{Q}

qui est non dégénérée.

Conjecture 3.15.

(Conjecture standard de type Hodge.) La forme quadratique

qZ:𝒵n(X)/num𝒵n(X)/numq_{Z}:\mathcal{Z}^{n}(X)_{/\operatorname{num}}\otimes\mathcal{Z}^{n}(X)_{/\operatorname{num}}\rightarrow\mathbb{Q}

introduite ci-dessus est définie positive.

Remarque 3.16.

(Lien avec la conjecture de positivité.) La conjecture standard de type Hodge (Conjecture 3.15) ne demande pas la relevabilité de XX à la caractéristique zéro et en ce sens elle est plus générale que la Conjecture de positivité 3.7. D’autre part pour les variétés relevables la Conjecture 3.7 est plus générale que la conjecture standard de type Hodge, car elle s’applique à des polarisations abstraites qui ne seraient pas forcément celles provenant d’une section hyperplane.

Remarque 3.17.

(Positivité en caractéristique zéro.) En caractéristique zéro, la forme quadratique introduite ci-dessus qZ:𝒵n(X)/hom𝒵n(X)/homq_{Z}:\mathcal{Z}^{n}(X)_{/\hom}\otimes\mathcal{Z}^{n}(X)_{/\hom}\rightarrow\mathbb{Q} est définie positive : c’est une conséquence des propriétés de positivité d’une polarisation (dites relations de Hodge–Riemann), voir Remarque 2.7. En particulier, en caractéristique zéro, la conjecture standard de type Lefschetz implique les autres conjectures standard.

Une autre différence entre la caractéristique zéro et la caractéristique positive se trouve dans la conjecture suivante.

Conjecture 3.18.

Considérons l’application classe de cycle \ell-adique clX:CH(X)H(X).\operatorname{cl}_{X}:\operatorname{CH}(X)\rightarrow\operatorname{H}_{\ell}(X). Alors le \mathbb{Q}-espace vectoriel ImclX\operatorname{Im}\operatorname{cl}_{X} est de dimension finie. Plus précisément l’application canonique ImclXH(X)\operatorname{Im}\operatorname{cl}_{X}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{Q}_{\ell}\rightarrow\operatorname{H}_{\ell}(X) est injective.

Remarque 3.19.

Cette conjecture est une conséquence de la conjecture hom=num\hom=\operatorname{num} car l’équivalence numérique commute à l’extension des scalaires. En caractéristique zéro elle est connue : on utilise les théorèmes de comparaison pour se reporter à la cohomologie singulière.

Motifs de dimension finie

Conjecture 3.20.

(Dimension finie.) Tout motif de Chow MM admet une décomposition (non unique)

M=M+MM=M_{+}\oplus M_{-}

vérifiant ΛNM+=0\Lambda^{N}M_{+}=0 et SymNM=0\operatorname{Sym}^{N}M_{-}=0 pour un naturel NN assez grand.

Remarque 3.21.
  1. (1)

    (Lien avec les autres conjectures.) Supposons que M=𝔥(X)M=\mathfrak{h}(X) admet une décomposition de Chow–Künneth (Conjecture 3.1). Alors

    M+=𝔥2n(X)etM=𝔥2n+1(X)M_{+}=\bigoplus\mathfrak{h}^{2n}(X)\hskip 14.22636pt\textrm{et}\hskip 14.22636ptM_{-}=\bigoplus\mathfrak{h}^{2n+1}(X)

    devraient vérifier la conjecture ci-dessus. En effet la conservativité (Conjecture 3.3) prédit qu’il suffit de vérifier ces relations en cohomologie, or la réalisation de M+M_{+} est un espace vectoriel gradué de dimension finie concentré en degrés pairs, par conséquence toute puissance NN-ème extérieure l’annule dès que NN est plus grand que la dimension totale.

    Le raisonnement est analogue pour MM_{-}. On remarque que la réalisation est concentrée en degré impair et que, par la règle des signes de Koszul, une puissance symétrique sur un motif ou une variété devient une puissance extérieure sur les groupes de cohomologie.

  2. (2)

    (Applications.) Au delà d’être une conjecture naturelle, la notion de dimension finie s’est avéré être utile : elle est stable par plusieurs opérations, dont le produit tensoriel et le passage à un facteur direct, elle est vérifiée au moins par les courbes, et elle permet de déduire la conservativité pour tous les foncteurs tensoriels quotient (notamment π\pi et π\pi^{\prime} de (0.14)). Cela a permis à Kimura de déduire la conjecture de Bloch pour les surfaces dominées par un produit de courbes [Kim05], voir le Théorème 0.1(1). En appliquant ces propriétés de conservativité au Frobenius, Kahn a déduit que l’application classe de cycle est injective pour les produits de courbes elliptiques sur un corps fini [Kah03], voir le Théorème 0.1(2).

4. Exemples

Dans cette section on discute des exemples de motifs. Ces exemples sont organisés dans trois sous-sections. Dans la première on présente des cas classiques où les conjectures de la section précédente sont vérifiées. La deuxième sous-section montre des subtilités (assez amusantes !) entre les différentes réalisations. La dernière partie étudie les motifs de variétés abéliennes CM. Tous les exemples de cette section sont repris à plusieurs endroits dans le texte.

On continue à travailler avec le diagramme (0.14) :

CHM(k)\textstyle{\operatorname{CHM}(k)\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}π\scriptstyle{\pi}R\scriptstyle{R}ot(k)\textstyle{{\mathcal{M}ot}(k)\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}I\scriptstyle{I}π\scriptstyle{\pi^{\prime}}GrVect.\textstyle{\mathrm{GrVect}.}NUM(k)\textstyle{\operatorname{NUM}(k)}

et 𝔥(X)\mathfrak{h}(X) indiquera le motif d’une variété XX dans les différentes catégories, on précisera la catégorie concernée si cela est important.

Quelques évidences des conjectures de la Section 3

Proposition 4.1.

Soient 𝔥(X)ot(k)\mathfrak{h}(X)\in{\mathcal{M}ot}(k) un motif homologique, ff un endomorphisme de 𝔥(X)\mathfrak{h}(X) et pn(f)p_{n}(f) le polynôme caractéristique de ff agissant sur Hn(X)H^{n}(X). Supposons que pn(f)p_{n}(f) et pm(f)p_{m}(f) soient premiers entre eux pour tous les nmn\neq m. Alors 𝔥(X)\mathfrak{h}(X) admet la décomposition de Künneth

𝔥(X)=n=0𝔥n(X),\mathfrak{h}(X)=\bigoplus_{n=0}\mathfrak{h}^{n}(X),

voir la Conjecture 3.9. De plus les projecteurs de cette décomposition appartiennent à l’algèbre [f]\mathbb{Q}[f].

Remarque 4.2.
  1. (1)

    La preuve est élémentaire : on applique l’identité de Bezout entre pn(f)p_{n}(f) et nmpm(f),\prod_{n\neq m}p_{m}(f), voir [KM74].

  2. (2)

    On peut appliquer cette proposition à toute variété projective et lisse définie sur un corps fini et à ff leur Frobenius : les polynômes pn(f)p_{n}(f) vont bien entre premiers être eux par les conjectures de Weil.

    La proposition s’applique aussi aux variétés abéliennes sur un corps quelconque. Dans ce cas ff est la multiplication par un entier NN.

  3. (3)

    Ces résultats ne s’étendent pas automatiquement à une décomposition de Chow–Künneth (Conjecture 3.1), notamment pour les variétés sur un corps fini c’est une question ouverte. On dispose d’une décomposition de Chow–Kunneth pour les variétés abéliennes [DM91], mais pour cela il faut utiliser la transformée de Fourier, voir Section 8.

Proposition 4.3.

Soient MM un motif homologique et ff un endomorphisme de MM. Alors ff est inversible si et seulement si son action en cohomologie l’est.

Remarque 4.4.
  1. (1)

    La preuve est élémentaire : on applique Cayley–Hamilton.

  2. (2)

    Cette question donne une réponse affirmative à la Conjecture 3.3 de conservativité pour le foncteur

    I:ot(k)GrVectI:{\mathcal{M}ot}(k)\longrightarrow\mathrm{GrVect}

    pour les endomorphismes. On peut partiellement étendre le résultat aux morphismes quelconques de la façon suivante.

Proposition 4.5.

Soient MM et NN deux motifs homologiques et considérons deux applications f:MNf:M\rightarrow N et g:NMg:N\rightarrow M. Supposons que I(f)I(f) et I(g)I(g) soient des isomorphismes en cohomologie, alors ff et gg sont des isomorphismes.

Remarque 4.6.
  1. (1)

    C’est une conséquence de la Proposition 4.3 appliquée aux endomorphismes fgfg et gfgf.

  2. (2)

    On remarquera que ce n’est pas une solution complète de la conservativité pour II : étant donné un morphisme ff il faut être capable d’en construire un dans l’autre sens. Cette proposition est tout de même utile comme on peut le voir dans la proposition ci-dessous, ainsi que dans la Section 5.

Proposition 4.7.

(Kleiman [Kle68]) Soit AA une variété abélienne de dimension gg. Alors son motif homologique admet une décomposition de Künneth

𝔥(A)=n=02g𝔥n(A)\mathfrak{h}(A)=\bigoplus_{n=0}^{2g}\mathfrak{h}^{n}(A)

et un isomorphisme de motifs en algèbres de Hopf graduées

n=02g𝔥n(A)=n=02gSymn𝔥1(A)\bigoplus_{n=0}^{2g}\mathfrak{h}^{n}(A)=\bigoplus_{n=0}^{2g}\operatorname{Sym}^{n}\mathfrak{h}^{1}(A)

qui donne en cohomologie l’isomorphisme classique101010Le changement de puissance symétrique en alternée est le même que celui dans la Remarque 3.21(1). H(A)=ΛH1(A)H^{*}(A)=\Lambda^{*}H^{1}(A). De plus AA vérifie la conjecture standard de type Lefschetz (Conjecture 3.5 et Conjecture 3.11)

𝔥2gn(A)(g)=𝔥n(A)𝔥n(A)(n).\mathfrak{h}^{2g-n}(A)(g)=\mathfrak{h}^{n}(A)^{\vee}\cong\mathfrak{h}^{n}(A)(n).
Démonstration.

La décomposition de Künneth a déjà été discutée dans la Remarque 4.2(3).

On considère l’inclusion diagonale Δ:AAn\Delta:A\hookrightarrow A^{n}. Elle induit une application 𝔥(Δ):𝔥(A)n𝔥(A)\mathfrak{h}(\Delta):\mathfrak{h}(A)^{\otimes n}\rightarrow\mathfrak{h}(A) qui donne une application Symn𝔥1(A)𝔥n(A).\operatorname{Sym}^{n}\mathfrak{h}^{1}(A)\rightarrow\mathfrak{h}^{n}(A). De façon analogue on construit une application dans l’autre sens en partant du morphisme de somme s:AnAs:A^{n}\rightarrow A.

On peut maintenant appliquer la Proposition 4.5 et déduire n=02g𝔥n(A)n=02gSymn𝔥1(A)\bigoplus_{n=0}^{2g}\mathfrak{h}^{n}(A)\cong\bigoplus_{n=0}^{2g}\operatorname{Sym}^{n}\mathfrak{h}^{1}(A). Les applications construites ci-dessus respectent les structures d’algèbre de Hopf par définition de ces dernières, ce sont d’ailleurs les structures d’algèbre de Hopf qui forcent ces applications à être des isomorphismes en cohomologie.

L’égalité 𝔥2gn(A)(g)=𝔥n(A)\mathfrak{h}^{2g-n}(A)(g)=\mathfrak{h}^{n}(A)^{\vee} est donnée par la dualité de Poincaré, voir la Remarque 3.10. Pour l’autodualité 𝔥n(A)𝔥n(A)(n)\mathfrak{h}^{n}(A)^{\vee}\cong\mathfrak{h}^{n}(A)(n) on se réduit au cas n=1n=1, grâce à l’égalité Symn𝔥1(A)=𝔥n(A)\operatorname{Sym}^{n}\mathfrak{h}^{1}(A)=\mathfrak{h}^{n}(A).

Pour 𝔥1(A)𝔥1(A)(1)\mathfrak{h}^{1}(A)^{\vee}\cong\mathfrak{h}^{1}(A)(1) on applique encore la Proposition 4.5. Une application est donnée par l’opérateur de Lefschetz Lg1:𝔥1(A)𝔥2g1(A)(g1)=𝔥1(A)(1)L^{g-1}:\mathfrak{h}^{1}(A)\rightarrow\mathfrak{h}^{2g-1}(A)(g-1)=\mathfrak{h}^{1}(A)^{\vee}(-1). Pour l’autre sens, fixons une isogénie entre AA et sa duale AA^{\vee}, ce qui donne un isomorphisme 𝔥1(A)𝔥1(A)\mathfrak{h}^{1}(A)\cong\mathfrak{h}^{1}(A^{\vee}). Il s’agit alors de construire une application de 𝔥1(A)(1)\mathfrak{h}^{1}(A)^{\vee}(-1) vers 𝔥1(A)\mathfrak{h}^{1}(A^{\vee}). C’est la donné d’un diviseur sur A×AA\times A^{\vee}, le diviseur de Poincaré convient. ∎

Remarque 4.8.

Les résultats de la proposition ci-dessus sont valables même dans CHM(k)\operatorname{CHM}(k) mais leur preuve est plus délicate et repose sur la transformée de Fourier pour les anneaux de Chow de variétés abéliennes, voir aussi la Section 8.

Motifs et théorèmes de comparaison

Exemple 4.9.

(Réduction supersingulière et \mathbb{Q}-structures.) Soit SS une surface K3 complexe de rang de Picard maximal et choisissons un premier pp de bonne réduction tel que la réduction SpS_{p} soit supersingulière. La surface quartique de Fermat avec p1(4)p\equiv-1\,\,(4) est un tel exemple [SK79]. Dans ce cas le motif homologique vérifie

𝔥(S)=𝟙𝔥2(S0)𝟙(2)et𝔥2(S0)=𝟙(1)20𝔥2,tr(S).\mathfrak{h}(S)=\mathbbm{1}\oplus\mathfrak{h}^{2}(S_{0})\oplus\mathbbm{1}(-2)\hskip 14.22636pt\textrm{et}\hskip 14.22636pt\mathfrak{h}^{2}(S_{0})=\mathbbm{1}(-1)^{\oplus 20}\oplus\mathfrak{h}^{2,\operatorname{tr}}(S).

Le motif 𝔥2,tr(S)\mathfrak{h}^{2,\operatorname{tr}}(S) est appelé motif transcendant. Sa réalisation singulière est une structure de Hodge de dimension 22 et de type (0,2)(0,2). Sa réduction modulo pp est isomorphe à 𝟙(1)2\mathbbm{1}(-1)^{\oplus 2}.

Notons MM le motif 𝔥2,tr(S)(1)\mathfrak{h}^{2,\operatorname{tr}}(S)(1), VBV_{B} sa réalisation singulière, MpM_{p} sa réduction modulo pp, et ZpZ_{p} les classes algébriques en caractéristique pp, c’est-à-dire Zp=Hom(𝟙,Mp)Z_{p}=\operatorname{Hom}(\mathbbm{1},M_{p}). Remarquons que VBV_{B} et ZpZ_{p} sont des \mathbb{Q}-espaces vectoriels de dimension 22.

Considérons les identifications

(4.1) VB=R(M0)=R(Mp)=Zp,\displaystyle V_{B}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{Q}_{\ell}=R_{\ell}(M_{0})=R_{\ell}(M_{p})=Z_{p}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{Q}_{\ell},

où la première est donnée par le théorème de comparaison d’Artin entre cohomologie singulière et \ell-adique, la deuxième suit du théorème de changement de base propre et lisse et la dernière vient de la propriété de supersingularité. On peut imaginer l’identification VB=ZpV_{B}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{Q}_{\ell}=Z_{p}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{Q}_{\ell} comme un isomorphisme de périodes. C’est ce point de vue qui a inspiré le travail présenté dans la Section 7.

Il est naturel de se demander si les deux \mathbb{Q}-structures VBV_{B} et ZpZ_{p} sont respectées sous cette identification. Expliquons pourquoi la réponse est non. Si on considère le cup-produit sur VBV_{B} et ZpZ_{p} on déduit deux \mathbb{Q}-formes quadratiques qBq_{B} et qZq_{Z}. Si les espaces étaient égaux on aurait, en particulier, que ces deux formes quadratiques seraient isomorphes. Or qBq_{B} est définie positive par les relations de Hodge–Riemann et qZq_{Z} est définie négative par le théorème de l’indice de Hodge111111Voir respectivement la Définition 2.6 et la Conjecture 3.15, qui est connue pour les diviseurs. Les formes quadratiques qu’y apparaissent sont obtenues à partir du cup-produit par un changement de signe..

Remarque 4.10.

Gardons les notations de l’exemple ci-dessus. C’est intéressant de regarder les \mathbb{Q}-formes quadratiques qBq_{B} et qZq_{Z} non seulement à la place à l’infini mais aussi aux autres completions de \mathbb{Q}. L’identification (4.1) montre l’égalité qB=qZq_{B}\otimes\mathbb{Q}_{\ell}=q_{Z}\otimes\mathbb{Q}_{\ell} pour tout p\ell\neq p. La seule place qui reste à déterminer est en pp. Or elle est déterminée par les autres places121212Cela suit de la formule du produit sur les symboles de Hilbert, l’argument sera détaillé dans la Section 6. et en particulier qBpqZpq_{B}\otimes\mathbb{Q}_{p}\neq q_{Z}\otimes\mathbb{Q}_{p} puisque qBqZq_{B}\otimes\mathbb{R}\neq q_{Z}\otimes\mathbb{R}.

Une remarque amusante : observons que la forme quadratique qZq_{Z} reconnait le nombre premier pp, c’est en effet le seul nombre premier pour lequel qBpqZpq_{B}\otimes\mathbb{Q}_{p}\neq q_{Z}\otimes\mathbb{Q}_{p}. En particulier si on fait varier pp parmi tous les premiers à réduction supersingulière on trouvera des \mathbb{Q}-formes quadratiques toujours différentes.

Plus sérieusement, remarquons que les p\mathbb{Q}_{p}-espaces VBpV_{B}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{Q}_{p} et ZppZ_{p}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{Q}_{p} ont une interprétation cohomologique : VBpV_{B}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{Q}_{p} est isomorphe à la réalisation pp-adique de MM, encore par le théorème de comparaison d’Artin, et ZppZ_{p}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{Q}_{p} est la partie Frobenius invariante de la réalisation crystalline de MpM_{p}. Il est naturel alors de se demander si la relation qBpqZpq_{B}\otimes\mathbb{Q}_{p}\neq q_{Z}\otimes\mathbb{Q}_{p} peut s’obtenir par des méthodes purement pp-adiques, par exemple via la théorie de Hodge pp-adique. La réponse est oui, elle sera esquissé dans la Section 6. Ces techniques permettront par ailleurs de montrer des cas de la Conjecture de positivité 3.7, voir encore la Section 6.

Exemple 4.11.

(Périodes.) Considérons la catégorie CHM()\operatorname{CHM}(\mathbb{Q}) des motifs définis sur le corps \mathbb{Q}. Elle est munie de deux foncteurs vers les \mathbb{Q}-espaces vectoriels gradués

RB,RdR:CHM()GrVectR_{B},R_{\mathrm{dR}}:\operatorname{CHM}(\mathbb{Q})\longrightarrow\mathrm{GrVect}_{\mathbb{Q}}

la réalisation singulière, ou de Betti, et la réalisation de de Rham algébrique. Les théorèmes de comparaison fournissent une identification

RB=RdRR_{B}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{C}=R_{\mathrm{dR}}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{C}

essentiellement induite par l’integration des formes différentielles algébriques sur des simplexes topologiques. Les coefficients complexes qui apparaissent dans cette identification sont appelés périodes et sont attendus être aussi transcendants que possible.

Le formalisme tannakien montre l’existence d’isomorphismes

RB¯RdR¯R_{B}\otimes_{\mathbb{Q}}\overline{\mathbb{Q}}\cong R_{\mathrm{dR}}\otimes_{\mathbb{Q}}\overline{\mathbb{Q}}

de foncteurs monoïdaux (mais on ne sait pas en construire un explicitement). Montrons qu’en revanche il ne peut pas y avoir d’isomorphisme monoïdal entre RBR_{B} et RdRR_{\mathrm{dR}} et même que l’on a

RB≇RdR.R_{B}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{R}\not\cong R_{\mathrm{dR}}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{R}.

Pour le montrer il suffit de trouver un motif MM muni d’une application

q:Sym2M𝟙q:\operatorname{Sym}^{2}M\longrightarrow\mathbbm{1}

telle que les réalisations RB(q)R_{B}(q) et RdR(q)R_{\mathrm{dR}}(q) sont deux formes quadratiques avec signature différente.

Par exemple on peut prendre MM tel que RB(M)R_{B}(M) soit une structure de Hodge de poids 0 et types (1,1)(-1,1) et (0,0)(0,0) et qq tel que RB(q)R_{B}(q) soit une polarisation de RB(M)R_{B}(M), voir Définition 2.6. Alors la signature de la forme quadratique RB(q)R_{B}(q) est (dimRB(M)0,0,2dimRB(M)1,1)(\dim R_{B}(M)^{0,0},2\cdot\dim R_{B}(M)^{-1,1}).

D’autre part la réalisation RdR(q)R_{\mathrm{dR}}(q) respecte la filtration de de Rham et donc l’espace Fil1RdR(q)\mathrm{Fil}^{1}R_{\mathrm{dR}}(q) est isotrope ce qui force la signature (s+,s)(s_{+},s_{-}) de RdR(q)R_{\mathrm{dR}}(q) à vérifier s+dimFil1RdR(q)s_{+}\geq\dim\mathrm{Fil}^{1}R_{\mathrm{dR}}(q). Or dimFil1RdR(q)=dimRB(M)1,1\dim\mathrm{Fil}^{1}R_{\mathrm{dR}}(q)=\dim R_{B}(M)^{-1,1}, il suffit donc de trouver un exemple où l’on a dimRB(M)1,1>dimRB(M)0,0\dim R_{B}(M)^{-1,1}>\dim R_{B}(M)^{0,0} pour conclure.

De tels exemples se trouvent dans la catégorie engendrée par les courbes d’équation Cn:y2=xn1C_{n}:y^{2}=x^{n}-1, voir [Sch15]. Plus précisément MM sera131313Remarquons que le premier candidat que l’on pourrait imaginer, à savoir M=𝔥2(S)(1)M=\mathfrak{h}^{2}(S)(1) avec SS une surface, ne peut pas fonctionner. En effet pour les surface on a l’inégalité opposée : h1,1>h0,2h^{1,1}>h^{0,2}, voir [Sch15, Proposition 22]. la partie GG-invariante du motif 𝔥2(CnN)(1)\mathfrak{h}^{2}(C^{N}_{n})(1) pour certains entiers n,Nn,N et pour un groupe fini GG convenable agissant sur CnNC^{N}_{n} et défini sur \mathbb{Q}.

Notons par ailleurs que, par le théorème de comparaison de de Rham, RBR_{B}\otimes_{\mathbb{Q}}\mathbb{R} est isomorphe à la cohomologie de de Rham classique du lieu complexe sous-jacent, calculée à l’aide des formes différentielles 𝒞\mathcal{C}^{\infty} à coefficients réels. En particulier on vient de montrer que, pour les variétés algébriques définies sur \mathbb{R}, il ne peut pas y avoir d’isomorphisme naturel entre la cohomologie de de Rham algébrique de la variété et la cohomologie de de Rham classique du lieu complexe.

Motifs de variétés abéliennes CM

La Proposition 4.7 montre que le motif d’une variété abélienne AA est contrôlé par son 𝔥1(A)\mathfrak{h}^{1}(A). Si AA est une variété abélienne CM on peut utiliser l’action CM pour décomposer 𝔥1(A)\mathfrak{h}^{1}(A) et donc le motif de AA tout entier. Cette décomposition est bien utile : Clozel l’avait déjà utilisée pour un résultat sur la conjecture hom=num\hom=\operatorname{num} (voir le Théorème 5.4) et on l’utilisera également pour les Conjectures de conservativité et de positivité, voir les Section 5 et 6.

D’autre part, bien qu’élémentaire, cette décomposition n’est pas digeste à la première lecture, on encourage à y revenir au fur et à mesure de ses applications.

Exemple 4.12.

Soit AA une variété abélienne simple de dimension gg définie sur un corps fini. Fixons une polarisation et considérons l’involution de Rosati induite sur End(A).\operatorname{End}(A)\otimes\mathbb{Q}. Par Honda–Tate il existe un corps CM de degré 2g2g et une inclusion FEnd(A)F\subset\operatorname{End}(A)\otimes\mathbb{Q} tels que l’involution laisse stable FF et agit comme la conjugaison complexe sur FF.

Considérons l’action de FF sur le motif 𝔥1(A)\mathfrak{h}^{1}(A) dans la catégorie CHM(k)F~\operatorname{CHM}(k)_{\widetilde{F}} des motifs de Chow à coefficients dans une clôture galoisienne F~\widetilde{F} de FF. Elle décompose le motif

(4.2) 𝔥1(A)=L1L2g\displaystyle\mathfrak{h}^{1}(A)=L_{1}\oplus\ldots\oplus L_{2g}

en une somme de 2g2g facteurs échangés par l’action du groupe de Galois Gal(F~/)\operatorname{Gal}(\widetilde{F}/\mathbb{Q}) et la réalisation de chaque facteur est une droite propre pour l’action de FF. De plus le choix d’une polarisation induit un morphisme dans CHM(k)\operatorname{CHM}(k)

q1:𝔥1(A)𝔥1(A)𝟙(1).q_{1}:\mathfrak{h}^{1}(A)\otimes\mathfrak{h}^{1}(A)\longrightarrow\mathbbm{1}(-1).

Par rapport à cet accouplement, une droite propre est orthogonale à toutes les autres hormis sa conjuguée complexe.

À l’aide de la formule 𝔥n(A)=Symn𝔥1(A)\mathfrak{h}^{n}(A)=\operatorname{Sym}^{n}\mathfrak{h}^{1}(A) on déduit une décomposition de 𝔥n(A)\mathfrak{h}^{n}(A) dans CHM(k)F~\operatorname{CHM}(k)_{\widetilde{F}} en somme de facteurs dont la réalisation a dimension un : chaque facteur correspond au produit tensoriel de nn différents LiL_{i}. De plus l’accouplement qn=Symnq1q_{n}=\operatorname{Sym}^{n}q_{1} rend la réalisation d’une telle droite orthogonale à toutes les autres hormis sa conjuguée complexe.

Remarque 4.13.

Gardons les notations de l’exemple ci-dessus.

  1. (1)

    Soient α1,,α2g\alpha_{1},\ldots,\alpha_{2g} les valeurs propres de l’action du Frobenius sur 𝔥1(A)\mathfrak{h}^{1}(A) comptées avec multiplicité. Quitte à les renuméroter on a αiα2gi=q\alpha_{i}\cdot\alpha_{2g-i}=q, où qq est le cardinal du corps de base. Cette symétrie des valeurs propres provient de l’accouplement parfait q1q_{1}.

    Les valeurs propres de l’action du Frobenius sur 𝔥n(A)\mathfrak{h}^{n}(A) sont données par tous les produits possibles de nn distincts αi\alpha_{i}. La dimension de l’espace des classes Galois-invariantes dans H2n(A)(n)H^{2n}(A)(n) est alors donnée par le nombre de collections {αi1,,αi2n}\{\alpha_{i_{1}},\ldots,\alpha_{i_{2n}}\} vérifiant

    (4.3) αi1αi2n=qn.\displaystyle\alpha_{i_{1}}\cdot\ldots\cdot\alpha_{i_{2n}}=q^{n}.

    La conjecture de Tate prédit que chaque droite propre de H2n(A)(n)H^{2n}(A)(n) correspondant à une telle collection contient une classe algébrique.

    Cette conjecture est connue pour les diviseurs. Une droite propre contient donc une intersection de diviseurs si et seulement si la collection αi1,,αi2n\alpha_{i_{1}},\ldots,\alpha_{i_{2n}} vérifie

    (4.4) αijαi2nj=q,j,\displaystyle\alpha_{i_{j}}\cdot\alpha_{i_{2n-j}}=q,\hskip 14.22636pt\forall j,

    quitte à renuméroter.

  2. (2)

    Soit F0F_{0} le plus grand sous-corps totalement réel de F~\widetilde{F}. Le groupe de Galois Gal(F~/F0)\operatorname{Gal}(\widetilde{F}/F_{0}) est d’ordre deux, engendré par la conjugaison complexe. Son action recolle la décomposition de l’exemple ci-dessus en une décomposition de 𝔥n(A)\mathfrak{h}^{n}(A) dans la catégorie CHM(k)F0\operatorname{CHM}(k)_{F_{0}} des motifs de Chow à coefficients dans F0F_{0}. Cette décomposition est orthogonale par rapport à l’accouplement qnq_{n}. Les facteurs obtenus sont de rang un ou deux.

  3. (3)

    L’action du groupe de Galois Gal(F~/)\operatorname{Gal}(\widetilde{F}/\mathbb{Q}) recolle la décomposition de l’exemple ci-dessus en une décomposition de 𝔥n(A)\mathfrak{h}^{n}(A) dans la catégorie CHM(k)\operatorname{CHM}(k) des motifs de Chow à coefficients rationnels. Cette décomposition est orthogonale par rapport à l’accouplement qnq_{n}. Le rang des facteurs obtenus varie et vaut au plus 2g2g.

    Par la description du point (1) on remarque que chaque facteur de 𝔥2n(A)(n)\mathfrak{h}^{2n}(A)(n) rentre dans une des trois catégories suivantes :

    • (a)

      La réalisation du facteur est engendrée par des classes qui sont toutes intersections de diviseurs,

    • (b)

      La réalisation du facteur est Frobenius invariante mais ne contient aucune intersection de diviseurs,

    • (c)

      Le Frobenius agissant sur la réalisation du facteur n’a aucun vecteur fixe.

    Pour les questions de cycles algébriques c’est surtout la classe (b) qui est intéressante. Si AA est de dimension quatre les facteurs de ce type ont toujours rang deux. Pour le montrer il s’agit d’étudier les quadruplets vérifiant (4.3) mais qui ne vérifient pas (4.4). C’est une étude élémentaire mais dont la combinatoire est délicate, voir [Anc21, §7] pour les détails.

5. Autodualité et conservativité

Cette section concerne les Conjectures 3.3 et 3.5 de conservativité et d’autodualité et les résultats que l’on peut obtenir pour les variétés abéliennes. On notera

CHM(k)ab,ot(k)abetNUM(k)ab\operatorname{CHM}(k)^{\operatorname{ab}},\hskip 14.22636pt{\mathcal{M}ot}(k)^{\operatorname{ab}}\hskip 14.22636pt\textrm{et}\hskip 14.22636pt\operatorname{NUM}(k)^{\operatorname{ab}}

les catégories de motifs engendrées par les motifs de variétés abéliennes.

On commence par rappeler les théorèmes fondamentaux de semisimplicité de Jannsen et de nilpotence de Kimura, puis on en déduit les Conjectures 3.3, et 3.5 pour CHM(k)ab\operatorname{CHM}(k)^{\operatorname{ab}}, avec k=k=\mathbb{C}.

Dans une deuxième partie on explique le contenu de [Anc22] qui étudie ces conjectures pour k=𝔽qk=\mathbb{F}_{q}. Il faudra combiner les théorèmes de Jannsen et Kimura avec les décompositions de l’Exemple 4.12 induites par la multiplication complexe. Cette méthode est inspirée par un travail de Clozel [Clo99] que nous rappellons également.

Théorème 5.1.

(Jannsen [Jan07]) La catégorie NUM(k)\operatorname{NUM}(k) des motifs numériques est semisimple.

Théorème 5.2.

(Kimura–O’Sullivan [Kim05, O’S05]) Le noyau du foncteur de projection

πnum:CHM(k)abNUM(k)ab\pi_{\operatorname{num}}:\operatorname{CHM}(k)^{\operatorname{ab}}\longrightarrow\operatorname{NUM}(k)^{\operatorname{ab}}

est nilpotent. En particulier le foncteur πnum\pi_{\operatorname{num}} est conservatif et toute décomposition dans NUM(k)ab\operatorname{NUM}(k)^{\operatorname{ab}} se relève en une décomposition dans CHM(k)ab\operatorname{CHM}(k)^{\operatorname{ab}}. L’énoncé reste valable si on remplace NUM(k)ab\operatorname{NUM}(k)^{\operatorname{ab}} par ot(k)ab{\mathcal{M}ot}(k)^{\operatorname{ab}} (ou n’importe quelle catégorie tensorielle quotiente).

Proposition 5.3.

La Conjecture d’autodualité 3.5 et la conjecture hom=num\hom=\operatorname{num} sont vraies pour tout motif dans CHM()ab\operatorname{CHM}(\mathbb{C})^{\operatorname{ab}}. De plus le foncteur de réalisation singulière

R:CHM()abGrVectR:\operatorname{CHM}(\mathbb{C})^{\operatorname{ab}}\longrightarrow\mathrm{GrVect}_{\mathbb{Q}}

est conservatif (cf. Conjecture 3.3).

Démonstration.

La conjecture standard de type Lefschetz est vraie pour les variétés abéliennes (Proposition 4.7). En caractéristique zéro, on peut en déduire hom=num\hom=\operatorname{num} (Remarque 3.17).

De plus, on peut munir 𝔥n(A)\mathfrak{h}^{n}(A) d’un accouplement

𝔥n(A)𝔥n(A)𝟙(n)\mathfrak{h}^{n}(A)\otimes\mathfrak{h}^{n}(A)\rightarrow\mathbbm{1}(-n)

dont la réalisation singulière est une polarisation (Proposition 3.14). On en déduit que pour tout facteur direct MM du motif homologique 𝔥n(A)\mathfrak{h}^{n}(A) la restriction de l’accouplement à MM induit un isomorphisme MM(n)M\cong M^{\vee}(-n). (Ce fait est impliqué par la Proposition 2.13 et c’est le point crucial où on l’utilise que les motifs sont définis sur \mathbb{C}. ) L’autodualité pour les motifs homologiques se relève aussi dans CHM()ab\operatorname{CHM}(\mathbb{C})^{\operatorname{ab}} par le Théorème 5.2.

Passons maintenant à la conservativité et considérons le diagramme (0.14). Encore par le Théorème 5.2, il suffira de démontrer la conservativité de la réalisation des motifs homologiques I:ot()abGrVectI:{\mathcal{M}ot}(\mathbb{C})^{\operatorname{ab}}\rightarrow\mathrm{GrVect}_{\mathbb{Q}}. D’autre part, la conjecture hom=num\hom=\operatorname{num} déduite au début de la preuve dit que les catégories ot()ab{\mathcal{M}ot}(\mathbb{C})^{\operatorname{ab}} et NUM()ab\operatorname{NUM}(\mathbb{C})^{\operatorname{ab}} coincident. En particulier, par le Théorème 5.1, II est un foncteur entre catégories semisimples, il est donc conservatif. ∎

Dans la suite de la section on travaille sur un corps fini k=𝔽qk=\mathbb{F}_{q}. Ce qui remplacera l’utilisation de la polarisation dans la preuve ci-dessus est la multiplication complexe, via les décompositions de l’Exemple 4.12.

Théorème 5.4.

(Clozel [Clo99]) Soit AA une variété abélienne sur un corps fini. Alors il existe une infinité de nombres premiers \ell tels que l’équivalence numérique coïncide avec l’équivalence homologique pour la cohomologie \ell-adique.

Démonstration.

On se ramène au cas où AA est simple. Soient F0F~\mathbb{Q}\subset F_{0}\subset\widetilde{F} les corps de nombres introduits dans l’Exemple 4.12 et la Remarque 4.13(2). (Ces corps dépendent de AA et plus précisément du choix d’un corps CM dans ses endomorphismes.)

Fixons un nombre premier \ell tel qu’il existe une place λ\lambda de F0F_{0} au-dessus de \ell telle que la complétion (F0)λ(F_{0})_{\lambda} ne contienne pas F~\widetilde{F}. On va montrer qu’un tel \ell convient. Remarquons qu’il y a une infinité de tels \ell et que l’on peut estimer leur densité avec Chebotareff.

Considérons les classes algébriques de codimension nn que l’on voit comme classes dans 𝔥2n(A)(n)\mathfrak{h}^{2n}(A)(n) et soit q2nq_{2n} l’accouplement construit dans l’Exemple 4.12. Puisqu’il est non dégénéré il suffit de voir que pour chaque classe algébrique non nulle γ\gamma il existe une classe algébrique δ\delta telle que q2n(γ,δ)0q_{2n}(\gamma,\delta)\neq 0. On vérifie que la question est stable par changement de coefficients et on travaille avec les cycles à coefficients dans F0F_{0} et la réalisation λ\lambda-adique RλR_{\lambda} à valeurs dans les (F0)λ(F_{0})_{\lambda}-espaces vectoriels. Dans ce cas on utilise la décomposition de la Remarque 4.13(2) en plans et droites. Il suffit alors de travailler avec un seul de ces facteurs MM et supposer que γ\gamma vit dans MM. Dans ce cas, si la forme quadratique q2nq_{2n} est sans vecteur isotrope sur MM le choix δ=γ\delta=\gamma convient.

Si MM a dimension un cela suit du fait que q2nq_{2n} est non dégénérée sur chaque facteur de la décomposition et donc sur MM. Si MM a dimension deux alors il admet au plus deux droites isotropes. Ces deux droites existent au moins sur MF0F~M\otimes_{F_{0}}\widetilde{F} : il s’agit de la décomposition en droites de l’Exemple 4.12. Montrons que ces droites ne sont pas contenues dans le (F0)λ(F_{0})_{\lambda}-espace vectoriel Rλ(M)R_{\lambda}(M). Pour cela il suffira de construire un endomorphisme f:MMf:M\rightarrow M dans la catégorie CHM(k)F0\operatorname{CHM}(k)_{F_{0}} dont ces droites sont des droites propres et de valeurs propres appartenant à F~F0\widetilde{F}-F_{0}. Cela donnera la conclusion voulue puisqu’on a que (F0)λ(F_{0})_{\lambda} ne contient pas F~\widetilde{F}.

La construction de ce ff procède ainsi. Considérons la décomposition (4.2). Quitte à changer la numérotation, le motif MM est de la forme

M=(L1L2n)(L¯1L¯2n),M=(L_{1}\otimes\ldots\otimes L_{2n})\oplus(\bar{L}_{1}\otimes\ldots\otimes\bar{L}_{2n}),

¯\bar{\cdot} est la conjugaison complexe. Fixons un ordre sur les LiL_{i}, ceci permet de réaliser MM comme facteur direct de 𝔥1(A)2n\mathfrak{h}^{1}(A)^{\otimes 2n} dans la catégorie CHM(k)F0\operatorname{CHM}(k)_{F_{0}}. On peut alors définir ff par l’action induite par un générateur de FEnd(A)F\subset\operatorname{End}(A)\otimes\mathbb{Q} sur le premier terme du produit tensoriel et l’identité sur les autres 2n12n-1. ∎

Proposition 5.5.

La conjecture d’autodualité 3.5 est vraie pour les motifs de CHM(𝔽q)ab\operatorname{CHM}(\mathbb{F}_{q})^{\operatorname{ab}} de poids pair et dont la réalisation a dimension un.

Démonstration.

Soient XX un tel motif et nn son poids (pair). On a une variété abélienne AA, telle que XX est facteur direct de 𝔥n(A)\mathfrak{h}^{n}(A).

On veut montrer que XX(n)X\cong X^{\vee}(-n). Par le Théorème 5.2 il suffit de montrer πnum(X)πnum(X)(n)\pi_{\operatorname{num}}(X)\cong\pi_{\operatorname{num}}(X)^{\vee}(-n). Par la semisimplicité de Jannsen, il suffit alors de montrer que Hom(πnum(X),πnum(X)(n))0\operatorname{Hom}(\pi_{\operatorname{num}}(X),\pi_{\operatorname{num}}(X)^{\vee}(-n))\neq 0. Cet énoncé peut se démontrer après extension des scalaires. On étend les scalaires au corps F0F_{0} de la Remarque 4.13(2).

On utilise la décomposition de cette même remarque. Par semisimplicité on peut supposer que XX soit un facteur direct d’un des facteurs MM de cette décomposition. Rappelons que l’on dispose d’un accouplement qnq_{n} non-dégénéré sur MM et que MM a dimension un ou deux.

Si MM a dimension un alors X=MX=M et on a terminé. Si MM a dimension deux, remontons aux motifs homologiques, via le Théorème 5.2. On pourra alors utiliser la réalisation et il suffira de montrer que l’accouplement restreint à la droite qui est la réalisation de XX reste non-dégénéré, autrement dit que la droite n’est pas isotrope. (C’est ici que l’on utilisera que le poids est pair. Remarquons notamment que si le poids est impair l’accouplement sur MM est alterné et donc toute droite est isotrope.)

La subtilité est que la catégorie des motifs homologiques dépend a priori de la cohomologie choisie mais la bonne nouvelle est qu’il suffit d’étudier une seule cohomologie bien choisie. On utilise alors la cohomologie λ\lambda-adique comme dans la preuve du Théorème 5.4 avec le même choix de λ\lambda : on y avait montré que la réalisation de MM est sans vecteurs isotropes. ∎

Théorème 5.6.

Les foncteurs de réalisation \ell-adique

R:CHM(𝔽q)abGrVectR_{\ell}:\operatorname{CHM}(\mathbb{F}_{q})^{\operatorname{ab}}\longrightarrow\mathrm{GrVect}_{\mathbb{Q}_{\ell}}

sont conservatifs.

Démonstration.

Soit f:XYf:X\rightarrow Y une application dans CHM(𝔽q)ab\operatorname{CHM}(\mathbb{F}_{q})^{\operatorname{ab}} telle que R(f):R(X)R(Y)R_{\ell}(f):R_{\ell}(X)\rightarrow R_{\ell}(Y) soit un isomorphisme. On veut montrer que ff est un isomorphisme également.

Par le Théorème 5.2 il suffira de travailler avec l’équivalence homologique. En utilisant la décomposition de Künneth, il suffira de supposer que R(X)R_{\ell}(X) et R(Y)R_{\ell}(Y) sont concentrés en un même degré cohomologique.

Supposons d’abord que R(X)R_{\ell}(X) et R(Y)R_{\ell}(Y) aient dimension un. On dispose d’applications

𝟙YXYX𝟙,\mathbbm{1}\longrightarrow Y\otimes X^{\vee}\cong Y^{\vee}\otimes X\longrightarrow\mathbbm{1},

où la première et la dernière application sont obtenues par adjonction à partir de ff et l’isomorphisme central vient de la Proposition 5.5.

Dans ce cas les réalisations des applications ci-dessus sont des isomorphismes et par la Proposition 4.5 on a 𝟙YX\mathbbm{1}\cong Y\otimes X^{\vee} donc XYX\cong Y.

Travaillons maintenant dans le cas général : soit dd la dimension de R(X)R_{\ell}(X) et R(Y)R_{\ell}(Y). Supposons que leur degré cohomologique soit pair (sinon il faudra remplacer des produits extérieurs par des produits symétriques dans la suite). L’application

Λdf:ΛdXΛdY\Lambda^{d}f:\Lambda^{d}X\longrightarrow\Lambda^{d}Y

retombe dans le cas particulier de la dimension un traité au-dessus. C’est donc un isomorphisme et on dispose de l’application (Λdf)1(\Lambda^{d}f)^{-1}.

On peut maintenant construire une application g:YXg:Y\rightarrow X via

YΛdY(Λd1Y)ΛdX(Λd1X)XY\cong\Lambda^{d}Y\otimes(\Lambda^{d-1}Y)^{\vee}\longrightarrow\Lambda^{d}X\otimes(\Lambda^{d-1}X)^{\vee}\cong X

où le premier et le dernier isomorphisme viennent du lemme ci-dessous et l’application centrale est (Λdf)1(Λd1f).(\Lambda^{d}f)^{-1}\otimes(\Lambda^{d-1}f)^{\vee}. Par construction, R(g)R_{\ell}(g) est un isomorphisme, on conclut alors par la Proposition 4.5. ∎

Lemme 5.7.

([O’S05, Lemma 3.2]) Soit MM un motif homologique dont la réalisation est concentrée en un degré pair et de dimension dd, alors

MΛdM(Λd1M)M\cong\Lambda^{d}M\otimes(\Lambda^{d-1}M)^{\vee}
Démonstration.

Le motif ΛdM\Lambda^{d}M est un facteur direct de MΛd1MM\otimes\Lambda^{d-1}M. Ceci fournit deux applications entre MM et ΛdM(Λd1M)\Lambda^{d}M\otimes(\Lambda^{d-1}M)^{\vee} dans les deux directions. Leur réalisation est un isomorphisme, on conclut par la Proposition 4.5. ∎

6. Positivité en caracteristique positive

Dans cette section nous étudions la Conjecture de positivité 3.7. Le résultat principal dit que la conjecture est vérifiée pour les motifs de dimension 22 et à réduction supersingulière (Théorème 6.1). Nous expliquons ensuite comment appliquer ce résultat pour déduire la Conjecture standard de type Hodge 3.15 pour certaines variétés, par exemples les variétés abéliennes de dimension quatre. Puis nous discutons le rôle de l’hypothèse de dimension 22.

Théorème 6.1.

Soient MM un motif homologique sur un corps kk de caractéristique pp et q:Sym2M𝟙q:\operatorname{Sym}^{2}M\rightarrow\mathbbm{1} un morphisme dans ot(k){\mathcal{M}ot}(k). Supposons que qq soit la réduction modulo pp d’une application q~:Sym2M~𝟙\widetilde{q}:\operatorname{Sym}^{2}\widetilde{M}\rightarrow\mathbbm{1} définie en caractéristique zéro.

Définissons qZq_{Z} comme la restriction de qq à toutes les classes algébriques Z(M)=Hom(𝟙,M)Z(M)=\operatorname{Hom}(\mathbbm{1},M) de MM et qBq_{B} comme la réalisation singulière de q~\widetilde{q}.

Supposons que qBq_{B} soit une polarisation et supposons avoir M𝟙2M\cong\mathbbm{1}^{\oplus 2}. Alors qZq_{Z} est définie positive.

Remarque 6.2.

(Sur les hypothèses : relevabilité et rang 22.) Il n’est pas rare d’avoir des motifs qui se relèvent à la caractéristique zéro. Par exemple il est attendu que tout motif sur un corps fini se relève, car la conjecture de Tate prédit qu’un tel motif serait de type abélien. En général, même si un motif se relève, ses classes algébriques ne se relèveront pas à la caractéristique zéro, ce qui rend les résultats de positivité difficiles, puisqu’ils ne peuvent pas se déduire des propriétés de positivité des polarisation, voir Définition 2.6.

L’hypothèse restrictive dans le théorème ci-dessus est la dimension deux. La façon d’utiliser ce résultat pour déduire la conjecture standard de type Hodge pour certaines variétés est la suivante. On décompose le motif d’une variété donnée autant que possible. Certains facteurs ne posséderont pas de classes algébriques, d’autres en posséderont uniquement certaines pour lesquels la conjecture standard de type Hodge peut se déduire des cas connus : par exemple ce sont des classes qui se relèvent à la caractéristique zéro ou qui sont construites à partir de diviseurs. Enfin, ils resteront parfois des facteurs qui possèdent des classes algébriques qui ne se ramènent pas à des cas connus. Le point est alors de trouver des variétés pour lesquels ces derniers facteurs sont de dimension deux. Un exemple est donné dans le corollaire ci-dessous.

Corollaire 6.3.

Soit AA une variété abélienne de dimension quatre définie sur un corps de caractéristique pp. Alors

  1. (1)

    La Conjecture standard de type Hodge 3.15 est vraie pour AA,

  2. (2)

    Le produit d’intersection

    CH2(A)/num×CH2(A)/num\operatorname{CH}^{2}(A)/{\operatorname{num}}\times\operatorname{CH}^{2}(A)/{\operatorname{num}}\longrightarrow\mathbb{Q}

    est de signature (ρ2ρ1+1;ρ11)(\rho_{2}-\rho_{1}+1;\rho_{1}-1), où ρn=dim(CH2(A)/num),\rho_{n}=\dim_{\mathbb{Q}}(\operatorname{CH}^{2}(A)/{\operatorname{num}}),

  3. (3)

    Il y a une infinité de nombres premiers p\ell\neq p pour lesquels l’équivalence numérique sur AA coïncide avec l’équivalence homologique pour la cohomologie \ell-adique.

Démonstration.

Par un argument de spécialisation on peut supposer que le corps de définition est fini. On peut alors utiliser la décomposition de la Remarque 4.13(3). Les facteurs qui sont a priori mystérieux pour la Conjecture standard de type Hodge 3.15 sont ceux de type (b), dans la notation de la même remarque. Il se trouve que tous ces facteurs de toutes les variétés abéliennes de dimension quatre sont bien de dimension deux. Ce fait est un petit miracle combinatoire, voir [Anc21, §7] pour les détails ou la Remarque 4.13(3) pour un aperçu.

Les points (1) et (2) sont en fait équivalents. Cette équivalence n’utilise pas le fait que AA est une variété abélienne mais uniquement la dimension quatre. Elle se déduit de la décomposition en parties primitives.

Si le corps de définition est fini le point (3) est un cas particulier du Théorème 5.4 de Clozel. Pour se ramener aux corps finis on spécialise et on utilise la Proposition 3.14. ∎

Remarque 6.4.
  1. (1)

    (Dimension supérieure.) Pour les variétés abéliennes de dimension quelconque on pourra encore utiliser la décomposition de la Remarque 4.13(3). En général les facteurs (b) de la remarque auront dimension plus grande que deux. On peut tout de même trouver des exemples sporadiques pour lesquels ces facteurs de type (b) ont rang 22 et déduire la conjecture standard de type Hodge à l’aide du Théorème 6.1. Ceci a été récemment étudié par Koshikawa [Kos22].

  2. (2)

    (Supersingularité vs Frobenius invariant.) On remarquera un petit décalage entre l’hypothèse de supersingularité M𝟙2M\cong\mathbbm{1}^{\oplus 2} du Théorème 6.1 et la caractérisation des facteurs (b). Tout d’abord remarquons que ces deux descriptions sont équivalentes sous la conjecture de Tate.

    Inconditionnellement, a priori, parmi les facteurs de type (b) certains pourraient ne pas posséder de classe algébrique : ces facteurs pourront être négligés à l’étude de la conjecture standard de type Hodge. Pour les autres on a besoin de montrer que dès qu’un facteur a une classe algébrique il est engendré par des classes algébriques. Ceci se montre en utilisant l’action CM mais l’argument nécessite de travailler avec l’équivalence numérique. Si on travaillait avec l’équivalence homologique on se trouverait devant des problèmes similaires à ceux qui empêchent l’argument de Clozel du Théorème 5.4 de fonctionner pour tout nombre premier \ell.

Définition 6.5.

(Symbole de Hilbert.) Soit qq une \mathbb{Q}-forme quadratique de dimension deux et ν=2,3,5,,\nu=2,3,5,\ldots,\infty une place de \mathbb{Q}. On définit le symbole de Hilbert εν(q)\varepsilon_{\nu}(q) de qq en ν\nu comme étant +1+1 si q(x,y)=z2q(x,y)=z^{2} a une solution non-nulle dans la complétion ν\mathbb{Q}_{\nu} et 1-1 sinon.

Proposition 6.6.

Gardons les notations du Théorème 6.1 et soit nn l’unique entier tel que la réalisation singulière de M~\widetilde{M} soit une structure de Hodge de type (n,+n)(-n,+n). Alors qZq_{Z} est définie positive si et seulement si

(6.1) εp(qZ)=(1)nεp(qB),\displaystyle\varepsilon_{p}(q_{Z})=(-1)^{n}\varepsilon_{p}(q_{B}),

ce qui est encore équivalent au fait que qZpq_{Z}\otimes\mathbb{Q}_{p} est isomorphe à qBpq_{B}\otimes\mathbb{Q}_{p} si et seulement si nn est pair.

Remarque 6.7.

L’idée de la preuve de cette proposition a déjà été introduite dans l’Exemple 4.9 et la remarque qui le suit. Cette proposition est par ailleurs le point crucial où l’hypothèse de la dimension deux est nécessaire.

Démonstration.

Tout d’abord on remarque que, pour tout nombre premier p\ell\neq p, on a qBqZ,q_{B}\otimes\mathbb{Q}_{\ell}\cong q_{Z}\otimes\mathbb{Q}_{\ell}, c’est la combinaison du théorème de comparaison d’Artin et du changement de base propre et lisse en cohomologie \ell-adique. Cela implique en particulier que ε(qZ)=ε(qB)\varepsilon_{\ell}(q_{Z})=\varepsilon_{\ell}(q_{B}), mais aussi que le discriminant de qBq_{B} et qZq_{Z} coïncident dans /()2\mathbb{Q}^{*}/(\mathbb{Q}^{*})^{2}, car un nombre rationnel est un carré s’il l’est dans presque toute complétion.

D’autre part, en suivant la Définition 2.6, on a que qBq_{B} est (1)n(-1)^{n}-définie positive. Cela implique en particulier que ε(qB)=(1)n\varepsilon_{\infty}(q_{B})=(-1)^{n}, et que le discriminant de qBq_{B} est positif. On en déduit que qZq_{Z} a discriminant positif et donc, puisqu’on est en rang deux, que qZq_{Z} est définie positive ou définie négative. La positivité de qZq_{Z} est équivalente alors à ε(qZ)=+1\varepsilon_{\infty}(q_{Z})=+1.

A l’aide de la formule du produit sur les symboles de Hilbert on a

(6.2) νεν(qZ)=1=νεν(qB).\displaystyle\prod_{\nu}\varepsilon_{\nu}(q_{Z})=1=\prod_{\nu}\varepsilon_{\nu}(q_{B}).

En simplifiant les facteurs \ell-adiques on obtient ε(qZ)εp(qZ)=ε(qB)εp(qB)\varepsilon_{\infty}(q_{Z})\cdot\varepsilon_{p}(q_{Z})=\varepsilon_{\infty}(q_{B})\cdot\varepsilon_{p}(q_{B}) et donc ε(qZ)εp(qZ)=(1)nεp(qB)\varepsilon_{\infty}(q_{Z})\cdot\varepsilon_{p}(q_{Z})=(-1)^{n}\cdot\varepsilon_{p}(q_{B}). On conclut que ε(qZ)=+1\varepsilon_{\infty}(q_{Z})=+1 si et seulement si la formule (6.1) est satisfaite.

La dernière équivalence de la proposition suit du fait que deux p\mathbb{Q}_{p}-formes quadratiques non-dégénérées de même rang sont isomorphes si et seulement si elles ont le même discriminant et le même symbol de Hilbert. ∎

Démonstration du Théorème 6.1.

Par la proposition précédente on est ramené à un problème purement pp-adique. Ce dernier a en plus une interprétation cohomologique qui permet de le traduire en une question de théorie de Hodge pp-adique. Pour expliquer cette traduction définissons VB,pV_{B,p} comme la réalisation étale pp-adique de M~\widetilde{M} et VZ,pV_{Z,p} comme la partie Frobenius invariante de la réalisation cristalline de MM. Chacun de ces deux p\mathbb{Q}_{p}-espaces vectoriels de dimension deux est muni d’une forme quadratique induite respectivement par q~\widetilde{q} et qq. Ces deux formes quadratiques ne sont rien d’autre que qBpq_{B}\otimes\mathbb{Q}_{p} et qZpq_{Z}\otimes\mathbb{Q}_{p}. La première identification suit du théorème de comparaison d’Artin. La deuxième vient du fait que la partie Frobenius invariante contient toujours l’espace engendré par les classes algébriques et dans ce cas cette inclusion est une égalité par dimension.

Le théorème de comparaison pp-adique montré par Faltings fournit un isomorphisme

(6.3) VB,pBcris=VZ,pBcris\displaystyle V_{B,p}\otimes B_{\operatorname{cris}}=V_{Z,p}\otimes B_{\operatorname{cris}}

fonctoriel, compatible à toutes les structures que l’on pourrait imaginer et en particulier avec les formes quadratiques qBq_{B} et qZq_{Z}. On conclut à l’aide des deux phénomènes suivants.

(a) La matrice de changement de base est calculable dans at2×2(Bcris){\mathcal{M}at}_{2\times 2}(B_{\operatorname{cris}}). Elle ne dépend que de l’entier nn de la filtration de Hodge et de l’algèbre End(VB,p)\operatorname{End}(V_{B,p}) des endomorphismes de VB,pV_{B,p} comme représentation galoisienne.

(b) La description de cette matrice est suffisante pour déduire que qBpq_{B}\otimes\mathbb{Q}_{p} et qZpq_{Z}\otimes\mathbb{Q}_{p} sont isomorphes si et seulement si nn est pair. ∎

On passe maintenant à la description des deux phénomènes (a) et (b) de la fin de la preuve ci-dessus. Si le deuxième est élémentaire le premier est une propriété remarquable de la théorie de Hodge pp-adique qui la différencie de la théorie de Hodge classique.

Exemple 6.8.

Supposons avoir deux \mathbb{R}-formes quadratiques définies et de dimension deux q1(x,y)=a1x2+b1y2q_{1}(x,y)=a_{1}x^{2}+b_{1}y^{2} et q2(x,y)=a2x2+b2y2q_{2}(x,y)=a_{2}x^{2}+b_{2}y^{2} et une identification q1=q2q_{1}\otimes_{\mathbb{R}}\mathbb{C}=q_{2}\otimes_{\mathbb{R}}\mathbb{C}. Supposons savoir que la matrice de changement de base de l’identification est

(i00i).\begin{pmatrix}i&0\\ 0&i\end{pmatrix}.

On pourra alors en déduire que q1q_{1} et q2q_{2} ne sont pas isomorphes (une est définie négative et l’autre est définie positive). Les arguments au point (b) dans la preuve du Théorème 6.1 sont tout aussi élémentaires et ressemblent à cet exemple, avec \mathbb{R} et \mathbb{C} qui sont remplacés par p\mathbb{Q}_{p} et BcrisB_{\operatorname{cris}}.

Remarque 6.9.

(Théorème de comparaison pp-adique vs classique.) Le théorème de comparaison pp-adique

(6.4) RpBcris=RcrisBcris,\displaystyle R_{p}\otimes B_{\operatorname{cris}}=R_{\operatorname{cris}}\otimes B_{\operatorname{cris}},

dont (6.3) en est une instance, est souvent considéré comme l’analogue pp-adique du théorème de comparaison entre cohomologie singulière et cohomologie de de Rham algébrique

(6.5) RB=RdR\displaystyle R_{B}\otimes\mathbb{C}=R_{\mathrm{dR}}\otimes\mathbb{C}

que l’on a discuté dans l’Exemple 4.11. En fait le théorème de comparaison pp-adique a des avantages par rapport à sa version classique, que l’on liste ci-dessous. (C’est grâce à ces propriétés que l’on peut notamment calculer certaines matrices de changement de base et déterminer des relations entre leurs entrées, cf. le point (a) de la preuve du Théorème 6.1.)

Rappelons que les réalisations classiques d’un motif MM possèdent des structures supplémentaires. En particulier, RdR(M)R_{\mathrm{dR}}(M) est munie d’une filtration, RB(M)R_{B}(M) est munie d’une structure de Hodge, Rp(M)R_{p}(M) est munie de l’action du groupe de Galois d’un corps pp-adique et Rcris(M)R_{\operatorname{cris}}(M) est un φ\varphi-module filtré, i.e. elle est munie d’une filtration et d’une action du Frobenius absolu φ\varphi.

Rappelons aussi que les coefficients des matrices qui apparaissent dans les comparaisons (6.4) ou (6.5) sont appelés périodes.

  1. (1)

    L’anneau BcrisB_{\operatorname{cris}} est muni des actions du Frobenius absolu φ\varphi et du groupe de Galois absolu de p\mathbb{Q}_{p} ainsi que d’une filtration141414Certaines structures sont définies dans un plus gros anneau noté BdRB_{\mathrm{dR}}. On ignore ici ce point pour simplifier l’exposition.. La comparaison (6.4) respecte ces trois structures. Quand on dispose d’objets cohomologiques suffisamment concrets, comme ceux de (6.3), on peut explicitement décrire ces structures sur les périodes.

    Le corps \mathbb{C} en revanche n’est pas muni de structures qui imiterait la filtration ou la structure de Hodge. Connaître la structure de Hodge sous-jacente à RB(M)R_{B}(M) n’aide pas à avoir des informations sur les périodes complexes du motif MM.

  2. (2)

    Dans [Fal89], Faltings montre une équivalence de catégories entre certains φ\varphi-modules filtrés, dits admissibles, et certaines représentations de groupes de Galois de corps pp-adiques, dites cristallines. La condition d’admissibilité est toujours vérifiée par les modules d’origine géométrique, i.e. par les réalisations de motifs.

    Cette équivalence est en plus compatible au théorème de comparaison (6.4). En particulier, des périodes dans BcrisB_{\operatorname{cris}} qui ont un certain comportement par rapport à φ\varphi et à la filtration doivent correspondre à un unique φ\varphi-module filtré et donc aussi à une unique représentation de Galois. Autrement dit, les périodes pp-adique associées à un motif donné sont caractérisées par leur comportement par rapport à deux structures : Frobenius et filtration.

    Une structure de Hodge est beaucoup plus riche qu’une filtration. Par exemple, pour deux variétés d’une même famille, les espaces vectoriels filtrés correspondant seront isomorphes alors que les structures de Hodge ne le seront pas, en général151515Si on considère la courbe elliptique Et:y2=x(x1)(xt)E_{t}:y^{2}=x(x-1)(x-t) pour t{0,1}t\in\mathbb{Q}-\{0,1\} et le motif Mt=𝔥1(E)M_{t}=\mathfrak{h}^{1}(E) alors RdR(Mt)R_{\mathrm{dR}}(M_{t}) est la donnée d’un \mathbb{Q}-espace vectoriel de dimension 22 muni d’une droite à l’intérieur. En revanche la structure de Hodge RB(Mt)R_{B}(M_{t}) détermine EtE_{t} à isogénie près, notamment il y aura des structures de Hodge CM et d’autres qui ne le sont pas.. On ne peut pas avoir une équivalence de catégories entre ces deux structures cohomologiques.

    (De façon informelle, le passage du cas complexe (6.5) au cas pp-adique (6.4) correspond à enrichir la structure de de Rham et à réduire celle de Hodge suffisamment pour avoir deux structures équivalentes. En effet, la réalisation cristalline hérite la filtration de de Rham mais elle possède en plus l’action du Frobenius absolu φ\varphi. D’autre part, d’après la conjecture de Mumford-Tate, une structure de Hodge est grosso-modo équivalente à une représentation de Galois d’un corps de nombres, or sur Rp(M)R_{p}(M) on ne regarde que l’action d’un certain de ses sous-groupes de décomposition.)

  3. (3)

    La condition d’admissibilité, discutée au point précédent, se trouve être relativement élémentaire à vérifier, grâce à [CF00]. Ceci permet de construire facilement des φ\varphi-modules filtrés admissibles et donc des matrices de périodes avec action de Frobenius et filtration prescrites.

    On ne dispose pas de méthode élémentaire de construction de périodes complexes. Il s’agit d’intégrales de formes différentielles algébriques qui sont souvent difficiles à calculer. Leurs relations sont prédites par la conjectures des périodes de Grothendieck et restent mystérieuses.

En résumant, le point (a) de la preuve du Théorème 6.1 est le calcul de la matrice de périodes associée à (6.3). Ce calcul procède comme suit : on décrit l’action de φ\varphi et la filtration sur ces pédiodes (point (1) ci-dessus), puis on montre que cette description caractérise les périodes en question (point (2)), enfin on construit de telles périodes (point (3)).

Exemple 6.10.

(Un calcul de périodes.) Soit MM un motif comme dans le Théorème 6.1 pour lequel on veut montrer la relation (6.1). Cela passe par le calcul de la matrice de périodes de (6.3). Ce calcul dépend de l’entier nn (défini dans la Proposition 6.6) et de l’algèbre End(VB,p)\operatorname{End}(V_{B,p}) des endomorphismes de VB,pV_{B,p} comme représentation galoisienne.

Supposons n=1n=1 : on doit alors montrer que qZpq_{Z}\otimes\mathbb{Q}_{p} et qBpq_{B}\otimes\mathbb{Q}_{p} ne sont pas isomorphes, voir la Proposition 6.6. Supposons également que End(VB,p)\operatorname{End}(V_{B,p}) soit le corps p2\mathbb{Q}_{p^{2}}, l’unique extension non ramifiée de degré 22 de p\mathbb{Q}_{p}. Comme BcrisB_{\operatorname{cris}} contient toutes les extensions non ramifiées, on peut alors écrire (6.3) comme

(6.6) (VB,ppp2)p2Bcris=(VZ,ppp2)p2Bcris.\displaystyle(V_{B,p}\otimes_{\mathbb{Q}_{p}}\mathbb{Q}_{p^{2}})\otimes_{\mathbb{Q}_{p^{2}}}B_{\operatorname{cris}}=(V_{Z,p}\otimes_{\mathbb{Q}_{p}}\mathbb{Q}_{p^{2}})\otimes_{\mathbb{Q}_{p^{2}}}B_{\operatorname{cris}}.

L’action de End(VB,p)=p2\operatorname{End}(V_{B,p})=\mathbb{Q}_{p^{2}} sur VB,pV_{B,p} décompose VB,ppp2V_{B,p}\otimes_{\mathbb{Q}_{p}}\mathbb{Q}_{p^{2}} en deux droites échangées par le groupe de Galois Gal(p2/p).\operatorname{Gal}(\mathbb{Q}_{p^{2}}/\mathbb{Q}_{p}). En particulier on peut choisir deux vecteurs vBv_{B} et wBw_{B} échangés par le groupe de Galois et appartenant à ces droites.

L’algèbre p2\mathbb{Q}_{p^{2}} agit également sur VZ,pV_{Z,p}, grâce à l’équivalence de catégories de Faltings, voir aussi le point (2) de la Remarque 6.9. On peut alors construire vZv_{Z} et wZw_{Z} de façon analogue. De plus, comme (6.3) est compatible à cette action, il existe deux périodes α,βBcris\alpha,\beta\in B_{\operatorname{cris}} telles que

αvB=vZetβvB=vZ.\alpha v_{B}=v_{Z}\hskip 14.22636pt\textrm{et}\hskip 14.22636pt\beta v_{B}=v_{Z}.

Je prétends qu’elles satisfont aux relations

(6.7) φ(α)=βetφ(β)=α\displaystyle\varphi({\alpha})=\beta\hskip 14.22636pt\textrm{et}\hskip 14.22636pt\varphi({\beta})=\alpha

ainsi que

(6.8) αFil1Fil2etβFil1Fil0.\displaystyle\alpha\in\mathrm{Fil}^{1}-\mathrm{Fil}^{2}\hskip 14.22636pt\textrm{et}\hskip 14.22636pt\beta\in\mathrm{Fil}^{-1}-\mathrm{Fil}^{0}.

En effet Gal(p2/p)\operatorname{Gal}(\mathbb{Q}_{p^{2}}/\mathbb{Q}_{p}) est engendré par le Frobenius et d’autre part l’action du Frobenius sur VB,pV_{B,p} et VZ,pV_{Z,p} est triviale par définition. Quant à la relation sur la filtration, on la déduit du fait que les droites propres que l’on a construites doivent être isotropes, or la droite définie par la filtration sur la réalisation cristalline de MM doit aussi l’être, en particulier elle doit coïncider avec une de ces droites propres (après extension des scalaires).

Les relations (6.7) et (6.8) sont un exemple du principe (1) expliqué dans la Remarque 6.9.

Considérons maintenant le p2\mathbb{Q}_{p^{2}} espace vectoriel

P={γBcris,φ2(γ)=γ,γFil1Fil2etφ(γ)Fil1Fil0}.P=\{\gamma\in B_{\operatorname{cris}},\hskip 14.22636pt\varphi^{2}({\gamma})=\gamma,\hskip 14.22636pt\gamma\in\mathrm{Fil}^{1}-\mathrm{Fil}^{2}\hskip 14.22636pt\textrm{et}\hskip 14.22636pt\varphi({\gamma})\in\mathrm{Fil}^{-1}-\mathrm{Fil}^{0}\}.

Je prétends qu’il a dimension 11, autrement dit que n’importe quel élément de PP est en fait une période de MM construite ci-dessus. Ceci est un exemple du principe (2) expliqué dans la Remarque 6.9.

Pour le montrer remarquons d’abord qu’une période α\alpha de MM est inversible dans BcrisB_{\operatorname{cris}}. On peut alors considérer l’espace P/αBcrisP/\alpha\subset B_{\operatorname{cris}}, il correspondra à

α1P={λBcris,φ2(λ)=λ,λFil0Fil1etφ(λ)Fil0Fil1}.\alpha^{-1}P=\{\lambda\in B_{\operatorname{cris}},\hskip 14.22636pt\varphi^{2}({\lambda})=\lambda,\hskip 14.22636pt\lambda\in\mathrm{Fil}^{0}-\mathrm{Fil}^{-1}\hskip 14.22636pt\textrm{et}\hskip 14.22636pt\varphi({\lambda})\in\mathrm{Fil}^{0}-\mathrm{Fil}^{-1}\}.

Or cet espace est p2Bcris\mathbb{Q}_{p^{2}}\subset B_{\operatorname{cris}} par [Fon94, Théorème 5.3.7].

Pour conclure construisons une période tt avec les propriétés

t,φ(t)Bcris,φ2(t)=pt,tFil1Fil2etφ(t)Fil0Fil1.t,\varphi(t)\in B^{*}_{\operatorname{cris}},\hskip 14.22636pt\varphi^{2}(t)=p\cdot t,\hskip 14.22636ptt\in\mathrm{Fil}^{1}-\mathrm{Fil}^{2}\hskip 14.22636pt\textrm{et}\hskip 14.22636pt\varphi(t)\in\mathrm{Fil}^{0}-\mathrm{Fil}^{1}.

De ces propriétés on déduit que α=t/φ(t)P\alpha=t/\varphi(t)\in P, autrement dit α\alpha est une période du motif MM, et αφ(α)=1/p\alpha\cdot\varphi(\alpha)=1/p. Cette dernière relation implique que qZpq_{Z}\otimes\mathbb{Q}_{p} et qBpq_{B}\otimes\mathbb{Q}_{p} ne sont pas isomorphes par un calcul élémentaire qui est analogue à celui de l’Exemple 6.8.

La construction de tt suit le principe (3) expliqué dans la Remarque 6.9. Considérons le φ\varphi-module filtré N=p2N=\mathbb{Q}_{p}^{2} muni du Frobenius

φ=(01/p10)\varphi=\begin{pmatrix}0&1/p\\ 1&0\end{pmatrix}

et de la filtration

Fil1=N,Fil0=pe2,Fil1=0.\mathrm{Fil}^{-1}=N,\mathrm{Fil}^{0}=\mathbb{Q}_{p}\cdot e_{2},\mathrm{Fil}^{1}=0.

On vérifie que c’est un φ\varphi-module admissible, donc il existe une représentation de Galois VV qui lui correspond par l’équivalence de catégorie de Faltings et qui donne une comparaison VBcris=NBcris=Bcris2.V\otimes B_{\operatorname{cris}}=N\otimes B_{\operatorname{cris}}=B_{\operatorname{cris}}^{2}. Puisque cette identification est compatible à toutes les structures, on voit que les vecteurs de VBcris2V\subset B_{\operatorname{cris}}^{2} sont exactement de la forme (t,φ(t))(t,\varphi(t))tt satisfait aux propriétés voulues.

Remarque 6.11.

(Généralisations possibles.) La partie pp-adique de l’argument présenté se généralise aux motifs de dimension plus grande : les principes généraux expliqués dans la Remarque 6.9 restent valables, les calculs de l’Exemple 6.10 deviennent plus compliqués mais peuvent être traités. Dans un travail avec Adriano Marmora [AM22] nous avons pu en déduire une généralisation de la formule (6.1). En suivant l’argument de la Proposition 6.6 cela donne la positivité du symbole de Hilbert à l’infini ε(qZ)=+1.\varepsilon_{\infty}(q_{Z})=+1. Malheureusement cette information ne suffit pas à déduire que qZq_{Z} est défini positive, c’est le point crucial où l’on utilisait l’hypothèse de dimension 22.

Pour passer à la dimension supérieure il faudrait trouver un invariant défini en toute place, tel que la place à l’infini soit contrôlée par toutes les places finies et d’autre part tel que l’invariant à l’infini détermine toute la signature. Une tentative pourrait passer par la cohomologie galoisienne : les kk-formes quadratiques non dégénérées et de rang donné sont en bijection avec H1(k,O)H^{1}(k,O)OO est un kk-groupe orthogonal de rang convenable. L’application

H1(,O)νH1(ν,O).H^{1}(\mathbb{Q},O)\longrightarrow\bigoplus_{\nu}H^{1}(\mathbb{Q}_{\nu},O).

est injective, c’est le théorème d’Hasse–Minkowski. Son défaut de surjectivité est justement contrôlé par la formule du produit des symboles de Hilbert. Le problème déjà soulevé se reformule alors ainsi : l’application

H1(,O)νH1(ν,O)H^{1}(\mathbb{Q},O)\longrightarrow\bigoplus_{\nu\neq\infty}H^{1}(\mathbb{Q}_{\nu},O)

n’est plus injective.

On peut alors essayer d’exploiter plus d’informations géométriques de notre situation et faire surgir des groupes plus petits. Par exemple les motifs qui apparaissent dans le problème sont munis non seulement d’une forme quadratique mais aussi de l’action d’un corps CM. Ajouter cette donnée au problème correspond à étudier la cohomologie galoisienne d’un tore maximal TT du groupe orthogonal OO. On dispose encore d’un principe local-global : l’application

H1(,T)νH1(ν,T).H^{1}(\mathbb{Q},T)\longrightarrow\bigoplus_{\nu}H^{1}(\mathbb{Q}_{\nu},T).

est injective. Le point crucial serait alors d’avoir l’injectivité aussi de l’application

H1(,T)νH1(ν,T).H^{1}(\mathbb{Q},T)\longrightarrow\bigoplus_{\nu\neq\infty}H^{1}(\mathbb{Q}_{\nu},T).

Malheureusement elle n’est pas injective : on peut calculer son noyau à l’aide de la suite exacte de Poitou–Tate.

7. Périodes pp-adiques à la André

Dans cette section nous présentons un travail en collaboration avec Dragos Fratila. Les motivations sont d’origine géométrique - l’étude des classes algébriques en caractéristique pp - mais le résultat final est plutôt arithmétique : on construit une algèbre de périodes pp-adiques ainsi qu’un cadre tannakien pour l’étudier.

Des telles périodes devraient avoir des analogies avec les périodes complexes que l’on a rencontré dans l’Exemple 4.11. Les périodes pp-adiques de Fontaine possèdent des propriétés cohomologiques analogues à celles des périodes complexes et même plus fortes (Remarque 6.9). Par contre les propriétés arithmétiques des périodes complexes, comme leur transcendence ou leur lien avec les fonctions spéciales, n’ont pas de bon analogue dans les périodes pp-adiques de Fontaine [And90].

Pendant que notre travail avançait nous avons découvert qu’André avait tissé des liens similaires [And95, And03]. Son travail nous a été utile pour raffiner notre étude et notamment pour formuler la condition de ramification (Définition 7.10).

Motivation

Le point de départ vient d’une remarque de Tate : la conjecture de Tate prédit l’existence de classes algébriques mais elle ne prédit pas quelle classe cohomologique est algébrique [Mil07, Aside 6.5]. Une façon d’interpréter cette remarque est que l’on a une description du \mathbb{Q}_{\ell}-espace vectoriel engendré par les classes algébrique mais on n’a pas de description du \mathbb{Q}-espace vectoriel engendré par ces dernières. C’est un point délicat qui est présent dès le travail de Tate sur la conjecture de Tate pour les diviseurs sur les variétés abéliennes sur un corps fini [Tat66], et plus récemment dans le travail de Charles sur la conjecture de Tate pour les diviseurs sur les surfaces K3 [Cha13].

Un exemple élémentaire qui illustre cette subtilité est le suivant : il existe des \mathbb{Q}_{\ell}-droites dans la cohomologie \ell-adique d’une variété XX, disons définie sur un corps fini, qui sont Galois invariantes et pourtant elles ne contiennent pas d’élément du \mathbb{Q}-espace vectoriel ImclX\operatorname{Im}\operatorname{cl}_{X}. Pour construire de tels exemples prenons XX une surface abélienne, ou une K3, et fixons deux classes de diviseurs α\alpha et β\beta linéairement indépendantes. Prenons maintenant une constante cc\in\mathbb{Q}_{\ell}-\mathbb{Q}. Alors la droite engendrée par α+cβ\alpha+c\beta convient. Pour le montrer on peut utiliser le produit d’intersection et le fait qu’il est défini à coefficients rationnels.

Un échec : cas \ell-adique

Faute de savoir décrire le \mathbb{Q}-espace vectoriel des classes algébriques, un premier pas est de le comparer à un autre \mathbb{Q}-espace vectoriel. C’est notamment ce que l’on a fait dans l’Exemple 4.9 et la remarque qui le suit.

Prenons une variété XpX_{p} définie sur 𝔽¯p\overline{\mathbb{F}}_{p} et supposons qu’elle se relève à une variété XX définie sur ¯\overline{\mathbb{Q}}. Au moyen d’un plongement σ:¯\sigma:\overline{\mathbb{Q}}\hookrightarrow\mathbb{C} on dispose d’une identification

(7.1) HB(X(),)=H(Xp)\displaystyle H^{*}_{B}(X(\mathbb{C}),\mathbb{Q})\otimes\mathbb{Q}_{\ell}=H^{*}_{\ell}(X_{p})

induite par le théorème de comparaison d’Artin et le changement de base propre et lisse. Sous cette identification on peut étudier la position du \mathbb{Q}-espace vectoriel ZpZ_{p} des classes algébriques sur XpX_{p} par rapport à HB(X(),)H^{*}_{B}(X(\mathbb{C}),\mathbb{Q}). Le premier fait que l’on remarque est que l’intersection ZpHB(X(),)Z_{p}\cap H^{*}_{B}(X(\mathbb{C}),\mathbb{Q}) contient le \mathbb{Q}-espace vectoriel Z0Z_{0} des classes algébriques sur XX. Inspiré par les différentes versions de la conjectures des périodes de Grothendieck on peut se demander si cette inclusion est en fait une égalité.

Après avoir montré que cette question a réponse affirmative dans certains cas, nous avons compris que la réponse est négative en général. Les cas affirmatifs sont les surfaces à rang de Picard maximal - par une méthode similaire celle présentée dans l’Exemple 4.9 - et les variétés abéliennes CM [AF22, §10]. Il est possible de construire des contre-exemples avec le carré d’une courbe elliptique non CM. L’argument suit en fait la technique qui a permis à André de montrer que l’analogue de la conjecture des périodes de Grothendieck est fausse pour le théorème de comparaison pp-adique. En effet (7.1) dépend du choix de σ\sigma. On peut faire varier σ\sigma en utilisant le groupe de Galois absolu du corps de nombre sur lequel XX est défini. Dans certains cas on sait que l’action de ce groupe de Galois sur H(Xp)H^{*}_{\ell}(X_{p}) est hautement non triviale [Ser72], ce qui permet faire varier le \mathbb{Q}-espace vectoriel HB(X(),)H^{*}_{B}(X(\mathbb{C}),\mathbb{Q}) et notamment de le faire rencontrer ZpZ_{p} de façon inattendue.

Cas pp-adique

Fixons une fois pour toutes un plongement ¯¯p\overline{\mathbb{Q}}\subset\overline{\mathbb{Q}}_{p}. Prenons comme auparavant une variété XX définie sur ¯\overline{\mathbb{Q}} à bonne réduction et notons XpX_{p} sa réduction. On dispose de la comparaison entre cohomologie de de Rham et cohomologie cristalline

HdR(X,¯)¯p=Hcris(Xp,¯p)H^{*}_{\mathrm{dR}}(X,\overline{\mathbb{Q}})\otimes\overline{\mathbb{Q}}_{p}=H^{*}_{\operatorname{cris}}(X_{p},\overline{\mathbb{Q}}_{p})

due à Berthelot.

Notons par ZpZ_{p} le \mathbb{Q}-espace vectoriel des classes algébriques sur XpX_{p} et par Z0Z_{0} le \mathbb{Q}-espace vectoriel des classes algébriques sur X.X. On a comme dans le cas \ell-adique l’inclusion

Z0ZpHdR(X,¯)Z_{0}\subset Z_{p}\cap H^{*}_{\mathrm{dR}}(X,\overline{\mathbb{Q}})

et on peut encore une fois se demander si cette inclusion est en fait une égalité.

Conjecture 7.1.

(ppGPCw : Analogue pp-adique de la version faible de la conjecture des périodes de Grothendieck.)

Est-ce que l’inclusion Z0ZpHdR(X,¯)Z_{0}\subset Z_{p}\cap H^{*}_{\mathrm{dR}}(X,\overline{\mathbb{Q}}) est une égalité ?

Pour rendre cette question raisonnable il est nécessaire d’imposer une condition de ramification que l’on discutera plus tard et que l’on ignore pour l’instant (Définition 7.10). Cette question apparaît comme l’analogue pp-adique de la version faible de la conjecture des périodes de Grothendieck (appelée parfois conjecture de de Rham–Betti [And04, §7]). La remarque ci dessous fait le lien entre cette conjecture et différentes conjectures classiques sur les cycles algébriques.

Tout comme son pendant classique, cette conjecture prédit de la transcendence. En effet elle prédit qu’une classe algébrique en caractéristique pp qui n’est pas relevable à la caractéristique zéro ne peut pas être dans HdR(X,¯)H^{*}_{\mathrm{dR}}(X,\overline{\mathbb{Q}}), autrement dit, au moins une de ses coordonnées par rapport à une base de HdR(X,¯)H^{*}_{\mathrm{dR}}(X,\overline{\mathbb{Q}}) doit être transcendante. La version forte de la conjecture de Grothendieck pp-adique prédira de façon précise le degré de transcendance de toutes ces coordonnées (Conjecture 7.13).

Remarque 7.2.

(ppGPCw vs conjectures classiques.) Comparons maintenant la question qui a été soulevée au paragraphe précédent, notée (ppGPCw), avec trois conjectures classiques que nous rappelons de façon informelle (voir [And04, §7] pour plus de détails). Ces trois conjectures sont la conjecture de Hodge (HC), la version faible de la conjecture des périodes de Grothendieck (GPCw) et la conjecture de Hodge variationnelle pp-adique de Fontaine et Messing (ppHC).

  • (HC)

    Une classe rationnelle en cohomologie singulière est algébrique si et seulement si elle appartient au bon degré de la filtration de de Rham.

  • (GPCw)

    Une classe rationnelle en cohomologie de de Rham est algébrique si et seulement si elle est rationnelle pour la cohomologie singulière

  • (ppHC)

    Une classe algébrique en cohomologie cristalline se relève à la caractéristique zéro si et seulement si elle appartient au bon degré de la filtration de de Rham.

De façon informelle, on peut voir (ppGPCw) comme «  le produit fibré de (ppHC) et (GPCw) au-dessus de (HC)   ».

(pGPCw)(GPCw)(pHC)(HC)\begin{matrix}(p\textrm{GPCw})&\rightarrow&(\textrm{GPCw})\\ \downarrow&&\downarrow\\ ($p$\textrm{HC})&\rightarrow&(\textrm{HC})\end{matrix}

La partie droite du diagramme concerne la caractéristique zéro, celle de gauche la caractéristique mixte. La conjectures du bas comparent une structure rationnelle et une filtration, celles du haut comparent deux structures rationnelles.

Définition 7.3.

(Périodes pp-adiques à la André.) Soit Mot(¯)M\in{\mathcal{M}ot}(\overline{\mathbb{Q}}) un motif homologique161616Tout comme dans le cas classique on travaillera qu’avec des motifs vérifiant hom=num\hom=\operatorname{num}, par exemple les motifs issues de produits de courbes elliptiques : ceci est nécessaire pour avoir des catégories tannakiennes. à bonne réduction et soit Mpot(𝔽¯p)M_{p}\in{\mathcal{M}ot}(\overline{\mathbb{F}}_{p}) sa réduction. Notons leurs classes algébriques par

Z0(M)=Homot(¯)(𝟙,M)etZp(M)=Homot(𝔽¯p)(𝟙,Mp).Z_{0}(M)=\operatorname{Hom}_{{\mathcal{M}ot}(\overline{\mathbb{Q}})}(\mathbbm{1},M)\hskip 14.22636pt\textrm{et}\hskip 14.22636ptZ_{p}(M)=\operatorname{Hom}_{{\mathcal{M}ot}(\overline{\mathbb{F}}_{p})}(\mathbbm{1},M_{p}).

Considérons le théorème de comparaison de Berthelot

(7.2) RdR(M)¯¯p=Rcris(Mp).\displaystyle R_{\mathrm{dR}}(M)\otimes_{\overline{\mathbb{Q}}}\overline{\mathbb{Q}}_{p}=R_{\operatorname{cris}}(M_{p}).

Pour tout choix de base \mathcal{B} de Zp(M)Z_{p}(M) et \mathcal{B}^{\prime} de RdR(M)R_{\mathrm{dR}}(M) définissons at,(M){\mathcal{M}at}_{\mathcal{B},\mathcal{B}^{\prime}}(M) comme la matrice ayant comme vecteurs colonnes les coordonnées de \mathcal{B} par rapport à \mathcal{B}^{\prime}. Nous appelons les coefficients de cette matrice les périodes pp-adique d’André de MM et définissons 𝒫p(M)¯p\mathcal{P}_{p}(M)\subset\overline{\mathbb{Q}}_{p} comme la ¯\overline{\mathbb{Q}}-algèbre engendrée par ces périodes.

Remarque 7.4.

(Périodes classiques vs périodes pp-adiques à la André.)

  1. (1)

    Si un élément de \mathcal{B} est une classe algébrique qui n’est pas relevable à la caractéristique zéro au moins une de ses périodes devrait être transcendante par la Conjecture 7.1.

  2. (2)

    La matrice at,(M){\mathcal{M}at}_{\mathcal{B},\mathcal{B}^{\prime}}(M) dépend bien du choix des bases \mathcal{B} et \mathcal{B}^{\prime}, par contre l’algèbre 𝒫p(M)\mathcal{P}_{p}(M) n’en dépend pas.

  3. (3)

    Pour que l’espace Zp(M)Z_{p}(M) ne soit pas réduit à zéro il faut que MM contienne des facteurs directs de poids zéro. Il faut typiquement imaginer M=𝔥2n(X)(n)M=\mathfrak{h}^{2n}(X)(n) pour une variété XX à bonne réduction. De plus, pour avoir des périodes intéressantes, il faut que MM admette des classes algébriques modulo pp qui ne sont pas relevables, sinon toutes les périodes pp-adiques seraient algébriques.

  4. (4)

    Contrairement au cas classique, la matrice de périodes pp-adique n’est pas carrée, en effet l’inégalité171717Point technique : cette inégalité a encore besoin de l’hypothèse hom=num\hom=\operatorname{num}. On utilise le fait que l’équivalence numérique commute à l’extension des scalaires, voir la Conjecture 3.18 et la remarque qui la suit. ##\#\mathcal{B}^{\prime}\leq\#\mathcal{B} est stricte en général.

  5. (5)

    Il est possible de définir les périodes pp-adiques pour les motifs mixtes. Il faut dans ce cas considérer uniquement les motifs mixtes vérifiant (7.2) - cette relation n’est automatique pour les variétés ouverte.

Exemple 7.5.
  1. (1)

    (Courbes elliptiques CM et valeurs Gamma.) Considérons EE une courbe elliptique CM. Les périodes complexes de son 𝔥1(E)\mathfrak{h}^{1}(E) sont un produit de certaines valeurs spéciales de la fonction gamma Γ\Gamma_{\mathbb{C}} en certains rationnels explicites dépendant uniquement du corps CM. Il n’y a pas de période pp-adique associée à 𝔥1(E)\mathfrak{h}^{1}(E), puisqu’il n’y a pas de classe algébrique dans le 𝔥1(E)\mathfrak{h}^{1}(E), par contre on peut considérer le motif M=𝔥1(E)𝔥1(E)M=\mathfrak{h}^{1}(E)\otimes\mathfrak{h}^{1}(E)^{\vee}. Ses classes algébriques correspondent aux endomorphismes de EE. Pour avoir des périodes pp-adiques intéressantes considérons un premier pp à réduction supersingulière, autrement tous les endomorphismes se relèveraient et toutes les périodes seraient algébriques. Il s’agit de décrire l’action de ces endomorphismes par rapport à une base de HdR1(E,¯)H_{\mathrm{dR}}^{1}(E,\overline{\mathbb{Q}}). Ce genre de calculs a été traités par Coleman et Ogus [Col90, Ogu90]. On y voit apparaître des produits de valeurs spéciales de la fonction gamma pp-adique Γp\Gamma_{p} en des rationnels.

  2. (2)

    (Motifs de Kummer et logarithme.) Considérons le motif de Tate mixte de type Kummer Ka=𝔥1(𝔾m,{1,a})K_{a}=\mathfrak{h}^{1}(\mathbb{G}_{m},\{1,a\})^{\vee}, avec aa\in\mathbb{Q}. Ce motif s’insère dans une suite exacte

    0𝟙(+1)Ka𝟙00\longrightarrow\mathbbm{1}(+1)\longrightarrow K_{a}\longrightarrow\mathbbm{1}\longrightarrow 0

    qui est non scindée pour a0,1,1a\neq 0,1,-1. En particulier ce motif n’a pas de classe algébrique non nulle, qui est la raison d’avoir considéré KaK_{a} et non pas son dual 𝔥1(𝔾m,{1,a})\mathfrak{h}^{1}(\mathbb{G}_{m},\{1,a\}). Sa matrice de périodes complexes est

    (2πilog(a)01).\begin{pmatrix}2\pi i&\log(a)\\ 0&1\end{pmatrix}.

    Fixons un nombre premier pp. Pour a0,1[p]a\not\equiv 0,1\hskip 5.69046pt[p], le motif KaK_{a} a bonne réduction. De plus les motifs de Tate sur un corps fini forment une catégorie semisimple, en particulier la suite exacte ci-dessus se scinde modulo pp. On en déduit que le motif possède une classe algébrique non nulle modulo pp qui est donc non relevable. Sa matrice de périodes pp-adiques est

    (logp(a)1)\begin{pmatrix}\log_{p}(a)\\ 1\end{pmatrix}

    dont l’analogie avec son pendant complexe est encore une fois frappante. Cette matrice s’obtient à partir du calcul de la matrice du Frobenius agissant sur RdR(Ka)R_{\mathrm{dR}}(K_{a}) qui est dû à Deligne [Del89, §2.9]. On y voit apparaître le logp(a1p)\log_{p}(a^{1-p}) et on trouve curieux que le passage de la matrice de Frobenius à la matrice de périodes corrige cet exposant. (La correction de logp(a1p)\log_{p}(a^{1-p}) à logp(a)\log_{p}(a) aurait pu s’obtenir en changeant de base, or pour ces motifs on dispose de bases canoniques et toutes les matrices décrites ci-dessus utilisent uniquement ces bases).

  3. (3)

    (Fonctions hypergéométriques.) Soient MM et NN deux motifs non isomorphes mais dont les réductions modulo pp le sont. Alors le motif MNM\otimes N^{\vee} a une classe algébrique modulo pp non relevable qui est justement associée à cet isomorphisme. Ses périodes pp-adiques sont les coordonées de RdR(N)R_{\mathrm{dR}}(N) par rapport à RdR(M)R_{\mathrm{dR}}(M).

    Par exemple on peut considérer M=𝔥1(E)M=\mathfrak{h}^{1}(E) et N=𝔥1(E)N=\mathfrak{h}^{1}(E^{\prime})EE et EE^{\prime} sont deux relèvements non isogènes d’une courbe elliptique ordinaire sur un corps fini. On peut notamment choisir EE comme le relèvement canonique de Serre–Tate et EE^{\prime} comme une courbe elliptique non CM. Les périodes pp-adiques qui apparaissent dans ce cas là sont décrites par Katz [Kat80]. On y voit notamment apparaître des valeurs spéciales de fonctions hypergéométriques.

  4. (4)

    (Matrice du Frobenius.) Soit fEnd(Mp)f\in\operatorname{End}(M_{p}) un endomorphisme modulo pp. On peut considérer la matrice de son action par rapport à une base de RdR(M)R_{\mathrm{dR}}(M). Ses coefficients pourront s’interpréter comme périodes pp-adiques à la André en regardant ff comme une classe algébrique modulo pp du motif MMM\otimes M^{\vee}. D’intérêt particulier est le cas où ff est le Frobenius : certains auteurs [Fur07, Bro17] ont définis les périodes pp-adique associés à MM comme ses coefficients.

    Le point de vue des périodes pp-adiques à la André est meilleure pour plusieurs raisons. Entre autres, il donne des bornes plus fine à la transcendance ainsi qu’une interprétation motivique de certaines relations naturelles, comme celles provenant du polynôme caractéristique du Frobenius, voir [AF22, Remark 9.7].

Transcendance

Comme expliqué dans la Remarque 7.4, la Conjecture 7.1 prédit la transcendance de certaines périodes pp-adiques. Le prochain but est de donner une borne au degré de transcendance de ces périodes (Théorème 7.6) ainsi qu’une conjecture qui prédira ce degré (Conjecture 7.13). On montrera que cette dernière conjecture implique en fait la Conjecture 7.1, voir la Proposition 7.12.

Gardons les notations de la Définition 7.3. Considérons les catégories tannakiennes M\langle M\rangle et Mp\langle M_{p}\rangle engendrées par MM et MpM_{p} ainsi que les groupes tannakiens GdR(M)G_{\mathrm{dR}}(M) et Gcris(Mp)G_{\operatorname{cris}}(M_{p}) associés aux foncteurs fibres RdRR_{\mathrm{dR}} et RcrisR_{\operatorname{cris}}.

Dans le cadre des périodes classiques, Grothendieck démontre que leur degré de transcendence est borné par la dimension de GdR(M)G_{\mathrm{dR}}(M). Notre résultat principal en est l’analogue pp-adique.

Théorème 7.6.

Le degré de transcendance des périodes pp-adiques vérifie l’inégalité

degtr𝒫p(M)dimGdR(M)dimGcris(Mp).\mathrm{degtr}\mathcal{P}_{p}(M)\leq\dim G_{\mathrm{dR}}(M)-\dim G_{\operatorname{cris}}(M_{p}).
Remarque 7.7.

(Transcendance classique vs transcendance pp-adique.)

  1. (1)

    Cette inégalité pourrait sembler plus forte que celle du cas complexe mais la matrice rectangulaire des périodes pp-adiques est en général plus petite que celle des périodes complexes. Elles ont la même taille uniquement dans le cas de réduction supersingulière ce qui revient à Gcris(Mp)={1}.G_{\operatorname{cris}}(M_{p})=\{1\}.

  2. (2)

    Dans le cadre complexe, le point crucial est d’interpréter les périodes comme les coordonnées d’un \mathbb{C}-point du foncteur T(M)=IsomM(RB,RdR)T(M)=\operatorname{Isom}_{\langle M\rangle}^{\otimes}(R_{B},R_{\mathrm{dR}}). Par la théorie tannakienne ce foncteur est représentable par une variété affine sur ¯\overline{\mathbb{Q}}. L’action naturelle de GdR(M)=AutM(RdR)G_{\mathrm{dR}}(M)=\operatorname{Aut}_{\langle M\rangle}^{\otimes}(R_{\mathrm{dR}}) sur T(M)T(M) rend cette variété un torseur.

    Dans le cas pp-adique le foncteur ZpZ_{p} n’est pas un foncteur fibre, pour des questions de dimension, ce qui le fait sortir du cadre tannakien. C’est tout de même un foncteur lax-monoïdal (ce qui revient à dire que le produit de classes algébriques est une classe algébrique).

    Le foncteur IsomM(Zp,RdR)\operatorname{Isom}_{\langle M\rangle}^{\otimes}(Z_{p},R_{\mathrm{dR}}) est vide en général, encore pour des raisons de dimension. On peut en revanche considérer les transformations naturelles tensorielles ou les plongements.

Théorème 7.8.

L’inclusion de foncteurs EmbM(Zp,RdR)NatM(Zp,RdR)\operatorname{Emb}_{\langle M\rangle}^{\otimes}(Z_{p},R_{\mathrm{dR}})\subseteq\operatorname{Nat}_{\langle M\rangle}^{\otimes}(Z_{p},R_{\mathrm{dR}}) est une égalité. Ces foncteurs sont représentables par une variété H(M)H(M) affine sur ¯\overline{\mathbb{Q}}. L’action naturelle de GdR(M)G_{\mathrm{dR}}(M) sur H(M)H(M) est transitive. De plus on a un isomorphisme H(M)¯p=GdR(M)¯p/Gcris(Mp).H(M)_{\overline{\mathbb{Q}}_{p}}=G_{\mathrm{dR}}(M)_{\overline{\mathbb{Q}}_{p}}/G_{\operatorname{cris}}(M_{p}).

Remarque 7.9.

(Théorème 7.6 implique Théorème 7.8.) En analogie avec le cas classique on peut interpréter

(7.3) Zp¯pRcris=RdR¯p\displaystyle Z_{p}\otimes\overline{\mathbb{Q}}_{p}\hookrightarrow R_{\operatorname{cris}}=R_{\mathrm{dR}}\otimes\overline{\mathbb{Q}}_{p}

comme un ¯p\overline{\mathbb{Q}}_{p}-point de H(M)H(M). L’évaluation en ce point donne un morphisme d’algèbres

(7.4) eval:𝒪(H(M))¯p.\displaystyle\mathrm{eval}:\mathcal{O}(H(M))\longrightarrow\overline{\mathbb{Q}}_{p}.

Par construction, l’image de ce morphisme est l’algèbre 𝒫p(M)\mathcal{P}_{p}(\langle M\rangle) engendrée par toutes les périodes pp-adiques de tous les motifs appartenant à la catégorie M\langle M\rangle. Contrairement au cas classique, ces périodes contiennent strictement celles de MM, en général. Cela vient du fait que l’inclusion Zp(M)nZp(Mn)Z_{p}(M)^{\otimes n}\subset Z_{p}(M^{\otimes n}) est stricte en général : c’est le défaut d’une formule de Künneth pour les classes algébriques.

Le Théorème 7.8 et les relations

(7.5) 𝒫p(M)𝒫p(M)=Imeval¯p.\displaystyle\mathcal{P}_{p}(M)\subset\mathcal{P}_{p}(\langle M\rangle)=\operatorname{Im}\mathrm{eval}\subset\overline{\mathbb{Q}}_{p}.

prouvent le Théorème 7.6 et même l’inégalité plus forte

(7.6) degtr𝒫p(M)degtr𝒫p(M)dimH(M)=GdR(M)Gcris(Mp).\displaystyle\mathrm{degtr}\mathcal{P}_{p}(M)\leq\mathrm{degtr}\mathcal{P}_{p}(\langle M\rangle)\leq\dim H(M)=G_{\mathrm{dR}}(M)-G_{\operatorname{cris}}(M_{p}).

La définition suivante est inspirée de travaux d’André [And95, And03].

Définition 7.10.

(Condition de ramification.) On dit qu’un motif NN est CM si End(N)\operatorname{End}(N) est un corps de nombres tel que dimEnd(N)=dimRdR(N)\dim_{\mathbb{Q}}\operatorname{End}(N)=\dim R_{\mathrm{dR}}(N).

On dit que le nombre premier pp ne ramifie pas dans M\langle M\rangle si, pour tout NN dans M\langle M\rangle qui est CM, le nombre premier pp ne ramifie pas dans le corps de nombre End(N)\operatorname{End}(N).

Exemple 7.11.

Soit AA une variété abélienne. Dans le cas où N=𝔥1(A)N=\mathfrak{h}^{1}(A), imposer que End(N)\operatorname{End}(N) soit un corps de nombres tel que dimEnd(N)=dimRdR(N)\dim_{\mathbb{Q}}\operatorname{End}(N)=\dim R_{\mathrm{dR}}(N) revient à demander que AA soit simple et CM. Dans ce cas demander que pp ne ramifie pas dans End(N)\operatorname{End}(N) correspond à demander que pp ne ramifie pas dans son corps CM.

Proposition 7.12.

Pour un motif MM^{\prime} fixé, les nombres premiers qui ramifient dans M\langle M^{\prime}\rangle sont en nombre fini.

Conjecture 7.13.

(pp-GPCs : Analogue pp-adique de la version forte de la conjecture des périodes de Grothendieck.)

Si pp ne ramifie pas dans M\langle M\rangle alors l’application d’évaluation (7.4) est injective. De façon équivalente, l’espace homogène H(M)H(M) est connexe et le ¯p\overline{\mathbb{Q}}_{p}-point de H(M)H(M) induit par (7.3) vit au-dessus du point générique de H(M)H(M) (ou encore l’inégalité degtr𝒫p(M)dimH(M)=GdR(M)Gcris(Mp)\mathrm{degtr}\mathcal{P}_{p}(\langle M\rangle)\leq\dim H(M)=G_{\mathrm{dR}}(M)-G_{\operatorname{cris}}(M_{p}) est en fait une égalité.)

Proposition 7.14.

Si MM vérifie la Conjecture 7.13 alors pour tout NN dans M\langle M\rangle on a une

Z0(N)=Zp(N)RdR(N),Z_{0}(N)=Z_{p}(N)\cap R_{\mathrm{dR}}(N),

c’est-à-dire la Conjecture 7.1 (ppGPCw) a réponse affirmative pour NN.

Remarque 7.15.
  1. (1)

    Les preuves des résultats de cette section utilisent des techniques tannakiennes. Comme déjà mentionné, notamment dans la Remarque 7.7(2), on ne peut pas utiliser les résultats classiques tel quels mais il faut plutôt adapter leurs preuves.

  2. (2)

    La condition de ramification (Définition 7.10) est inspirée d’une condition qu’André a imposée dans l’étude de ce genre de questions pour les variétés abéliennes à réduction supersingulière. Il avait remarqué que ces variétés pouvaient avoir des périodes pp-adiques vérifiant des relations algébriques non motiviques. Comme mentionné dans l’Exemple 7.5(1), les périodes qui apparaissent pour de tels motifs sont liées aux valeurs spéciales de la fonction Gamma pp-adique. Ces dernières se trouvent être plus souvent algébriques que leurs analogues complexes.

  3. (3)

    Assez peu est connu sur la conjecture classique des périodes de Grothendieck. La version forte a été démontrée pour les courbes elliptiques CM par Chudnovsky [Chu80]. Le cas particulier de la courbe elliptique de Fermat implique notamment la transcendance de Γ(1/3)\Gamma_{\mathbb{C}}(1/3). La version faible (voir (GPCw) de la Remarque 7.2) a été montrée pour les diviseurs sur les variétés abéliennes et sur les surfaces K3 par Bost et Charles [BC16], en utilisant entre autre le théorème du sous-groupe analytique de Wüstholtz [Wüs89]. Ce sont des résultats difficiles et on peut s’attendre à ce que leurs analogues pp-adiques le soient aussi.

    Le seul cas où la Conjecture 7.13 est vérifiée est pour le motif de Kummer KaK_{a} de l’Exemple 7.5(2). Cela suit de la transcendence des valeurs spéciales du logarithme pp-adique [Ber77]. Le premier cas ouvert intéressant serait celui des courbes elliptiques à réduction supersingulière, ce qui donnerait notamment la transcendence de Γp(1/3)\Gamma_{p}(1/3), pour p2[3]p\equiv 2[3]. La version faible semble aussi difficile. Une petit résultat dans cette direction a été donné dans le cas des courbes elliptique non CM à réduction supersingulière [AF22, Proposition 3.5].

8. Motifs des schémas en groupes commutatifs

Cette section résume deux travaux en collaboration avec Stephan Enright-Ward, Annette Huber et Simon Pepin Lehalleur [AEWH15, AHPL16]. Ils portent sur l’anneau de Chow et le motif d’un schéma en groupes commutatifs et généralisent les théorèmes de Beauville [Bea86] et Deninger–Murre [DM91] qui traitent le cas des schémas abéliens. Nous expliquons quelles sont les subtilités qui apparaissent quand on quitte le cadre des schémas en groupes projectifs. Les motifs de Voevodsky deviennent essentiels, non seulement leur existence mais aussi la nature de leur construction : c’est un exemple du principe expliqué au §1.3.

Dans ce qui suit SS est une variété de type fini et lisse sur un corps kk qui jouera le rôle d’une base fixée. Tout SS-schéma en groupe que l’on considérera sera lisse et de type fini à fibres connexes. Certains énoncés sont valables dans des meilleures généralités. Pour un SS-schéma lisse f:XSf:X\rightarrow S, CH(X)\operatorname{CH}(X) indique l’anneau de Chow de l’espace total XX. On continue à travailler avec les coefficients rationnels.

Théorème 8.1.

(Beauville [Bea86], Deninger–Murre [DM91]) Soient AA un SS-schéma abélien de dimension relative gg et nA:AAn_{A}:A\rightarrow A le morphisme de multiplication par nn. Alors on a une décomposition

CHi(A)=r=ig+iCH(r)i(A)\operatorname{CH}^{i}(A)=\bigoplus_{r=i}^{g+i}\operatorname{CH}_{(r)}^{i}(A)

CH(r)i(A)={αCHi(A),nAα=nrα,n}\operatorname{CH}_{(r)}^{i}(A)=\{\alpha\in\operatorname{CH}^{i}(A),n^{*}_{A}\alpha=n^{r}\alpha,\forall n\in\mathbb{Z}\}.

Remarque 8.2.
  1. (1)

    Ce théorème a été démontré par Beauville dans le cas S=Spec(k)S=\operatorname{Spec}(k) et Deninger–Murre dans le cas général. Les deux résultats utilisent de façon cruciale la transformée de Fourier que l’on rappelle plus loin.

  2. (2)

    Quand S=Spec(k)S=\operatorname{Spec}(k), on a l’inclusion

    (8.1) kerclAir2ig+iCH(r)i(A)\displaystyle\ker\operatorname{cl}^{i}_{A}\supseteq\bigoplus_{r\neq 2i}^{g+i}\operatorname{CH}_{(r)}^{i}(A)

    qui vient du fait que nAn^{*}_{A} agit sur la cohomologie de degré ss comme nsId.n^{s}\cdot\operatorname{Id}.

  3. (3)

    La décomposition du théorème induit une bigraduation sur l’anneau CH()(A)\operatorname{CH}_{(\bullet)}^{*}(A). Quand S=Spec(k)S=\operatorname{Spec}(k), la nouvelle graduation scinde la filtration de Bloch–Beilinson qui est conjecturée avoir certaine propriétés par rapport à l’application classe de cycle, notamment l’inclusion (8.1) devrait être une égalité. La filtration de Bloch–Beilinson est conjecturée exister pour tous les anneaux de Chow de toutes les variétés projectives et lisses sur kk, mais en général cette filtration ne se scinde pas.

Démonstration.

Soient AA^{\vee} le schéma abélien dual, 𝒫CH1(A×A)\mathcal{P}\in\operatorname{CH}^{1}(A\times A^{\vee}) le diviseur associé au fibré de Poincaré et π1,π2\pi_{1},\pi_{2} les projections de A×AA\times A^{\vee} sur les deux facteurs. On définit la transformée de Fourier

A:CH(A)CH(A),α(π2)(exp(𝒫)π1α).\mathcal{F}_{A}:\operatorname{CH}^{*}(A)\longrightarrow\operatorname{CH}^{*}(A^{\vee}),\hskip 14.22636pt\alpha\mapsto(\pi_{2})_{*}(\exp(\mathcal{P})\cdot\pi_{1}^{*}\alpha).

On vérifie que c’est un isomorphisme, dont l’inverse est essentiellement A\mathcal{F}_{A^{\vee}}. On en déduit la décomposition

(8.2) CHi(A)=s{αCHi(A),A(α)CHs(A)}.\displaystyle\operatorname{CH}^{i}(A)=\bigoplus_{s}\{\alpha\in\operatorname{CH}^{i}(A),\hskip 14.22636pt\mathcal{F}_{A}(\alpha)\in\operatorname{CH}^{s}(A)\}.

Ensuite un calcul direct permet de voir comment nAn^{*}_{A} agit sur chaque facteur de la décomposition (8.2). On retrouve ainsi la décomposition de l’énoncé et l’identification CH(r)i(A)={αCHi(A),A(α)CHg+ir(A)}.\operatorname{CH}_{(r)}^{i}(A)=\{\alpha\in\operatorname{CH}^{i}(A),\hskip 14.22636pt\mathcal{F}_{A}(\alpha)\in\operatorname{CH}^{g+i-r}(A)\}.

Nous montrons la généralisation suivante.

Théorème 8.3.

Soient GG un SS-schéma en groupes commutatifs de dimension relative dd et nG:GGn_{G}:G\rightarrow G le morphisme de multiplication par nn. Alors on a une décomposition

CH(G)=r=02dCH(r)(G)\operatorname{CH}^{*}(G)=\bigoplus_{r=0}^{2d}\operatorname{CH}^{*}_{(r)}(G)

CH(r)(G)={αCH(G),nGα=nrα,n}\operatorname{CH}_{(r)}^{*}(G)=\{\alpha\in\operatorname{CH}^{*}(G),n^{*}_{G}\alpha=n^{r}\alpha,\forall n\in\mathbb{Z}\}.

Remarque 8.4.
  1. (1)

    On ne sait pas définir une transformée de Fourier pour un tel GG : l’application π2\pi_{2} n’est pas propre, donc (π2)(\pi_{2})_{*} n’existe pas, et de plus le dual d’un tel GG est un 11-motif en général et non pas une variété.

  2. (2)

    Le premier cas non trivial pour les groupes non projectifs est donné par S=Spec(k)S=\operatorname{Spec}(k) et GG qui admet une suite exacte

    0𝔾mGA00\longrightarrow\mathbb{G}_{m}\longrightarrow G\longrightarrow A\longrightarrow 0

    AA est une variété abélienne. Dans ce cas le Théorème 8.3 est facile pour 𝔾m\mathbb{G}_{m} et connu pour AA mais on ne peut pas le déduire directement pour GG. Le problème est que cet énoncé se comporte bien pour les sommes directes mais mal pour les suites exactes. L’énoncé qui suivra sera plus adapté à ce genre de dévissage.

Définition 8.5.

Soient Sm/S\textrm{Sm}/S la catégorie des SS-schémas lisses de type fini et PSh(S)\textrm{PSh}(S) la catégorie des préfaisceaux sur Sm/S\textrm{Sm}/S à valeur dans les \mathbb{Q}-espaces vectoriels. Soient (G)PSh(S)\mathbb{Q}(G)\in\textrm{PSh}(S) le préfaisceau qui associe à chaque YSm/SY\in\textrm{Sm}/S le \mathbb{Q}-espace vectoriel ayant comme base l’ensemble HomS(Y,G)\operatorname{Hom}_{S}(Y,G) et G¯PSh(S)\underline{G}\in\textrm{PSh}(S) celui qui associe à chaque YSm/SY\in\textrm{Sm}/S le \mathbb{Q}-espace vectoriel HomS(Y,G).\operatorname{Hom}_{S}(Y,G)\otimes_{\mathbb{Z}}\mathbb{Q}. La loi de groupe de GG induit une transformation naturelle

sG:(G)G¯.s_{G}:\mathbb{Q}(G)\longrightarrow\underline{G}.

Par construction de DM(S)\operatorname{DM}(S), la catégorie des motifs relatifs181818On considère ici uniquement la version stable de cette catégorie, c’est-à-dire la catégorie obtenue après \otimes-inversion du motif de Lefschetz. Il y a plusieurs descriptions de la catégorie stable DM(S)\operatorname{DM}(S). Il se trouve qu’elles sont équivalentes sous des hypothèses assez générales qui sont notamment satisfaites pour les bases SS que l’on considère. La version qui est adaptée à la Définition 8.5 est celle des motifs étales étudiés par Ayoub. Cette catégorie DM(S)\operatorname{DM}(S) est obtenue à partir de D(PSh(S))D(\textrm{PSh}(S)) en localisant pour imposer la descente étale et l’invariance par 𝔸1\mathbb{A}^{1}-homotopie, puis en stabilisant., les préfaisceaux ci-dessus induisent des motifs et la transformation naturelle un morphisme entre eux que l’on notera

αG/S:M(G/S)M1(G/S).\alpha_{G/S}:~M(G/S)\longrightarrow M_{1}(G/S).

Le motif M(G/S)M(G/S) est appelé le motif de GG et le motif M1(G/S)M_{1}(G/S) est appelé le 11-motif de GG.

Théorème 8.6.

Gardons les notations de la définition ci-dessus. Alors le motif SymrM1(G/S)\operatorname{Sym}^{r}M_{1}(G/S) est nul pour rr assez grand et le morphisme αG/S\alpha_{G/S} se prolonge en un unique morphisme de motifs en algèbres de Hopf

(8.3) φG/S:M(G/S)r=0SymrM1(G/S)\displaystyle\varphi_{G/S}:M(G/S)\longrightarrow\bigoplus_{r=0}\operatorname{Sym}^{r}M_{1}(G/S)

qui est de plus un isomorphisme.

Remarque 8.7.
  1. (1)

    (Motifs vs faisceaux.) Ce théorème n’est pas une conséquence formelle d’un énoncé sur les préfaisceaux. Remarquons par exemple que le faisceau SymrG¯\operatorname{Sym}^{r}\underline{G} n’est pas nul, puisque G¯\underline{G} est un faisceau en espaces vectoriels.

    Un phénomène plus subtile est le suivant : le théorème montre en particulier l’existence d’applications non nulles de M1(G/S)M_{1}(G/S) vers M(G/S)M(G/S). En revanche, il n’y a pas d’application non nulle du faisceau G¯\underline{G} vers (G)\mathbb{Q}(G). Esquissons l’argument. Soient α:G¯(G)\alpha:\underline{G}\rightarrow\mathbb{Q}(G) une telle transformation naturelle et 𝗂𝖽GG¯(G)\operatorname{\mathsf{id}}_{G}\in\underline{G}(G) l’application identité. La naturalité de α\alpha implique qu’il suffit de voir que α(𝗂𝖽G)=0\alpha(\operatorname{\mathsf{id}}_{G})=0. Posons α(𝗂𝖽G)=aifi\alpha(\operatorname{\mathsf{id}}_{G})=a_{i}\cdot f_{i}aia_{i} sont des nombres rationnels et les fif_{i} sont des endomorphismes de GG.

    Pour montrer aifi=0a_{i}\cdot f_{i}=0 considérons la naturalité par rapport aux morphismes nGn_{G} de multiplication par nn :

    𝗂𝖽G\textstyle{\operatorname{\mathsf{id}}_{G}\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}aifi\textstyle{\sum a_{i}\cdot f_{i}\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}G¯\textstyle{\underline{G}\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}nG\scriptstyle{n_{G}}α\scriptstyle{\!\!\!\!\!\!\!\alpha}(G)(G)\textstyle{\mathbb{Q}(G)(G)\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}nG\scriptstyle{n_{G}}G¯\textstyle{\underline{G}\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}α\scriptstyle{\!\!\!\!\!\!\!\alpha}(G)(G)\textstyle{\mathbb{Q}(G)(G)}nG=n𝗂𝖽G\textstyle{n_{G}=n\cdot\operatorname{\mathsf{id}}_{G}\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}naifi\textstyle{\sum na_{i}\cdot f_{i}\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces\ignorespaces}ai(nGfi).\textstyle{\sum a_{i}\cdot(n_{G}\circ f_{i}).}

    On prétend que l’égalité naifi=ai(nGfi)\sum na_{i}\cdot f_{i}=\sum a_{i}\cdot(n_{G}\circ f_{i}) force tous les fif_{i} à être nuls. tout d’abord supposons par l’absurde qu’il y avait un fif_{i}, disons f1f_{1}, qui n’était pas de torsion. Alors la liste des morphismes nGf1n_{G}\circ f_{1} serait infinie et on pourrait choisir un nn tel que nGf1n_{G}\circ f_{1} n’apparaisse pas dans la liste des fif_{i}. Ceci contredirait l’égalité naifi=ai(nGfi)\sum na_{i}\cdot f_{i}=\sum a_{i}\cdot(n_{G}\circ f_{i}).

    On peut alors supposer que les fif_{i} soient tous de torsion et on peut donc choisir un nn tel que les nGfin_{G}\circ f_{i} soient tous nuls. L’égalité naifi=ai(nGfi)=0\sum na_{i}\cdot f_{i}=\sum a_{i}\cdot(n_{G}\circ f_{i})=0 implique alors aifi=0\sum a_{i}\cdot f_{i}=0.

  2. (2)

    (Décomposition de Chow–Künneth.) On continue à noter par nG:GGn_{G}:G\rightarrow G le morphisme de multiplication par nn. Remarquons que son action sur M1(G/S)M_{1}(G/S) vaut nIdn\cdot\operatorname{Id}. En particulier l’isomorphisme (8.3) donne une décomposition de M(G/S)M(G/S) en espaces propres par rapport à l’action de nGn_{G}. On en déduit par ailleurs que cette décomposition est une décomposition de Chow–Künneth relative (voir la Conjecture 3.1 pour le cas absolu).

  3. (3)

    (Décomposition de l’anneau de Chow.) La décomposition du point (2) donne une décomposition de

    (8.4) HomDM(S)(M(G/S),1(p)[q])\displaystyle\operatorname{Hom}_{DM(S)}(M(G/S),\mathbbm{1}(p)[q])

    en espaces propres par rapport à l’action de nGn_{G}. Comme ces Hom\operatorname{Hom} calculent191919Les constructions de Grothendieck et de Voevodsky ont une convention de covariance différente, notamment les motifs de Chow se plongent dans les motifs de Voevodsky par un foncteur contravariant. C’est la raison pour laquelle l’objet 𝟙(p)[q]\mathbbm{1}(p)[q] apparaît à droite dans la formule (8.4). les groupes de Chow supérieurs [CD19, Corollary 14.2.14] on déduit le Théorème 8.3.

  4. (4)

    (Décomposition de motifs vs décomposition d’anneaux de Chow.) Pour les schémas abéliens G=AG=A les décompositions des anneaux de Chow au point (3) permettent de retrouver celle du motif au point (2) comme l’ont remarqué Deninger et Murre. Le point est de considérer A×SAA\times_{S}A comme schéma abélien sur AA et d’appliquer le Théorème 8.1 à ce schéma abélien : la diagonale se décomposera alors en somme de vecteurs propres. D’autre part la diagonale s’interprète comme l’identité du motif M(A/S)M(A/S) et on peut verifier que cette décomposition de IdEnd(M(A/S))\operatorname{Id}\in\operatorname{End}(M(A/S)) est une décomposition en somme de projecteurs orthogonaux.

    Pour un GG général, la formule

    EndDM(S)(M(G/S))=HomDM(S)(M(G/S)M(G/S),1)\operatorname{End}_{DM(S)}(M(G/S))=\operatorname{Hom}_{DM(S)}(M(G/S)\otimes M(G/S)^{\vee},\mathbbm{1})

    ne permet pas de relier ce groupe à l’anneau de Chow de G×SGG\times_{S}G. En effet la dualité de Poincaré identifie, à un twist et shift près, M(G/S)M(G/S)^{\vee} avec Mc(G/S)M_{c}(G/S) qui n’est pas, en général, M(G/S)M(G/S). Dans ce cas la décomposition des anneaux de Chow du Théorème 8.3 ne permet pas de retrouver celle des motifs au point (2).

    (L’argument ci-dessus montre qu’en général les endomorphismes d’un motif sont reliés aux groupes de Chow uniquement dans le cas propre et lisse. Cela a déjà été signalé au §1.1 et c’est le point qui limite la construction classique de Grothendieck au cadre propre et lisse.)

  5. (5)

    (Voevodsky vs Chow.) Dans le cas G=AG=A d’un schéma abélien, une formule

    (8.5) M(A/S)r=0SymrM1(A/S)\displaystyle M(A/S)\cong\bigoplus_{r=0}\operatorname{Sym}^{r}M_{1}(A/S)

    a été montré par Künnemann encore à l’aide de la transformée de Fourier [Kün94]. Une version plus faible, valable pour les motifs homologiques, a été discutée dans la Proposition 4.7.

    A l’époque de [Kün94] on ne disposait pas des motifs de Voevodsky et le travail a été fait dans les motifs de Chow. Dans ce cas l’existence du motif M1(A/S)M_{1}(A/S) présent dans la formule (8.5) n’est pas du tout triviale : il faut construire un projecteur convenable de End(M(A/S))\operatorname{End}(M(A/S)). Ce motif est en revanche facile à définir dans le cadre de Voevodsky (Définition 8.5). Un des avantage des motifs de Voevodsky sur les motifs de Chow est notamment cette possibilité de disposer facilement de motifs par des constructions faisceautiques : c’est le principe que nous avons mentionné au §1.3.

Démonstration.

La preuve se base sur deux dévissages qui font chacun l’objet d’un article. Un premier dévissage sert à se réduire au cas d’un corps algébriquement clos S=Spec(K)S=\operatorname{Spec}(K), [AHPL16]. Le deuxième [AEWH15] est une réduction aux cas des variétés abéliennes, ce qui nous ramène essentiellement au résultat de Künnemann [Kün94].

Réduction à S=Spec(K)S=\operatorname{Spec}(K)

Pour le premier dévissage on utilise le théorème suivant d’Ayoub [Ayo14, Proposition 3.24]. Si f:MNf:M\rightarrow N est un morphisme de motifs dans DM(S)\operatorname{DM}(S) alors pour voir si ff est un isomorphisme il suffit de voir si son tiré en arrière en tout point géométrique l’est.

Soit i:Spec(K)Si:\operatorname{Spec}(K)\rightarrow S un point géométrique. Pour compléter le premier dévissage il suffit alors de montrer que

(8.6) iφG/S=φG×SSpec(K)/Spec(K).\displaystyle i^{*}\varphi_{G/S}=\varphi_{G\times_{S}\operatorname{Spec}(K)/\operatorname{Spec}(K)}.

La formule (8.6) est en fait le point technique du travail. Pour tout morphisme g:TSg:T\rightarrow S, le foncteur gg^{*} est caractérisé par la propriété que, pour tout SS-schéma lisse XX, on ait le changement de base

(8.7) gM(X/S)=M(X×ST/T)\displaystyle g^{*}M(X/S)=M(X\times_{S}T/T)

comme pour la cohomologie à support compact. Or parmi les deux motifs qui interviennent dans le morphisme φG/S\varphi_{G/S}, seulement M(G/S)M(G/S) est de cette forme. Le point est alors de trouver une résolution de M1(G)M_{1}(G) par un complexe dont tous les termes sont des sommes d’objets de la forme M(X/S)M(X/S) en tous les degrés et toutes les flèches de connections sont induites par des morphismes de SS-schémas.

Nous construisons une telle résolution inspirée par des construction de [Bre70]. On utilise uniquement des XX qui sont des puissances de GG. Avec les notations de la Définition 8.5 on peut écrire son début sous la forme

(G×G)tG(G)sGG¯,\cdots\longrightarrow\mathbb{Q}(G\times G)\stackrel{{\scriptstyle t_{G}}}{{\longrightarrow}}\mathbb{Q}(G)\stackrel{{\scriptstyle s_{G}}}{{\longrightarrow}}\underline{G},

tG([g1,g2])=[g1]+[g2][g1+g2].t_{G}([g_{1},g_{2}])=[g_{1}]+[g_{2}]-[g_{1}+g_{2}].

Réduction à G=AG=A

Pour le deuxième dévissage fixons un corps algébriquement clos KK et considérerons S=Spec(K)S=\operatorname{Spec}(K). Dans la suite on allégera la notation en enlevant les /S/S.

Le théorème de Chevalley nous dit qu’un groupe algébrique sur un corps KK s’insère dans une suite exacte

0LGA0,0\longrightarrow L\longrightarrow G\longrightarrow A\longrightarrow 0,

AA est une variété abélienne et LL est un groupe linéaire. On peut alors raisonner par récurrence sur la dimension de LL et se ramener à

(8.8) 0𝔾aGH0\displaystyle 0\longrightarrow\mathbb{G}_{a}\longrightarrow G\longrightarrow H\longrightarrow 0

ou

(8.9) 0𝔾mGH0,\displaystyle 0\longrightarrow\mathbb{G}_{m}\longrightarrow G\longrightarrow H\longrightarrow 0,

où dans les deux cas HH est un groupe pour lequel l’énoncé est connu. Le cas (8.8) est facile : par homotopie l’énoncé pour GG est équivalent à l’énoncé pour HH. Pour le cas (8.9) l’argument est plus délicat.

Premièrement, la suite exacte (8.9) donne une suite exacte au niveau des foncteurs des points. Si on applique Symn\operatorname{Sym}^{n} a cette dernière on obtient un triangle

Symr1M1(H)M1(𝔾m)SymrM1(G)SymrM1(H),\operatorname{Sym}^{r-1}M_{1}(H)\otimes M_{1}(\mathbb{G}_{m})\longrightarrow\operatorname{Sym}^{r}M_{1}(G)\longrightarrow\operatorname{Sym}^{r}M_{1}(H),

où on a utilisé Sym2M1(𝔾m)=0\operatorname{Sym}^{2}M_{1}(\mathbb{G}_{m})=0 [Voe00, Corollary 2.1.5]. Cette suite exacte permet de déduire par récurrence que SymrM1(G)\operatorname{Sym}^{r}M_{1}(G) s’annule pour rr assez grand.

Deuxièmement, on complète le 𝔾m\mathbb{G}_{m}-fibré GHG\longrightarrow H en un 𝔸1\mathbb{A}^{1}-fibré G¯H\bar{G}\longrightarrow H avec une section nulle. Le triangle de localisation par rapport à la section donne

M(G)M(G¯)M(H)(1)[2],M(G)\longrightarrow M(\bar{G})\longrightarrow M(H)(1)[2],

or par homotopie M(G¯)=M(H)M(\bar{G})=M(H). On utilise maintenant l’hypothèse de récurrence et on en déduit le diagramme

(8.16)

L’existence de ψ\psi suit de la commutativité du carré de droite. Cette commutativité n’est pas gratuite, elle utilise la définition de l’application φH\varphi_{H}.

Par hypothèse de récurrence on déduit que l’application ψ\psi est un isomorphisme. Malheureusement la récurrence n’est pas terminée puisqu’on ne sait pas lier ψ\psi à φG\varphi_{G}. L’existence de ψ\psi a tout de même une conséquence importante : M(G)M(G) est un motif de dimension finie, voir la Remarque 3.21(2).

On montre que la réalisation de φG\varphi_{G} est un isomorphisme. On peut alors appliquer la Proposition 4.5 à φG\varphi_{G} et ψ1\psi^{-1} pour déduire que φG\varphi_{G} est un isomorphisme après passage au quotient par l’équivalence homologique. On peut ensuite utiliser les propriétés des motifs de dimension finie pour conclure que φG\varphi_{G} est un isomorphisme même avant passage au quotient (voir la Remarque 3.21(2), cf. le Théorème 5.2 dans le cas pur). ∎

Remarque 8.8.
  1. (1)

    La notion de dimension finie dans les motifs a toujours été appliquée pour les motifs purs : elle ne se comporte pas bien par suite exacte et on connait des exemples de motifs mixtes qui ne sont pas de dimension finie. À notre connaissance cette preuve est le premier exemple d’application de ces idées aux motifs mixtes.

  2. (2)

    Le Théorème 8.6 a permis à Huber et Kings de construire le polylogarithme pour tous les schémas en groupes commutatifs.

  3. (3)

    Le Théorème 8.6 donne une description du motif d’un groupe algébrique commutatif GG en terme d’un motif assez simple, M1(G)M_{1}(G). On pourrait espérer que cela puisse aider à une meilleure compréhension des anneaux de Chow de GG.

9. Construction de classes algébriques

Cette section concerne la conjecture standard de type Lefschetz, introduite dans la Conjecture 3.11. Dans un travail en cours en collaboration avec Mattia Cavicchi, Robert Laterveer et Giulia Saccà, nous étudions cette conjecture pour les variétés hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne. Le point de départ est une idée récente de Voisin [Voi22] que l’on regarde dans la perspective du théorème de décomposition.

Nous nous concentrerons dans la suite sur les variétés complexes, la conjecture standard de type Lefschetz est alors une instance particulière de la conjecture de Hodge. De façon assez surprenante elle en est aussi le pilier principal : André démontre que sous la conjecture standard de type Lefschetz le transport parallèle de classes algébriques est encore algébrique [And96]. Il en déduit que cette conjecture impliquerait la conjecture de Hodge pour les variétés abéliennes.

La conjecture standard de type Lefschetz est connue pour les variétés abéliennes, voir la Proposition 4.7, et on sait en déduire le cas des surfaces. Plus récemment Charles et Markmann l’ont montrée pour les variétés hyper-kähler de type KS[n]KS^{[n]}, [CM13].

La dimension d’une variété XX sera notée dXd_{X} et la dimension de la fibre générique d’un morphisme ff sera notée dfd_{f}. Même en présence de faisceaux pervers on utilisera la convention classique pour les degrés cohomologiques.

9.1. Une approche naïve

Considérons une variété projective et lisse XX et supposons qu’elle admette un morphisme f:XBf:X\rightarrow B vers une base BB qui est aussi projective et lisse. Nous nous demandons jusqu’à quel point connaître la conjecture standard de type Lefschetz pour BB et pour les fibres lisses de ff peut aider pour montrer la conjecture standard de type Lefschetz pour XX.

Le théorème de décomposition implique en particulier une décomposition202020Une telle décomposition n’est pas unique en général, seulement la filtration perverse associée l’est. Deligne, puis De Cataldo, ont proposé des décompositions qui se comportent mieux que les autres [Del94b, dC13]. de structures de Hodge

(9.1) Hn(X)=a+b=nHa(B,pRbf).\displaystyle\operatorname{H}^{n}(X)=\bigoplus_{a+b=n}\operatorname{H}^{a}(B,^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}).

Soient η\eta un diviseur sur XX qui soit relativement ample, LBL_{B} un diviseur ample sur BB et β\beta son tiré en arrière sur XX. Le théorème de décomposition fournit aussi les isomorphismes

(9.2) ηb:Ha(B,pRdfbf)Ha(B,pRdf+bf),\displaystyle\cup\eta^{b}:\operatorname{H}^{a}(B,^{p}\!\!R^{d_{f}-b}f_{*}\mathbb{Q})\xrightarrow{\hskip 1.85pt\sim\hskip 1.85pt}\operatorname{H}^{a}(B,^{p}\!\!R^{d_{f}+b}f_{*}\mathbb{Q}),
(9.3) βa:HdBa(B,pRbf)HdB+a(B,pRbf).\displaystyle\cup\beta^{a}:\operatorname{H}^{d_{B}-a}(B,^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q})\xrightarrow{\hskip 1.85pt\sim\hskip 1.85pt}\operatorname{H}^{d_{B}+a}(B,^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}).

La combination de (9.1), (9.2) et (9.3) peut suggérer que la conjecture standard de type Lefschetz se ramène à montrer que les inverses de ces isomorphismes sont algébriques et à première vue on pourrait penser que ces derniers se ramènent uniquement à l’étude des fibres de ff et de la base BB. Mais il faut en fait faire attention à un certain nombre de subtilités.

  1. (1)

    Les faisceaux pervers Rbpf{}^{p}\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q} dépendent aussi des fibres singulières du morphisme ff.

  2. (2)

    Inverser l’action de LBL_{B} sur la cohomologie de BB ne suffit pas à inverser β\beta. En effet fH(B)H(X)f^{*}\operatorname{H}(B)\subset\operatorname{H}(X) ne représente que le facteur H(B,pR0f)\operatorname{H}^{*}(B,^{p}\!\!R^{0}f_{*}\mathbb{Q}) de la décomposition (9.1)\eqref{BBD}.

  3. (3)

    Même si on était capables de construire des correspondances algébriques Ληb\Lambda_{\eta^{b}} et Λβa\Lambda_{\beta^{a}} qui agiraient comme les inverses de (9.2) et (9.3) il n’est pas clair de pouvoir les mettre ensemble pour déduire une correspondance algébrique Λn:HdX+n(X)HdXn(X).\Lambda_{n}:\operatorname{H}^{d_{X}+n}(X)\xrightarrow{\hskip 1.85pt\sim\hskip 1.85pt}\operatorname{H}^{d_{X}-n}(X). Il faudrait par exemple contrôler comment Ληb\Lambda_{\eta^{b}} agit sur les degrés pervers différents de bb. C’est délicat, notamment parce que les opérateurs η\eta et β\beta ne sont pas bigradués en général.

Dans le cas des variétés hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne on peut espérer contourner ces problèmes : le théorème du support de Ngô donne une description explicite des faisceaux pervers Rbpf{}^{p}\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}, un argument de Voisin permet grosso-modo de construire une deuxième fibration lagrangienne qui inverse le rôle de η\eta et β\beta, enfin Shen et Yin ont montré que les opérateurs η\eta et β\beta sont en fait bigradués pour les fibrations lagrangiennes.

Proposition 9.1.

Soit f:XBf:X\rightarrow B une application entre variétés projectives, lisses et connexes et soit UU l’ouvert de BB sur lequel l’application est lisse.

  1. (1)

    Supposons que la fibre générique vérifie la conjecture standard de type Lefschetz et que

    (9.4) pRbf=IC((Rbf)|U).\displaystyle^{p}\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}=IC((R^{b}f_{*}\mathbb{Q})_{|U}).

    Alors il existe des correspondances dans X×BXX\times_{B}X dont l’action sur la cohomologie relative induit des isomorphismes Rdf+bpfRdfbpf{}^{p}\!R^{d_{f}+b}f_{*}\mathbb{Q}\xrightarrow{\hskip 1.85pt\sim\hskip 1.85pt}{}^{p}\!R^{d_{f}-b}f_{*}\mathbb{Q}.

  2. (2)

    Supposons qu’il existe des correspondances dans X×BXX\times_{B}X dont l’action sur la cohomologie relative induit des isomorphismes Rdf+bpfRdfbpf{}^{p}\!R^{d_{f}+b}f_{*}\mathbb{Q}\xrightarrow{\hskip 1.85pt\sim\hskip 1.85pt}{}^{p}\!R^{d_{f}-b}f_{*}\mathbb{Q}. Alors il existe une décomposition du motif

    (9.5) 𝔥(X)=b𝔥(B,pRbf)\displaystyle\mathfrak{h}(X)=\bigoplus_{b}\mathfrak{h}(B,^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q})

    R(𝔥(B,pRbf))=H(B,pRbf)R(\mathfrak{h}(B,^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}))=\operatorname{H}^{*}(B,^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}). De plus chaque facteur de la décomposition est autodual à un twist près.

Remarque 9.2.

(Autour de la preuve.) La preuve de (1) est facile. Soit YY la fibre générique de ff. L’hypothèse sur YY dans (1) fournit des correspondances dans Y×YY\times Y, dont les adhérences donnent des correspondances dans X×BXX\times_{B}X. Leur action sur la cohomologie relative IC((Rbf)|U)IC((R^{b}f_{*}\mathbb{Q})_{|U}) est contrôlée par leur action sur le système local (Rbf)|U(R^{b}f_{*}\mathbb{Q})_{|U} et donc par l’action sur la cohomologie de YY.

Pour (2) on suit l’argument classique qui montre que Lefschetz implique Künneth [Kle68]. Par rapport au cas absolu on prendra garde au fait que la décomposition (9.5) n’est pas unique. L’action des correspondances relatives ne respecte pas cette graduation mais seulement la filtration associée. Par ailleurs on ne sait pas démontrer que toute décomposition cohomologique (9.1) est la réalisation d’une décomposition motivique (9.5) mais seulement qu’il en existe au moins une qui est d’origine motivique.

Corollaire 9.3.

Soit f:X1f:X\rightarrow\mathbb{P}^{1} une fibration de Lefschetz dont la fibre générique vérifie la conjecture standard de type Lefschetz (par exemple ff est une fibration en surfaces). Alors il existe une décomposition du motif

(9.6) 𝔥(X)=b𝔥(1,pRbf)\displaystyle\mathfrak{h}(X)=\bigoplus_{b}\mathfrak{h}(\mathbb{P}^{1},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q})

R(𝔥(1,pRbf))=H(1,pRbf)R(\mathfrak{h}(\mathbb{P}^{1},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}))=\operatorname{H}^{*}(\mathbb{P}^{1},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}). De plus chaque facteur de la décomposition est autodual à un twist près.

Remarque 9.4.

(Du relatif à l’absolu.) Toute variété de dimension trois admet une fibration de Lefschetz après éclatement le long d’une courbe CC. D’autre part la formule de l’éclatement

𝔥(BlC(X))=𝔥(X)𝔥(C)(1),\mathfrak{h}(Bl_{C}(X))=\mathfrak{h}(X)\oplus\mathfrak{h}(C)(-1),

due à Manin [Man68], montre que la conjecture standard de type Lefschetz pour XX se ramène à celle pour BlC(X)Bl_{C}(X). Si l’on veut étudier la conjecture standard de type Lefschetz pour une variété XX de dimension trois on peut donc supposer que XX admet une telle fibration. Ce qui manque au corollaire ci-dessus pour déduire cette conjecture est l’existence d’une décomposition

𝔥(1,pRbf)=a=02𝔥a(1,pRbf),\mathfrak{h}(\mathbb{P}^{1},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q})=\bigoplus_{a=0}^{2}\mathfrak{h}^{a}(\mathbb{P}^{1},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}),

R(𝔥a(1,pRbf))=Ha(1,pRbf)R(\mathfrak{h}^{a}(\mathbb{P}^{1},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}))=\operatorname{H}^{a}(\mathbb{P}^{1},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}), telle que chaque facteur de la décomposition soit autodual à un twist près.

Pour construire cette décomposition on pourrait vouloir utiliser l’isomorphisme (9.3) et essayer de construire une correspondance algébrique qui induise l’inverse. C’est une question qui ressemble au problème original de construction de l’inverse de l’opérateur de Lefschetz. On ne sait pas si c’est un problème plus simple, voir aussi la Remarque 9.8.

Théorème 9.5.

Soit XX une variété hyper-kähler de dimension 2n2n et f:Xnf:X\rightarrow\mathbb{P}^{n} une fibration lagrangienne dont toutes les fibres sont irréductibles. Supposons que le schéma en groupes Aut0(f)\operatorname{Aut}^{0}(f) soit polarisable (au sens de Ngô). Alors

(9.7) 𝔥(X)=b=02n𝔥(n,pRbf)\displaystyle\mathfrak{h}(X)=\bigoplus_{b=0}^{2n}\mathfrak{h}(\mathbb{P}^{n},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q})

R(𝔥(n,pRbf))=H(n,pRbf)R(\mathfrak{h}(\mathbb{P}^{n},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}))=\operatorname{H}^{*}(\mathbb{P}^{n},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}). De plus chaque facteur de la décomposition est autodual à un twist près.

Démonstration.

On utilise le théorème du support de Ngô, [Ngô10] : quand les fibres sont toutes irréductibles on a bien l’hypothèse (9.4). D’autre part la fibre générique est une variété abélienne, donc elle vérifie la conjecture standard de type Lefschetz. On peut alors utiliser la Proposition 9.1 pour conclure. ∎

Corollaire 9.6.

Soit XX une variété hyper-kähler de dimension 2n2n de rang de Picard 22 qui admet une fibration lagrangienne. Supposons que pour toute fibration lagrangienne gg de n’importe quel variétés hyper-kähler birationnelle à XX, les fibres de gg soient irréductibles et le schéma en groupes Aut0(g)\operatorname{Aut}^{0}(g) soit polarisable. Alors la conjecture standard de type Lefschetz est vraie pour XX.

Démonstration.

Fixons f:Xnf:X\rightarrow\mathbb{P}^{n} une fibration lagrangienne et soit η\eta et β\beta les diviseurs introduits dans §9.1. Un argument de Voisin [Voi22] montre grosso-modo l’existence d’une fibration lagrangienne g:Xng:X\rightarrow\mathbb{P}^{n} où le rôle de η\eta et β\beta est inversé. En fait gg existe seulement sur une variété hyper-kähler qui est birationnelle à XX, mais elles ont le même motif [Rie16].

On peut alors appliquer le théorème ci-dessus à ff et gg pour déduire deux décompositions du motif 𝔥(X)\mathfrak{h}(X) dont tous les facteurs sont autoduaux. Il n’est pas clair que ces deux décompositions soient compatibles, voir aussi le point (3) dans §9.1. Mais un théorème de Shen et Yin montre que les opérateurs η\eta et β\beta sont bigradués pour les fibrations lagrangiennes : on peut voir que ceci force les deux décompositions à être compatibles. La bidécomposition que l’on en déduit est plus fine que (9.1) et a tous les facteurs autoduaux, ce qui implique la conjecture standard de type Lefschetz. ∎

Le corollaire ci-dessus s’applique par exemple aux variétés hyper-kähler construites par Laza–Saccà–Voisin [LSV17].

Remarque 9.7.

(Généralisations.) On souhaite se débarrasser de l’hypothèse d’irréductibilité des fibres dans le théorème ci-dessus, ce qui permettrait de l’enlever aussi dans son corollaire et de pouvoir l’appliquer à beaucoup plus de variétés.

Si les fibres ne sont pas irréductible les faisceaux pervers Rbpf{}^{p}\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q} ne vérifient plus (9.4). Cependant le théorème du support de Ngô décrit aussi la nature des faisceaux pervers supportés sur les sous-variétés strictes de la base. Il montre l’existence de certaines variétés abéliennes contenues dans certaines fibres singulières dont la cohomologie contrôle les faisceaux pervers. On pense qu’une variante stratifiée de la Proposition 9.1 devrait s’appliquer à ce contexte général. On utilisera encore que les variétés abéliennes vérifient la conjecture standard de type Lefschetz.

Remarque 9.8.

(Du relatif à l’absolu, suite.) Reprenons les notations de la Remarque 9.4. On souhaiterait montrer l’existence d’une décomposition

(9.8) 𝔥(1,pRbf)=a=02𝔥a(1,pRbf),\displaystyle\mathfrak{h}(\mathbb{P}^{1},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q})=\bigoplus_{a=0}^{2}\mathfrak{h}^{a}(\mathbb{P}^{1},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}),

R(𝔥a(1,pRbf))=Ha(1,pRbf)R(\mathfrak{h}^{a}(\mathbb{P}^{1},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}))=\operatorname{H}^{a}(\mathbb{P}^{1},^{p}\!\!R^{b}f_{*}\mathbb{Q}), telle que chaque facteur de la décomposition soit autodual à un twist près : ceci montrerait la conjecture standard de type Lefschetz pour les variétés de dimension trois.

Pour construire cette décomposition on pourrait vouloir utiliser l’isomorphisme (9.3) induit par la classe β\beta et essayer de construire une correspondance algébrique qui induise l’inverse. Inspirés par l’idée de Voisin esquissé dans la preuve du corollaire ci-dessus on peut essayer de construire une nouvelle fibration g:X2g:X\rightarrow\mathbb{P}^{2} telle que β\beta soit relativement ample (ces constructions sont toujours possibles après éclatement). Une telle fibration induit une décomposition

(9.9) 𝔥(X)=a=02𝔥(2,pRag)\displaystyle\mathfrak{h}(X)=\bigoplus_{a=0}^{2}\mathfrak{h}(\mathbb{P}^{2},^{p}\!\!R^{a}g_{*}\mathbb{Q})

β:𝔥(2,pR0g)𝔥(2,pR2g)\cup\beta:\mathfrak{h}(\mathbb{P}^{2},^{p}\!\!R^{0}g_{*}\mathbb{Q})\xrightarrow{\hskip 1.85pt\sim\hskip 1.85pt}\mathfrak{h}(\mathbb{P}^{2},^{p}\!\!R^{2}g_{*}\mathbb{Q}) admet un inverse algébrique. Le problème est qu’en général la décomposition (9.9) n’induit pas la décomposition (9.8). C’est encore lié au fait que les actions de η\eta et β\beta ne sont pas bigraduées en général.

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